Revue d'Evidence-Based Medicine
Que penser du D-mannose dans la prévention des récidives d’infections urinaires ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 6 Page 126 - 129
Professions de santé
Infirmier, Médecin généraliste, PharmacienContexte
Minerva a déjà traité à plusieurs reprises de la prévention des infections urinaires. Après l’analyse d’une synthèse méthodique Cochrane, notre conclusion était que les préparations à base de canneberges pouvaient réduire le risque d’infections urinaires symptomatiques avec ou sans culture urinaire positive chez les femmes souffrant d’infections urinaires à répétition, chez les enfants et chez les adultes qui sont plus sensibles aux infections urinaires à la suite d’une intervention médicale. Nous avons toutefois souligné que le niveau de preuve était modéré en raison de l’importante hétérogénéité statistique et clinique et de la petite taille des études incluses, qui présentaient souvent un risque de biais élevé ou indéterminé pour différents domaines (1,2). En traitement prophylactique, le jus de canneberges (3,4) et le traitement oral avec deux souches de lactobacilles (5,6) se sont avérés moins efficaces que le sulfaméthoxazole-triméthoprime pour la prévention des infections urinaires récurrentes chez les femmes, respectivement avant et après la ménopause (3-6). Le D-mannose, un isomère du glucose* présent comme complément alimentaire dans certains fruits et légumes, empêche la fixation des bactéries sur les cellules épithéliales (7,8). Une synthèse méthodique avec méta-analyse n’a trouvé que peu d’éléments en faveur du D-mannose pour la prévention des infections urinaires (9). La conclusion a souligné la nécessité d’une étude randomisée contrôlée de qualité élevée ayant une puissance suffisante pour poursuivre la recherche sur l’efficacité du D-mannose par rapport à un placebo dans la prévention des infections urinaires.
* De même formule moléculaire que le glucose, mais avec une disposition spatiale différente des atomes
Résumé
Population étudiée
- recrutement de femmes dans 99 cabinets de première ligne en Angleterre et au Pays de Galles par le biais de réponses à des annonces, lors de visites au cabinet, à la suite d’invitations écrites et après consultation des dossiers médicaux
- critères d’inclusion : femmes âgées de 18 ans ou plus ayant présenté des symptômes d’infection urinaire et/ou à qui des antibiotiques ont été prescrits pour des infections urinaires au moins trois fois au cours de l’année écoulée ou au moins deux fois au cours des six derniers mois
- critères d’exclusion : grossesse, grossesse planifiée ou allaitement ; cystite interstitielle ou vessie hyperactive ; résidence en maison de repos et de soins ; sonde urinaire ; utilisation d’Uromune (= vaccin bactérien) ; participation à une étude sur le D-mannose au cours des 12 dernières semaines ; poursuite prévue de la prise d’antibiotiques prophylactiques pendant l’étude ; prise de D-mannose
- finalement, inclusion de 598 femmes ; âge médian de 61,3 ans (écart interquartile 46,5 à 72,8) ; ayant fait en moyenne 4,6 (écart-type (ET) 2,14) infections urinaires pendant l’année écoulée ; 90,6% prenaient des médicaments symptomatiques pour soulager les symptômes, notamment du paracétamol (52-60%), de l’ibuprofène (21,5-25,3%), du jus de canneberges (35,5-39,0%) ou des sachets de citrate de sodium ou de citrate de potassium (33,6-36,8%) ; 63% étaient ménopausées, parmi lesquelles 71% n’utilisaient pas de traitement hormonal ; 75% n’utilisaient pas de contraception (hormonale ou stérilet) ; 40,3% souffraient d’incontinence urinaire, parmi lesquelles 78,2% plus d’une fois par mois.
Protocole d’étude
Étude randomisée, contrôlée par placebo, menée en double aveugle, avec deux groupes parallèles :
- groupe d’intervention (n = 303) : prise quotidienne de 2 grammes de poudre de D-mannose pendant 6 mois
- groupe témoin (n = 295) : prise quotidienne de 2 grammes de poudre de fructose pendant 6 mois
- le suivi a été effectué au moyen des éléments suivants :
- un journal dans lequel les participantes notaient la gravité des symptômes urinaires, la prise de médicaments en vente libre ou d’antibiotiques, les contacts avec les services de soins jusqu’à ce que les symptômes urinaires disparaissent (ou redeviennent moins graves pour les femmes présentant des symptômes urinaires légers et continus)
- un questionnaire hebdomadaire par SMS, e-mail ou téléphone pour suivre l’observance et les épisodes supplémentaires d’infections urinaires
- un examen du dossier médical pour savoir si la patiente s’est présentée à une consultation au cours de laquelle une infection des voies urinaires a été cliniquement diagnostiquée et pour recueillir les données concernant les cultures d’urine, les antibiotiques prescrits et les hospitalisations.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : pourcentage de femmes ayant connu, sur une période de 6 mois, au moins un épisode de suspicion clinique d’infection urinaire ayant nécessité des soins ambulatoires (cabinet de première ligne, service de garde, admission aux urgences, hospitalisation)
- critères de jugement secondaires : nombre de jours avec des symptômes modérément sévères ou s’aggravant (enregistrés dans un journal), délai jusqu’à la consultation suivante pour suspicion clinique d’infection urinaire, nombre de suspicions cliniques d’infections urinaires, nombre d’infections urinaires confirmées sur le plan bactériologique (sur la base des échantillons envoyés par les médecins généralistes), prise d’antibiotiques pour des infections urinaires (définie comme les doses quotidiennes ou le nombre total de milligrammes par type d’antibiotique), proportion de femmes présentant des uropathogènes résistants, nombre d’hospitalisations pour infection urinaire, événements indésirables graves
- analyse en intention de traiter
- analyses de sensibilité : analyse per protocole (observance de 4 jours ou 3 jours par semaine), ajustement du modèle pour les prédicteurs de données manquantes (comme une personne qui, en début d’étude, prenait déjà quelque chose contre les symptômes d’une infection urinaire antérieure), imputation des données manquantes comme étant positives (présence d’une infection) ou négatives (absence d’infection)
- analyses de sous-groupes en fonction des antécédents d’infections urinaires (au-dessus ou au-dessous de la médiane) et de la ménopause (avant ou après la ménopause).
