Revue d'Evidence-Based Medicine
L'obésité réduit l'espérance de vie
Minerva 2004 Volume 3 Numéro 1 Page 7 - 9
Professions de santé
Résumé
Contexte
Le surpoids et l’obésité sont considérés comme une cause de maladie précoce et de décès. Les interactions avec l’âge, avec le tabagisme et avec les facteurs de risque liés à l’obésité comme le diabète, l’hypertension, les dyslipidémies rendent cependant difficile l’évaluation de l’impact de l’obésité seule sur l’espérance de vie.
Population étudiée
Parmi la population de la Framingham Heart Study, la sélection a porté sur 3 607 personnes âgées de 30 à 49 ans à l’inclusion. Les critères d’exclusion étaient : maladie cardiovasculaire connue, faible poids (BMI < 18,5 kg/m2) ainsi que les personnes décédant dans les quatre années après le début de l’étude. L’inclusion a finalement concerné 3 457 sujets (1 550 hommes et 1 907 femmes). Le poids, la taille et le tabagisme à l’inclusion étaient connus pour 99 % des participants. Les données concernant l’hypertension et le diabète étaient disponibles pour tous les participants et celles concernant l’activité physique pour 84 % des inclus.
Protocole d’étude
Dans cettecritère de jugement qui va être examiné pour que l’on puisse calculer les incidences de ce critère dans le groupe exposé et le groupe non exposé. Une étude de cohorte rétrospective concerne un groupe de personnes présentant une maladie ou des résultats précis (cas). Les caractéristiques et des informations antérieures établies sur une exposition précédente à un (des) éventuel(s) facteur(s) de risque sont comparées avec celles de personnes ne présentant pas la maladie ou le résultat (contrôles). Elle peut être également appelée étude cas-témoins."> étude de cohorte prospective, les participants ont été repartis dans trois groupes suivant leur BMI : de 18,5 à 24,9 kg/m2 (normal) dans le premier, de 25 à 29,9 kg/m2 (surpoids) dans le deuxième, et égal ou supérieur à 30 kg/m2 (obésité) pour le troisième. La différence d’espérance de vie entre ces trois groupes est le critère de jugement.
Mesure des résultats
Vu la différence d’espérance de vie en fonction de l’âge, du sexe et du tabagisme, l’analyse est faite en analyse de risques proportionnels de Cox. La relation entre BMI et mortalité d’une part, entre BMI et sur-vie d’autre part, est analysée séparément dans les deux sexes, ainsi que pour les fumeurs versus non fumeurs et après standardisation pour l’âge.
Résultats
Le risque de décès est presque deux fois plus élevé chez les personnes obèses par rapport à celui des sujets qui ont un BMI normal. Dans le groupe avec surpoids, le risque de décès est augmenté chez les non-fumeurs mais pas chez les fumeurs (tableau 1). Après contrôle en fonction de la présence d’hypertension et de diabète dans tous les groupes, les hazard ratios de mortalité comparés à ceux du groupe 1 sont moins importants. Le BMI à l’âge de 30-49 ans semble un prédicteur de mortalité à l’âge de 50 à 69 ans, indépendamment du BMI dans cette dernière tranche d’âge. En estimant ces données en espérance de vie, ceci signifie que l’obésité s’accompagne d’une perte de 5 à 7 années de vie, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, pour les fumeurs comme pour les non-fumeurs (tableau 2). Cet effet sur l’espérance de vie ne se concentre pas à un âge de vie avancé mais se précise déjà avant l’âge de 70 ans avec un risque de décès prématuré plus important chez les adultes obèses comparé à celui du groupe présentant un BMI normal (tableau 2).
Tableau 1 : Hazard ratio (avec IC à 95 %) de mortalité entre personnes avec poids normal et surpoids d’une part, et entre personnes avec poids normal et obèses d’autre part. |
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Tableau 2 : Nombre d’années de vie perdues (IC à 95 %) et nombre de décès prématurés supplémentaires en comparaison avec des personnes présentant un BMI entre 18,5 et 24,9 kg/m2 (poids normal). |
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Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent que le surpoids et l’obésité à l’âge adulte s’accompagnent d’une augmentation des décès prématurés et d’une diminution de l’espérance de vie. Cette diminution est comparable à celle provoquée par le tabagisme. L’obésité est un prédicteur important de mortalité à un âge plus avancé. Au vu de l’augmentation de la prévalence de l’obésité, une prévention et un traitement plus efficients de l’obésité sont nécessaires de manière hautement prioritaire dans les programmes de santé publique.
Financement
Cette étude est financée par le Nederlandse Hartstichting et la Nederlandse organisatie voor wetenschappelijk onderzoek.
Conflits d’intérêts
Non mentionnés dans l’article.
