Revue d'Evidence-Based Medicine
Les personnes âgées en surpoids vivent-elles plus longtemps ?
Contexte
Différentes études concernant des adultes ont montré que le surpoids et l’obésité représentaient un facteur de risque indépendant de décès prématuré (1) et de survenue d’une pathologie coronaire (2). Des études d’observation récentes ont cependant montré qu’un IMC plus élevé chez des personnes âgées n’était pas nécessairement lié à une mortalité plus importante (3-5).
Résumé
Population étudiée
- habitants de Jérusalem ouest, nés en 1920 ou 1921
- identifiés via le registre national
- un tiers de la population est sélectionnée au hasard sur base du numéro d’identité ; une sélection complémentaire est opérée en 1998 et en 2005.
Protocole d’étude
- étude de cohorte prospective
- 3 cohortes d’âge prédéterminées : 70 ans en 1990 et suivi durant 18 ans (n = 447); 78 ans en 1998 et suivi durant 10 ans (n = 870); 85 ans en 2005 et suivi durant 3 ans (n = 1 086)
- interview initial au domicile par une infirmière ou un thérapeute occupationnel (questionnaire sur des données démographiques, anamnèse, style de vie, recours aux services de soins, capacités fonctionnelles et cognitives) ainsi qu’une anamnèse et un examen par un médecin
- suivi des attestations de décès délivrées par le ministère des affaires intérieures enregistrées entre 1990 et 2008.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : mortalité enregistrée jusqu’à l’âge de 88 ans pour les différentes cohortes incluses et analyse en fonction de l’IMC par tranches (18,0 à 24,9, 25,0 à 29,9, et ≥30,0 kg/m²)
- les données du premier tiers de chaque période d’observation ne sont pas retenues
- correction faite, pour la cohorte des patients inclus à l’âge de 70 ans uniquement, pour les facteurs de risque suivants : ischémie coronarienne, diabète sucré, hypertension, cancer, situation économique, activité physique, dépendance pour les activités de la vie quotidienne, tabagisme, état de santé auto estimé.
Résultats
voir tableau
Tableau. Rapport de hasards (HR) corrigé avec IC à 95% pour la mortalité chez les femmes et les hommes avec un IMC situé entre 25 et 29,9 ou ≥30 versus 18 à 24,9 pour les différentes cohortes (inclusion à 70, 78 ou 85 ans et suivi jusque 88 ans) avec exclusion des données du premier tiers de la période d’observation.
70 à 88 ans |
78 à 88 ans |
85 à 88 ans |
|
Femmes |
|||
IMC 25,0 - 29,9 |
0,55 (0,31 - 0,97) |
0,45 (0,26 - 0,76) |
0,22 (0,09 - 0,51) |
IMC ≥30 |
0,39 (0,20 - 0,79) |
0,28 (0,16 - 0,49) |
0,18 (0,07 - 0,47) |
Hommes |
|||
IMC 25,0 - 29,9 |
0,88 (0,55 - 1,40) |
0,94 (0,61 - 1,46) |
1,04 (0,47 - 2,30) |
IMC ≥30 |
1,17 (0,61 - 2,26) |
0,53 (0,27 - 1,07) |
0,28 (0,06 - 1,33) |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les valeurs plus élevées d’IMC sont associées à une mortalité moins importante entre 70 et 88 ans d’âge.
Financement
ministère du travail et des affaires sociales d’Israël, ministère de la santé publique, Eshel (institution de planning et de développement de services pour personnes âgées en Israël), institut national d’assurance et divers donateurs privés. Les sponsors ne sont intervenus ni dans l’exécution de l’étude ni dans l’analyse de ses résultats.
Conflits d’intérêt
aucun n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La sélection des sujets inclus dans cette étude de cohorte est adéquate et bien décrite. Les caractéristiques mentionnées pour les participants nous permettent de juger qu’il s’agit d’un échantillon représentatif d’une population âgée. Par exemple, une pathologie ischémique coronarienne était présente à l’inclusion chez 18 à 23% des femmes et 27,5 à 32% des hommes âgés de 70 ans.
A l’inclusion, les participants bénéficient tous d’une large interview et d’un examen clinique. Une mesure précise du poids et de la taille lors de cet examen n’est pas mentionnée ; les données auto rapportées dans ce domaine ont souvent tendance à la sous-estimation pour le poids ou à la surestimation pour la taille. D’autre part, nous savons que l’IMC est un facteur insuffisant pour prédire la mortalité chez les personnes âgées s’il n’est pas interprété en fonction de la masse musculaire (par exemple le diamètre musculaire du bras) (6). Cet élément peut avoir influencé les résultats. La non prise en compte des données du premier tiers de chaque période d’observation par les auteurs est justifiée par ceux-ci par la volonté d’éviter unerreur systématique appelée biais par survie sélective peut se produire dans une étude d’observation lorsque le décès précoce de certains patients les empêche de participer à l’étude."> biais de survie. Pourquoi les auteurs ont-ils limité la correction des résultats pour différentes variables par un modèle de hasards proportionnels de Cox à la seule cohorte des patients inclus à l’âge de 70 ans ?
