Revue d'Evidence-Based Medicine
Le score de risque de vertige de Sudbury est-il un outil fiable pour exclure les causes graves de vertiges ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 10 Page 262 - 265
Professions de santé
Médecin généralisteContexte
L’incidence des vertiges (définis comme l’illusion que soi-même ou son environnement bouge) en médecine générale est de 16,6 cas pour 1000 patients-années (1). Dans de nombreux cas (jusqu’à 80,2%), aucun diagnostic déterminé ne peut être établi, alors que l’éventail de diagnostics est très large, incluant les troubles vestibulaires périphériques (5,4-42,1%) et psychogènes (1,8-21,6%) ainsi que des troubles neurologiques centraux (1,4-11,4%) et cardiovasculaires (3,8-56,8%) plus graves (2). Comme il n’y pas de signe clinique fiable permettant d’exclure les causes graves de vertiges, 35% des patients se présentant aux urgences avec des vertiges passent une tomodensitométrie (TDM) du cerveau, mais, dans 98% des cas, celle-ci ne révèle aucune anomalie (3). Par ailleurs, on a aussi montré que, dans les 7 jours suivant la sortie du service des urgences avec un trouble vestibulaire périphérique, le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) est 50 fois plus élevé (IC à 95% de 6,9 à 362) que chez les patients correspondants sortis après admission pour une colique néphrétique (4,5). Il est donc particulièrement difficile de détecter les cas graves de vertiges dès leur première manifestation, que ce soit aux urgences ou en médecine générale, sans tomber dans le surdiagnostic. Pour cette raison, le score de risque de vertige de Sudbury a été développé de manière à pouvoir, sur la base de l’anamnèse et des données cliniques et diagnostiques, exclure le risque d’un diagnostic grave chez les personnes souffrant de vertiges (5). Ce score de risque a été validé dans une étude récente (6).
Score de risque de vertige de Sudbury
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Prédicteur |
Points |
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Facteurs de risque d’AVC |
Sexe masculin |
1 |
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Âge > 65 ans |
1 |
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Diabète |
1 |
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Hypertension |
3 |
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Déficit neurologique |
Moteur/Sensoriel |
5 |
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Cérébelleux (diplopie, dysarthrie, dysphagie, dysmétrie, ataxie) |
6 |
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Diagnostic clinique de vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) |
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-5 |
Résumé
Population étudiée
- personnes âgées de plus de 18 ans qui se sont présentées aux services des urgences de trois hôpitaux universitaires canadiens avec comme principal motif de consultation « vertige aigu », « étourdissements » ou « instabilité des mouvements »
- exclusion des personnes présentant des symptômes depuis plus de 14 jours, un traumatisme crânien ou cervical au cours des 14 derniers jours, un score de Glasgow (GCS) inférieur à 15, une pression artérielle systolique inférieure à 90 mmHg, une syncope au cours des 14 derniers jours ou un cancer actif
- finalement, inclusion de 4559 personnes ; âge moyen : 78,1 ans (ET 7 ans) , 57,8% de femmes.
Protocole de l’étude
Étude de cohorte rétrospective multicentrique trois services d’urgence universitaires canadiens (hôpitaux tertiaires urbains)
- cinq chercheurs formés ont extrait les données de l’anamnèse, de l’examen clinique et du diagnostic provenant des dossiers médicaux informatisés d’urgence et des dossiers de consultation des personnes se présentant aux urgences pour des vertiges
- en outre, les diagnostics graves (voir la section « Mesure des résultats ») ont été extraits des dossiers hospitaliers et des rapports d’autopsie et évalués par une équipe d’experts travaillant en aveugle.
Mesure des résultats
- critère d’évaluation : diagnostic, aux urgences ou dans les 30 jours suivant la première consultation aux urgences, d’une des pathologies suivantes :
- accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique ou hémorragique, défini comme l’apparition brutale de symptômes cliniques évoquant un trouble focal ou généralisé des fonctions cérébrales, durant plus de 24 heures ou suivi du décès, en l’absence d’éléments suggérant une cause non vasculaire
- accident ischémique transitoire (AIT), défini comme un déficit neurologique focal soudain durant moins de 24 heures, avec une cause vasculaire suspectée limitée au territoire d’irrigation d’une artère spécifique au niveau du cerveau ou de la rétine
- dissection, hématome ou pseudo-anévrisme de l’artère vertébrale confirmés à la radiologie
- tumeur du cerveau, définie comme masse intracrânienne confirmée à l’imagerie, ne pouvant être expliquée par un autre diagnostic et nécessitant un traitement médical ou chirurgical dans un délai de 30 jours
- l’association entre les données anamnestiques, cliniques et diagnostiques des variables catégorielles (effectifs et pourcentages) et continues (moyennes et écarts-types) d’une part, et le diagnostic d’une pathologie grave d’autre part a été calculée à l’aide d’une
- analyse de régression logistique à une variable et à plusieurs variables
- l’aire sous la courbe (ASC) du score de risque de vertige de Sudbury a été calculée au moyen de la statistique C.
