Revue d'Evidence-Based Medicine



Collaboration pour les soins pour traiter la dépression



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 6 Page 82 - 84

Professions de santé


Analyse de
Gilbody S, Bower P, Fletcher J et al. Collaborative care for depression. A cumulative meta-analysis and review of longer-term outcomes. Arch Intern Med 2006;166:2314-21.


Question clinique
Une collaboration structurée au niveau des soins, impliquant un rôle accru d’intervenants non médecins avec formation spécifique améliore-t-elle la qualité des soins primaires et les résultats pour les patients présentant une dépression ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre l’intérêt d’une collaboration au niveau des soins de première ligne pour le traitement de la dépression. L’absence de description précise des interventions, l’inconsistance de la description des prises en charge comparatives, le manque de critères de jugement autres qu’intermédiaires et le manque de données en termes de modification du pronostic de la dépression, ne nous permettent cependant pas de tirer des conclusions pour la pratique.


 

Résumé

Question clinique

Une collaboration structurée au niveau des soins, impliquant un rôle accru d’intervenants non médecins avec formation spécifique améliore-t-elle la qualité des soins primaires et les résultats pour les patients présentant une dépression ?

Contexte

Une collaboration au niveau des soins en première ligne peut inclure, aux côtés du médecin traitant, des professionnels de santé non médecins mais avec une formation dans un domaine particulier, un gestionnaire par patient individuel (case manager), tout comme un recours systématique à un spécialiste dans le domaine, dans ce contexte de la dépression, en santé mentale. Les interventions peuvent être d’intensité variable : encouragement par téléphone pour l’observance du traitement, suivi intensif, intervention psychosociale structurée. De précédentes synthèses évaluant des études sur ce sujet ont montré l’intérêt d’une telle approche 1,2, mais elles présentaient d’importantes limites méthodologiques (hétérogénéité des études surtout) et d’autres publications ont ensuite vu le jour. Une nouvelle synthèse était la bienvenue.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse (y compris cumulative)

Sources consultées

MEDLINE, EMBASE, CINAHL, PsycINFO, Cochrane Library, DARE, les listes de références des études trouvées

Etudes sélectionnées

Trente-sept études (sur 15 633 possibles) randomisées, contrôlées, évaluant l’efficacité d’une intervention en collaboration de soins (au moins deux des trois intervenants suivants : gestionnaire de patient individuel, praticien de première ligne, spécialiste en santé mentale) par rapport à des soins habituels (non décrits).

Population concernée

12 355 patients présentant une dépression et traités en première ligne de soins.

Mesure des résultats

Les résultats de l’intervention sur la dépression sont évalués à court terme (6 mois) et long terme (12, 18 et 24 mois, puis 5 ans) en termes de modifications enregistrées dans l’utilisation d’un antidépresseur (nombre de personnes prenant un antidépresseur ou en concordance de traitement avec les directives concernant l’utilisation des antidépresseurs).

Les données sont reprises en ampleur d’effet standardisée et analysées en fonction de différents critères au sein des études : la fidélité au modèle de collaboration, le contexte d’étude (E.-U. ou non), la méthode de recrutement, la population d’étude (patients non sélectionnés ou demandant un antidépresseur), l’expérience du praticien de première ligne, la formation du gestionnaire individuel, la supervision de celui-ci, l’addition d’une psychothérapie au traitement usuel, le nombre de sessions de gestion thérapeutique. L’analyse est faite en modèle d’effet aléatoire.

Résultats

Les résultats au niveau de l’efficacité comparative de l’intervention en termes de modifications enregistrées dans l’utilisation d’un antidépresseur (critère primaire) sont donnés dans le tableau. Les études réalisées aux E.-U. montrent un effet statistiquement significatif au contraire des études réalisées ailleurs. La supervision du gestionnaire individuel par patient, la formation spécifique de celui-ci en santé mentale influencent favorablement les résultats.

Tableau : Efficacité d’une collaboration de soins versus soins usuels, à différents termes, exprimée en SMD pour les modifications enregistrées dans l’utilisation d’un antidépresseur, avec intervalle de confiance à 95% et mesure de l’hétérogénéité des études (test I² de Higgins ou Egger en %).

 

Tableau : Efficacité d’une collaboration de soins versus soins usuels, à différents termes, exprimée en SMD pour les modifications enregistrées dans l’utilisation d’un antidépresseur, avec intervalle de confiance à 95% et mesure de l’hétérogénéité des études (test I² de Higgins ou Egger en %).

 

SMD

IC à 95%

Hétérogénéité I² (en %)

6 mois

0,25

0,18 à 0,32

Modérée (50%)

12 mois

0,31

0,01 à 0,53

non

18 mois

0,25

- 0,03 à 0,46

non

24 mois

0,15

-0,03 à 0,34

Substantielle (84%)

5 ans

0,15

0,001 0 à 0,30

?

 

L’addition d’une psychothérapie n’améliore pas l’efficacité de l’intervention, ni le délai d’introduction du traitement antidépresseur, ni le nombre de sessions de gestion du problème. L’observance du traitement est un facteur prédictif favorable.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une collaboration au niveau des soins est plus efficace que ne le sont les soins usuels dans l’amélioration des résultats à court et à long termes en cas de dépression. Ceci reste à vérifier en dehors des Etats-Unis.