Résultats
- les données concernant le principal critère de jugement étaient disponibles pour 583 participantes (97,5%)
- principal critère de jugement : sur une période de 6 mois, 51,0% des femmes prenant du D-mannose ont connu au moins un épisode de suspicion clinique d’infection urinaire, contre 55,7% des femmes recevant le placebo, ce qui correspond à une différence qui n’est pas statistiquement significative de -5% avec IC à 95% de -13% à 3% : p = 0,26 ; les analyses de sensibilité et les analyses de sous-groupes n’ont pas donné d’autres résultats
- critères de jugement secondaires : pas de différence entre les deux groupes, si ce n’est un plus petit nombre de jours de prise d’antibiotiques dans le groupe D-mannose que dans le groupe placebo (différence moyenne de -3 jours, avec IC à 95% de -4,40 à -1,60 ; p < 0,001) ; cette différence n’était plus statistiquement significative après l’exclusion de 12 femmes qui s’écartaient de plus de 3 écarts-types de la moyenne de la prise d’antibiotiques dans l’étude.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la prise quotidienne de D-mannose en première ligne n’a pas permis de réduire le pourcentage de femmes souffrant d’infections urinaires récurrentes qui ont connu un nouvel épisode de suspicion clinique d’infection urinaire. Le D-mannose ne devrait pas être recommandé en prophylaxie dans ce groupe de patientes.
Financement de l’étude
National Institute for Health and Care Research (NIHR) School for Primary Care Research et le NIHR du Oxford Biomedical Research Centre.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette étude présente plusieurs points forts du point de vue méthodologique. Le calcul préalable indiquait qu’il fallait 508 participantes pour démontrer une diminution d’au moins 50% des infections urinaires avec une puissance de 90% et un alpha de 0,05, en tenant compte d’un éventuel taux d’abandons de 20%. Selon le plan d’analyse statistique des auteurs, cette taille d’échantillon offrait également une puissance suffisante pour montrer une différence dans le nombre d’infections urinaires (critères de jugement secondaires) après 6 mois. La population de l’étude, sélectionnée sur la base de critères d’inclusion et d’exclusion correctement définis, est représentative d’une population de femmes susceptibles de contracter des infections urinaires. La randomisation a été stratifiée en fonction du centre d’étude, et les participantes du groupe intervention et du groupe témoin étaient semblables. Le taux d’abandons était moins élevé que prévu (3 à 4%). Les participantes, les cliniciens et les membres de l’équipe de recherche responsables du recrutement, du suivi et de la surveillance des participantes étaient en aveugle. La mise en aveugle a été vérifiée à la fin de l’étude, et le nombre de participantes qui savaient de quel groupe elles faisaient partie était le même dans les deux groupes. En concertation avec un panel de patientes, les chercheurs ont choisi un critère de jugement principal pragmatique qui reflète au mieux la charge des symptômes chez les femmes, plutôt que de ne prendre en compte que les infections urinaires confirmées par la microbiologie.
Il y a également quelques faiblesses à mentionner. Les participantes ont reçu le médicament à l’étude sous forme de poudre : « une dose journalière correspondant à environ 2 g de poudre de D-mannose » Avec des gélules, il aurait été possible d’administrer une dose plus précise. Cependant, la quantité était trop importante pour tenir dans une seule gélule, et, même répartie en deux gélules, celles-ci auraient probablement été encore trop grosses pour pouvoir être avalées facilement. Pour l’analyse primaire, toutes les participantes randomisées ont été incluses, quels que soient les écarts par rapport au protocole. Deux participantes sur trois ont rapporté avoir pris la poudre au moins 3 jours par semaine. Dans l’analyse per protocole des participantes avec une bonne observance (prise 3 ou 4 jours par semaine), les résultats observés dur les différents critères de jugement n’étaient pas différents, comparés à ceux de la population complète. Bien qu’il s’agisse d’un choix pragmatique, nous pouvons considérer que la valeur cible prédéfinie en matière d’observance est plutôt faible. Par ailleurs, nous pouvons également émettre des réserves quant au choix du fructose comme placebo. En effet, le fructose, comme le D-mannose (7), a des propriétés anti-adhérentes pour E. coli dans les voies urinaires. D’ailleurs, le fructose est aussi considéré comme l’un des composants actifs de la canneberge (10).