Discussion
Données fiables
La Framingham Heart Study dispose de données concernant un nombre important de personnes, avec un long suivi. De nombreuses autres études sur ce sujet sont plus complexes au vu de biais dans les résultats étant donné les différences pour le tabagisme et pour les maladies existantes. Les fumeurs ont, en moyenne, un BMI plus bas, mais également un risque de décès plus grand, lié non au BMI bas mais au comportement tabagique. Les études qui excluent certaines personnes en fonction de leur espérance de vie limitée à cause d’une pathologie existante (cancer par exemple) sont également plus difficiles à interpréter vu que cette maladie existante peut influencer le BMI, entraînant une « perturbation » de la relation réelle entre surpoids et espérance de vie. Une littérature fort abondante traite de ce sujet 1-7. Cette étude comprend un groupe homogène de personnes, âgées de 30 à 49 ans, sans pathologie cardiovasculaire. Des 3 607 personnes incluses, 1 644 sont décédées dans l’intervalle des 4 à 40 années suivantes, en d’autres termes, cette étude comporte des nombres suffisants pour amener des résultats fiables. Le suivi de la mortalité totale dans l’étude Framingham peut également être considéré comme complet. L’indice de masse corporelle (Body Mass Index, BMI) ainsi que les définitions de normalité, surpoids et obésité repo-sent sur des critères internationalement admis 8. L’analyse primaire montre une relation forte entre obésité et espérance de vie. La question suivante, également prévue par les auteurs à l’inclusion, envisage l’influence possible d’autres facteurs, également associés à l’obésité, comme l’augmentation de la pression artérielle, la dyslipidémie, le diabète, le niveau scolaire ou le niveau d’activité physique. Si l’obésité s’accom-pagne d’un risque de mortalité plus élevé, est-ce lié à l’obésité en elle-même ou parce que les personnes obèses présentent des taux de glycémie plus élevés, une hypertension plus fréquente ou pratiquent moins d’activité physique ?
Facteurs confondants ou modifiant les effets
La relation entre obésité et espérance de vie reste significative chez les hommes et les femmes, chez les fumeurs et les non-fumeurs, indépendamment de l’âge, en tenant compte soit d’une hypertension et du diabète, soit du profil d’activité physique et de la scolarité. Une analyse multivariée tenant compte de tous les facteurs d’influence possibles n’était guère faisable et les informations concernant les effets d’une dyslipidimie étaient insuffisantes. Une question reste posée : dans l’interprétation de la relation entre obésité et espérance de vie, des facteurs tels que l’hyper-tension, la diabète et la dyslipidémie doivent-ils être considérés comme confondants ou modificateurs d’effet ? S’ils font partie d’un même syndrome métabolique, il est incorrect de distinguer, dans les analyses, l’obésité du diabète et de l’hypertension qui y sont pathophysiologiquement liés. Les auteurs font remarquer à raison que cette étude descriptive ne permet pas de tirer des conclusions sur la causalité de relations établies et, par conséquent, sur la réversibilité du risque qui a été observé. Cette étude ne démontre donc pas qu’une perte de poids chez des adultes obèses s’accompagne d’un gain en espérance de vie. Une autre limite de cette étude est le fait qu’elle ne permet de tirer des conclusions sur la relation entre surpoids et espérance de vie que chez des personnes âgées de 30 à 49
ans à l’inclusion dans l’étude. D’autres études suggèrent qu’au fil des années de vie, la relation ne disparaît pas mais se fait plus ténue 5, 9.
Quelles conclusions pour la pratique quotidienne ?
Il semble donc possible, dans une population adulte (âgée de 30 à 49 ans) grâce à des mesures simples (poids et taille) d’identifier un groupe [par exemple avec un BMI (30 kg/m2)] dont les chances de survie sont substantiellement amoindries, indépendamment de l’âge, du sexe ou du tabagisme. Pouvez-vous en tirer un enseignement pour la pratique quotidienne ? Devons-nous attendre des résultats d’études d’inter-vention contrôlées, randomisées, à grande échelle, sur l’efficacité d’une réduction de poids sur la survie d’adultes ? Ces études ne seront peut-être jamais réalisées, pour différentes raisons. En conséquence, le médecin doit se contenter de recommandations qui s’appuient sur une (bonne) pratique clinique. Tout indique que l’influence négative du surpoids et de l’obésité peut être réduite par une diminution du poids grâce à une modification de l’alimentation et à un accroissement de l’activité physique. De plus, les adultes avec surpoids et obésité sont considérés comme des personnes à haut risque et l’intensité de leur prise en charge préventive devra être maximalisée. Ceci implique une attention encore plus soutenue pour la pression artérielle, pour le métabolisme glucidique et lipidique. Ces 10 à 15 dernières années ont permis d’enregistrer beaucoup de progrès, induisant la question de la pertinence d’extrapoler en 2000-2050 des observations faites dans les années 1950-1990. Le surpoids et l’obésité augmentent partout dans le monde, également en Belgique. L’importance de ce fait à été sous-estimée durant de nombreuses années. L’étude d’intervention de Schaars montre que des conséquences graves du surpoids ou de l’obésité comme une élévation de la pression artérielle et le diabète, peuvent être évitées ou retardées par une réduction de poids (10-12). Les effets à long terme d’une réduction pondérale en cas d’obésité ne pourront cependant être scientifiquement établis qu’en assemblant les différentes pièces du puzzle. Entre-temps, la priorité doit être la prévention primaire de la survenue du surpoids avant l’âge adulte. Cette démarche nécessite une étude scientifique plus adaptée, en réseau multidisciplinaire, dans lequel le médecin généraliste doit assumer un rôle crucial.
Recommandations pour la pratique
Cette étude montre qu’une obésité à l’âge de 30 à 49 ans entraîne une réduction importante de l’espérance de vie, indépendamment du sexe, du tabagisme ou de la co-morbidité. Une attention particulière pour la prévention et une prise en charge de l’obésité est, pour ce motif, une importante priorité dans la pratique quotidienne.
La rédaction
Références
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