Résultats
- un diagnostic grave a été posé chez 104 patients (2,3%) : 91 patients (2,0%) avaient un AVC, 6 (0,1%) un AIT, 5 (0,1%) une tumeur du cerveau, et 2 (0,04%) une dissection de l’artère vertébrale ; une tomodensitométrie a été réalisée chez 1678 patients (36,8%), une angiographie par tomodensitométrie chez 349 patients (7,7%), et une IRM chez 253 patients (5,5%)
- l’aire sous la courbe (ASC) pour le score de risque de vertige de Sudbury était de 0,95 (avec IC à 95% de 0,92 à 0,98)
- avec un seuil de 5, la sensibilité était de 100% (avec IC à 95% de 96,5% à 100%), et la spécificité était de 69,2% (avec IC à 95% de 67,8% à 70,51%)
- avec un seuil de 7, la sensibilité était de 100% (avec IC à 95% de 94% à 100%), et la spécificité était de 84,2% (avec IC à 95% de 83,1% à 85,2%).
Conclusion des auteurs
Chez les patients souffrant de vertiges, le score de risque de vertige de Sudbury peut être utilisé pour détecter le risque d’étiologie grave. On peut donc l’utiliser comme fil conducteur pour les examens complémentaires, les consultations et les décisions de traitement, et il permet aussi d’améliorer l’utilisation des moyens et de réduire les diagnostics manqués.
Financement de l’étude
Northern Ontario Academic Medical Association en Physician Services Incorporated Foundation.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun n’est mentionné.
Discussion
Discussion de la méthodologie
Cette étude de cohorte rétrospective évalue la précision diagnostique d’un score de risque pour le vertige, d’abord élaboré à partir des résultats d’une étude de cohorte prospective (5).
Les chercheurs qui devaient extraire les données démographiques, cliniques et diagnostiques de plusieurs sources, dont le dossier médical informatisé (DMI) et les dossiers de consultation, ont été préalablement formés de manière approfondie. Outre une séance théorique sur la collecte des données, cette formation comprenait une séance pratique en groupe au cours de laquelle ils ont appris à coder les données de cinq fichiers. Cette phase a été suivie d’une phase de test au cours de laquelle ils devaient évaluer intégralement dix fichiers de manière indépendante, et ce n’est que lorsque la valeur kappa entre les deux était supérieure à 0,8 qu’ils étaient autorisés à collecter les données de manière indépendante. Cependant, même après cela, la fiabilité inter-évaluateurs des chercheurs a été surveillée de près, et dès l’instant où un seul élément du formulaire d’extraction différait entre eux, l’extraction des données était considérée comme incohérente. Même lorsqu'il manquait plus d'une variable, le dossier du patient était exclu.
Les différents éléments du critère de jugement principal sont également définis en détail. Au moins deux des trois experts d’un comité en aveugle, composé d’un neurologue et de deux urgentistes expérimentés, qui étaient en aveugle de la visite initiale au service des urgences, devaient être d’accord avec le diagnostic. Cela devrait limiter le biais de classification. En réalité, ce diagnostic standardisé n’a cependant pas été réalisé chez tous les patients ; il y a donc peut-être des erreurs dans la classification de certains résultats. Autrement dit, des maladies graves n’ont peut-être pas été diagnostiquées, on ne peut exclure cette possibilité. Par conséquent, cela peut avoir conduit à une fausse estimation de la sensibilité.
Comme le nombre de patients dans les catégories à risque les plus élevées était insuffisant pour appliquer une statique C fiable, les chercheurs ont décidé de combiner tous les scores de risque de vertige de Sudbury > 14. Pour chaque score du Sudbury Vertigo Rsk Score, le risque déterminé correspondait bien au risque prévu. Cela indique un bon calibrage du modèle.
Discussion des résultats
Les résultats de cette étude de validation rétrospective confirment la précision diagnostique établie lors de la phase de développement prospective du score de risque (ASC de 0,96 avec IC à 95% de 0,92 à 0,98) (5). Le risque de diagnostic grave, le plus souvent un AVC, était de 0% en cas de score < 5% ; de 0,9% en cas de score se situant entre 5 et 8 ; de 16,7% en cas de score > 8 ; jusqu’à 40,43% en cas de score > 13. Cependant, dans l’étude originale, le risque était de 2,1% pour un score compris entre 5 et 8, tandis que le risque était de 41% pour un score supérieur à 8. Par conséquent, si un taux de diagnostics manqués inférieur à 1% est considéré comme acceptable pour le symptôme de vertiges (sur la base de deux questionnaires auprès de médecins urgentistes (7,8)), nous pouvons également, sur la base de l’étude de validation actuelle, rassurer les patients qui ont un score < 8 en leur disant qu’ils n’ont probablement rien de grave. Quoi qu'il en soit, avec une valeur seuil sûre de 5, il y a déjà beaucoup à gagner en termes d'utilisation raisonnable des ressources.