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse présente une très bonne méthodologie. Les auteurs ont recherché un biais de publication par la méthode du Begg funnel plot, qui n’a pas mis un tel biais en évidence. Les auteurs ont analysé l’hétérogénéité au moyen du strong>test I² de Higgins. Ils ont également réalisé une étude de sensibilité en fonction de différents critères des différentes études (voir résultats). Ces analyses, comme le reconnaissent les auteurs, n’ont cependant qu’une valeur exploratoire. La méta-analyse cumulative qui est également réalisée, en ajoutant progressivement les différentes études en fonction de leur date de publication, montre que, dès l’année 2000, un bénéfice statistiquement significatif d’une collaboration dans les soins était montré et que les études suivantes ont toutes confirmé cette observation. Il est donc très peu probable que de nouvelles études modifient cette synthèse. Ceci est l’illustration de l’intérêt d’une méta-analyse cumulative.

Cette étude, par contre, nous laisse perplexes quant au contenu des interventions réalisées, comme à celui des comparateurs et nous pose question quant aux indicateurs de résultats utilisés. L’absence de description des soins usuels est une limite fort importante dans les comparaisons et analyses possibles. La collaboration entre les différents intervenants n’est pas décrite : quel est le rôle du gestionnaire de patient individuel vis-à-vis du patient, du médecin traitant, du spécialiste en santé mentale ? L’hétérogénéité des précédentes synthèses est ainsi également présente dans cette publication-ci. L’absence d’une plus-value, dans l’étude, de l’addition d’une psychothérapie doit être interprétée avec beaucoup de prudence : certaines études proposaient aux patients, avant inclusion, de choisir entre psychothérapie et médicament. Tout un champ de la prise en charge non médicamenteuse d’une dépression (entre autres les thérapies non comportementales) est ainsi exclu de l’étude et donc d’une comparaison possible. Le critère d’évaluation principal est le suivi des guides de pratique essentiellement en termes de prescription d’un antidépresseur et toutes les analyses se focalisent sur ce résultat. D’autres critères auraient pu être choisis par les auteurs, non intermédiaires comme ceux qu’ils ont évalués, mais concernant l’évolution de la dépression (score de Hamilton, répercussions psychosociales, taux de suicide, qualité de vie, etc.).

Il est, enfin, très étonnant que ni le financement ni d’éventuels conflits d’intérêt ne soient mentionnés.

Interprétation des résultats

Dans le cadre choisi, cette analyse confirme que des résultats favorables à court terme le sont également à plus long terme. Pour les critères choisis, l’ampleur de l’effet est modérée mais identique à celle enregistrée dans des psychothérapies face-à-face 3. Les études montrant la coexistence des 3 acteurs de la collaboration montrent également une tendance à un meilleur résultat que celles qui étaient moins fidèles à ce modèle. Les auteurs signalent que les études évaluant une collaboration des soins dans le domaine de la dépression aux E.-U. concernent des groupes à haut risque tels que des patients avec pathologie physique coexistante ou autre problème psychiatrique tel qu’une anxiété. Les différences observées à long terme ne sont cependant pas statistiquement significatives ou situées à leur limite. De manière générale, les études hors E.-U. ne montrent pas de résultats probants. Des études sont donc indispensables pour pouvoir confirmer de tels résultats dans d’autres régions. L’inférence de tels résultats à la population générale des patients déprimés que nous suivons en Belgique resterait donc à évaluer.

Pour la pratique

La faisabilité de la réalisation d’un tel modèle de soins dans notre organisation de soins de santé en première ligne reste entière. Les autorités sont-elles prêtes à investir dans les implications administratives, logistiques et financières nécessaires ? Les médecins généralistes restent également à convaincre, peu formés à une collaboration effective avec des non médecins dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique. Les collaborations, sur le terrain, au niveau des soins palliatifs, ont déjà fait évoluer les mentalités. L’évolution de la démographie de la médecine générale incitera (ou contraindra selon la vision) probablement à d’autres collaborations au niveau de la prise en charge des maladies chroniques 4,5. Un intérêt, démontré, pour le patient pourrait également être, en dehors de toute contrainte, un incitant important. Cette méta-analyse ne nous permet cependant pas de répondre à cette question.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre l’intérêt d’une collaboration au niveau des soins de première ligne pour le traitement de la dépression. L’absence de description précise des interventions, l’inconsistance de la description des prises en charge comparatives, le manque de critères de jugement autres qu’intermédiaires et le manque de données en termes de modification du pronostic de la dépression, ne nous permettent cependant pas de tirer des conclusions pour la pratique.

 

Références

  1. Gilbody S, Whitty P, Grimshaw J, Thomas R. Educational and organizational interventions to improve the management of depression in primary care: a systematic review. JAMA 2003;289:3145-51.
  2. Badamgarav E, Weingarten SR, Henning JM, et al. Effectiveness of disease management programs in depression: a systematic review. Am J Psychiatry 2003;160:2080-90.
  3. Churchill R, Hunot V, Corney R, et al. A systematic review of controlled trials of the effectiveness and cost-effectiveness of brief psychological treatments for depression. Health Technol Assess 2001;5:1-173.
  4. Laperche J, Chevalier P. Généralistes et infirmières, partenaires pour le suivi des patients chroniques ? [Editorial] MinervaF 2006;5(7):97.
  5. De Cort P, Laekeman G. Le pharmacien et les soins dispensés au patient [Editorial] MinervaF 2007;6(2):17.
Collaboration pour les soins pour traiter la dépression

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Roland M.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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