Évaluation des résultats
Les chercheurs n’ont pas pu montrer de différence entre le D-mannose et le placebo en ce qui concerne le nombre de femmes ayant eu un épisode de suspicion clinique d’infection urinaire. Les suspicions d’infections urinaires ont fait l’objet d’un examen bactériologique dans 60% des cas et, là encore, le pourcentage de femmes présentant au moins une infection confirmée par un examen bactériologique était similaire dans les deux groupes. Cette étude confirme donc la conclusion de la synthèse méthodique Cochrane de sept études (n = 719) dont la durée variait de 15 jours à 6 mois, qui n’a pas non plus pu démontrer l’efficacité du D-mannose pour la prévention des infections des voies urinaires. Il est possible que le faible taux d’observance et/ou la comparaison avec le fructose (voir ci-dessus) aient exercé une influence négative sur les résultats de cette étude. Cependant, le D-mannose n’a pas non plus apporté de gain en ce qui concerne les critères de jugement secondaires. Par ailleurs, il n’y a pas non plus eu de signalement d’effet indésirable grave.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Pour la prévention des récidives d’infections urinaires, les recommandations sont les suivantes : boire beaucoup d’eau, vider complètement la vessie, ne pas retarder la miction lorsque le besoin d’uriner se fait sentir, éviter d’utiliser des préservatifs ou des pessaires avec des lubrifiants spermicides et vider la vessie après les rapports sexuels (GRADE 1C) (11). Chez les femmes ménopausées, les œstrogènes administrés par voie vaginale sont également recommandés en traitement prophylactique (GRADE 2A) (11). Les produits suivants ne sont pas recommandés : la canneberge (en anglais « cranberries »), sous quelque forme que ce soit (GRADE 1A), la méthénamine (GRADE 1B), les œstrogènes administrés par voie orale (GRADE 1C), la phénazopyridine (GRADE 1C), la busserole (GRADE 1C) (11). Une prophylaxie antibiotique est possible en auto-traitement dès l’apparition des symptômes (GRADE 1B), après les rapports sexuels ou en continu. Ce traitement dure au moins six mois, après quoi une réévaluation est nécessaire (point de bonne pratique (« good practice point », GPP)) (11).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée, menée en double aveugle, ne montre pas, sur une période de 6 mois, d’effet protecteur d’un apport oral quotidien de 2 g de D-mannose, par comparaison avec 2 g de fructose, chez des femmes d’un âge médian de 61 ans (écart interquartile 46 à 73 ans) sujettes à des infections urinaires récurrentes. Le choix pragmatique d’une observance limitée et le choix du fructose comme comparateur ont peut-être exercé une influence négative sur le résultat.
- Laekeman G. Prévention des infections urinaires à l’aide de préparations à base de canneberge ? Minerva Analyse 24/05/2024.
- Williams G, Stothart CI, Hahn D, et al. Cranberries for preventing urinary tract infections. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD001321.pub7
- Christiaens T. , Heytens S. Jus de canneberges en prévention des infections urinaires récidivantes ? MinervaF 2012;11(1):10-1.
- Beerepoot MA, ter Riet G, Nys S, et al. Cranberries vs antibiotics to prevent urinary tract infections: a randomized double-blind noninferiority trial in premenopausal women. Arch Intern Med 2011;171:1270-8. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.306
- Laekeman G. Les lactobacilles en prévention des infections récidivantes des voies urinaires ? Minerva Analyse 28/04/2013.
- Beerepoot MA, ter Riet G, Nys S, et al. Lactobacilli vs antibiotics to prevent urinary tract infections: a randomized, double-blind, noninferiority trial in postmenopausal women. Arch Intern Med 2012;172:704-12. DOI: 10.1001/archinternmed.2012.777
- Bouckaert J, Berglund J, Schembri M, et al. Receptor binding studies disclose a novel class of high-affinity inhibitors of the Escherichia coli FimH adhesin. Mol Microbiol 2005:55:441-55. DOI: 10.1111/j.1365-2958.2004.04415.x
- Michaels EK, Chmiel JS, Plotkin BJ, Schaeffer AJ. Effect of D-mannose and D-glucose on Escherichia coli bacteriuria in rats. Urol Res 1983;11:97-102. DOI: 10.1007/BF00256954
- Cooper TE, Teng C, Howell M, Teixeira-Pinto A, Jaure A, Wong G. D-Mannose for preventing and treating urinary tract infections. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD013608.pub2
- Sihra N, Malde S, Greenwell T, et al. Management of recurrent urinary tract infections in women. J Clin Urol 2022;15:152-64. DOI: 10.1177/2051415820939456
- La cystite chez la femme. Ebpracticenet/Groupe de travail Développement de Guides de pratique de Première Ligne (Worel). Mis à jour: 25/01/2017.
Auteurs
Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
N30, N39
U71
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