En effet, environ 45% de tous les examens d’imagerie de cette étude ont été réalisés chez des patients ayant un score < 5.
L’analyse par régression logistique à une variable a donné des résultats sensiblement identiques dans l’étude de développement et dans l’étude de validation. Cependant, les rapports de cotes après correction pour tenir compte des facteurs de confusion et de la multicolinéarité (dans ce cas pour le sexe, l’âge > 65 ans, le diabète, les déficits moteurs/sensoriels, les déficits cérébelleux et le diagnostic de VPPB) étaient inférieurs pour tous les prédicteurs dans l’étude de validation. Le diabète et la dysphagie n’étaient même plus associés de manière statistiquement significative à un diagnostic grave. En fait, ces paramètres devraient être retirés du score de risque. La place du diabète et de la dysphagie dans le Sudbury Vertigo Risk Score n'a donc pas été validée par cette étude.
Le score de risque de vertige de Sudbury a été développé puis validé dans des populations présentant un faible risque de diagnostic grave de vertiges (respectivement 5,3% et 2,3%), contrairement aux outils de risque non validés développés précédemment (incidence allant de 10% (9,10) à 29,4% (11) et même jusqu’à 50% (12)). Cela peut avoir conduit à un biais spectral dans ces études, entraînant une surestimation de la sensibilité (9-11). La sensibilité du score TriAGe+ était trop faible (77,5%) pour exclure un diagnostic grave (11). Comme le score de risque de vertige de Sudbury a été développé puis validé dans des populations présentant une faible prévalence de diagnostics graves, cela permet d’utiliser cet outil dans les soins de première ligne. Cela ne change rien au fait qu’il serait utile de valider également le score de risque de vertige de Sudbury en soins de première ligne, car la sensibilité et la spécificité pourraient également être influencées par l’expérience des cliniciens dans la réalisation de certains tests cliniques. Cette étude étant une étude rétrospective, elle n’a pas permis d’évaluer la fiabilité inter-évaluateurs des différents tests cliniques. Il n’est donc pas possible d’évaluer dans quelle mesure le diagnostic clinique du VPPB (basé sur un test de Dix-Hallpike positif ou un test de roulis en décubitus dorsal) a toujours été établi avec précision. Ce qui est également frappant dans les résultats obtenus dans ce contexte, c’est que le nystagmus n’a pas été retenu comme facteur prédictif indépendant de la présence ou de l’absence d’une cause grave de vertiges. Pourtant, ce signe clinique fait partie de deux outils souvent recommandés. Une autre étude a montré que la batterie de tests du HINTS (test d’impulsion (Head Impulse), Nystagmus et test de l’inclinaison (Test of Skew)) et l’algorithme STANDING (nystagmus spontané (risque plus élevé) versus nystagmus positionnel ; nystagmus vertical (risque plus élevé) versus nystagmus horizontal ou rotatoire ; test d’impulsion ; équilibre) avaient une sensibilité élevée (respectivement 97% et 94%) pour exclure une origine centrale du vertige, mais le médecin doit être spécifiquement formé 13).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Selon la norme NHG, chez les patients présentant des vertiges soudains accompagnés de symptômes neurologiques (dysarthrie, diplopie, dysphagie ou ataxie (test doigt-nez anormal, test genou-talon anormal, adiadococinésie), parésie et/ou trouble sensoriel d’un ou des deux côtés du corps ou hémianopsie homonyme) et une perte auditive concomitante, il faut s’inquiéter d’un possible AVC ou AIT (14). Chez les patients présentant des vertiges aigus et des céphalées ou des douleurs cervicales intenses, une hémorragie sous-arachnoïdienne ou une dissection de l’artère vertébrale doivent être envisagées. Une sensation de « tête vide », accompagnée d’une tendance à tomber, peut indiquer un trouble du rythme cardiaque (grave). Ces patients doivent être envoyés aux urgences.
Conclusion de Minerva
Cette étude de cohorte rétrospective, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique dans trois services d’urgence au Canada, montre que le score de risque de vertige de Sudbury est un outil de diagnostic fiable pour les symptômes de vertige avec une valeur seuil de 5. Etant donné que la prévalence des pathologies graves dans cette étude correspond à un contexte de soins de première ligne, les résultats peuvent être extrapolés à la médecine générale. Toutefois, une étude diagnostique prospective supplémentaire pour comparer cet outil à un test de référence est nécessaire avant de mettre en œuvre cet outil dans la pratique quotidienne.
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- Bakker-Mutsaerts M, Dros J, Schep-Akkerman AE, et al. NHG-standaard Duizeligheid. (M75). Gepubliceerd: 2017. Laatste aanpassing: 2024.
Auteurs
Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
R42
N17
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