Mise en perspective des résultats
Une méta-analyse incluant 32 études de cohorte de personnes âgées de plus de 65 ans (3) et 2 études d’observation récentes (4,5) ont montré une absence de différence en termes de mortalité chez les sujets en surpoids versus personnes avec un poids normal. Les résultats de l’étude de cohorte ici analysée nous montrent même que chez les personnes âgées de plus de 70 ans, un surpoids est lié à une diminution des décès précoces. Une analyse rigoureuse des résultats corrigés tempère cependant cette observation : la différence n’est significative que dans le groupe des femmes âgées de plus de 70 ans. Par contre, la différence pourrait être plus nette en considérant que la valeur de l’IMC a peut-être été sous-estimée dans cette étude (voir considérations sur la méthodologie).
Une étude de cohorte effectuée en Australie (7) observe des résultats identiques sur un suivi de 10 ans : la mortalité chez des personnes en surpoids (IMC de 25 à 29,9) est de 13% inférieure à celle de personnes avec un poids normal : HR 0,87 avec IC à 95% de 0,78 à 0,94. Dans ce cas également la diminution de mortalité est plus importante chez les femmes que chez les hommes. Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, d’explication claire sur cet effet « protecteur » du surpoids chez la personne âgée.
En n’incluant pas les données du premier tiers de chaque période d’observation, les auteurs ont exclu les pathologies provoquant une perte de poids involontaire. Par contre, ils n’ont pas pris en considération le recours à des médicaments comme indicateur indirect de maladie.
La répartition de l’OMS dans les scores d’IMC (8) est basée sur des enquêtes chez des personnes jeunes et d’âge moyen. Une méta-analyse récente (9) montre qu’un IMC normal bas (18,5 à 22,5) comme un IMC élevé (25 à 40) sont associés à une mortalité plus élevée que celle d’un groupe avec IMC de 22,5 à 25, pour les hommes comme pour les femmes. Dans cette étude avec une population plus jeune, une mortalité accrue pour le groupe de sujets en surpoids (IMC de 25 à 30) n’est également pas nette. Une analyse de cette étude (10) insiste sur la nécessité d’adapter individuellement les recommandations en cas de surpoids tant que nous ne disposons pas de données sur l’impact des variables génétiques, médicales et de comportement influençant le risque individuel et tant que nous ne disposons pas de précisions sur le rapport coût/efficacité des mesures tentées pour obtenir une perte de poids.
Pour la pratique
Les résultats de cette étude mettent en doute un lien linéaire entre poids normal, surpoids et obésité et mortalité d’autre part, chez les personnes âgées. Comme les résultats d’une autre étude d’observation (7), ils soulignent le peu de motif de dépister et de traiter le surpoids chez les personnes (fort) âgées. Une autre étude (11) montre même qu’une diminution volontaire du poids chez des personnes âgées obtenue en limitant l’apport calorique peut entraîner une régression accrue de la masse musculaire avec des conséquences défavorables en termes de capacité fonctionnelle.
Conclusion
Cette étude de cohorte montre une diminution du risque de décès plus précoce chez des femmes âgées d’au moins 70 ans et en surpoids (IMC entre 25,5 et 29) versus personnes âgées avec un poids normal (IMC de 18 à 24,9). Ces résultats trouvent confirmation dans d’autres études de cohorte. La nécessité d’une prise en considération et en charge d’un surpoids chez une personne (fort) âgée reste à évaluer.
Références
- De Backer G. L'obésité réduit l'espérance de vie. MinervaF 2004;3(1):7-9.
- Michiels B. Michiels B. Le surpoids, un facteur de risque indépendant d’ischémie coronarienne. MinervaF 2008;7(6):82-3.
- Janssen I, Mark AE. Elevated body mass index and mortality risk in the elderly. Obes Rev 2007;8:41-59.
- Lang IA, Llewellyn DJ, Alexander K, Melzer D. Obesity, physical function, and mortality in older adults. J Am Geriatr Soc 2008;56:1474-8.
- Kulminski AM, Arbeev KG, Kulminskaya IV, et al. Body mass index and nine-year mortality in disabled and nondisabled older U.S. individuals. J Am Geriatr Soc 2008;56:105-10.
- Wannamethee SG, Shaper AG, Lennon L, Whincup PH. Decreased muscle mass and increased central adiposity are independently related to mortality in older men. Am J Clin Nutr 2007;86:1339-46.
- Flicker L, McCaul KA, Hankey GJ, et al. Body mass index and survival in men and women aged 70 to 75. J Am Geriatr Soc 2010;58:234-41.
- WHO. Obesity and overweight. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs311/en/index.html
- Prospective Studies Collaboration, Whitlock G, Lewington S, Sherliker P, et al. Body-mass index and cause-specific mortality in 900 000 adults: collaborative analyses of 57 prospective studies. Lancet 2009;373:1083-96.
- Cheskin LJ, Gange SJ. BMI<22.5 and >25 predicted higher overall mortality in adults. Evid Based Med 2009;14:152. Comment on: Prospective Studies Collaboration, Whitlock G, Lewington S, Sherliker P, et al. Body-mass index and cause-specific mortality in 900 000 adults: collaborative analyses of 57 prospective studies. Lancet 2009;373:1083-96.
- Miller SL, Wolfe RR. The danger of weight loss in the elderly. J Nutr Health Aging 2008;12:487-91.
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