Revue d'Evidence-Based Medicine
Valeur pronostique de la pression artérielle mesurée à domicile
Minerva 2005 Volume 4 Numéro 6 Page 97 - 98
Professions de santé
Résumé
Contexte
Les avantages de la mesure de sa pression par le patient lui-même, à domicile, comparés à ceux de la mesure de la pression de façon conventionnelle par le médecin, sont bien documentés et sont pris en compte dans les recommandations pour la prise en charge de l’hypertension. Il n’existe cependant qu’une seule étude prospective de cohorte qui démontre la plus-value de l’auto-mesure dans le domaine de la morbidité et la mortalité cardiovasculaires 1. Cette étude s’est déroulée en Asie.
Population étudiée
Dans leur patientèle, 1 429 médecins de famille français recrutent 5 649 personnes hypertendues, âgées de plus de 60 ans. Elles ont, lors de la période d’inclusion de deux semaines, l’occasion de mesurer au moins quinze fois leur pression elles-mêmes. Les patients présentant un évènement cardiovasculaire récent sont exclus. Finalement 4 939 patients sont inclus (autant d’hommes que de femmes). Ils ont un âge moyen de 70 ans (ET 6,5) et sont soignés avec au moins un antihypertenseur. Au départ, 45% des patients hypertendus reçoivent une seule classe de médication antihypertensive, les autres reçoivent une association d’au moins deux médicaments.
Protocole de l’étude
Cette étude d’observation se déroule en deux phases. Durant la période d’inclusion de deux semaines, la pression moyenne, mesurée soit de façon conventionnelle soit à domicile, est déterminée. A l’occasion de deux visites chez le médecin de famille, la pression est mesurée, après un repos de cinq minutes, à trois reprises en position assise. La mesure de la pression à domicile se fait à l’aide d’un appareil semi-automatique validé avec possibilité d’impression.Durant quatre jours consécutifs, la pression est mesurée à trois reprises tant le matin (8 heures) que le soir (20 heures) par le patient, en position assise. Lors de la phase de suivi de trois ans, les patients sont suivis et traités par leur médecin de famille.Les données concernant la morbidité et la mortalité sont rassemblées de façon annuelle.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est la mortalité cardiovasculaire. Les critères d’évaluation secondaires sont la mortalité totale et la combinaison de la mortalité cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde non fatal, d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’AIT et d’hospitalisation pour ischémie coronarienne ou insuffisance cardiaque. L’analyse a été faite à l’aide du modèle de risques proportionnels de Cox.
Résultats
La durée de suivi moyenne est de trois ans (ET 0,6) et la mortalité cardiovasculaire est de 5,6 pour 1 000 années-patient. L’incidence d’évènements cardiovasculaires est de 22,2 pour 1 000 années-patient. Pour les mesures à domicile, chaque élévation de 10 mmHg de la pression systolique correspond à une augmentation du risque d’évènement cardiovasculaire de 17,2% (IC à 95% de 11,0 à 23,8) et chaque augmentation de 5 mmHg de pression diastolique à une augmentation du risque d’événement cardiovasculaire de 11,7% (IC à 95% de 5,7 à 18,1). Une même augmentation de la pression mesurée de façon conventionnelle, tant systolique que diastolique, ne s’accompagne pas d’une élévation statistiquement significative du risque d’événement cardiovasculaire. Aucune relation n’est mise en évidence entre la pression et la mortalité cardiovasculaire pour chacune des méthodes de mesure de pression. Dans une analyse multivariée prenant des patients normotendus comme référence (tant en consultation qu’à la maison), le rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">rapport de hasards de survenue d’un évènement cardiovasculaire est de 1,96 (IC à 95% de 1,27 à 3,02) chez des patients présentant une hypertension non contrôlée (pression conventionnelle et à domicile élevées), 2,06 (IC à 95% de 1,22 à 3,47) chez des patients présentant une pression conventionnelle normale mais une pression prise à domicile élevée («hypertension masquée») et 1,18 (IC à 95% de 0,67 à 2,10) chez des patients présentant une pression conventionnelle élevée mais une pression prise à domicile normale («hypertension de la blouse blanche»).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la mesure de la pression à domicile donne une meilleure valeur pronostique que la mesure de pression conventionnelle. Cette méthode devrait être utilisée systématiquement pour la mesure de la pression chez des patients soignés pour hypertension.
Financement
Aventis.
Conflit d’intérêt
Le protocole de l’étude, l’interprétation et le rapport des résultats se sont déroulés sous la supervision de la firme Aventis.
Discussion
Observation versus expérimentation
Cette étude de cohorte, prospective, d’observation, évalue la différence en valeur pronostique entre deux façons de mesurer la pression. Les détails concernant l’intervention propre (fréquence des mesures, type de traitement médicamenteux et valeurs cibles pour la pression) sont relégués au deuxième plan. Chaque médecin traitant applique sa propre stratégie. Les critères de jugement sont corrélés aux chiffres mesurés pour les patients au début de l’étude. Une corrélation entre la mortalité et la morbidité cardiovasculaires d’une part, et les différentes valeurs de pression initiales, d’autre part, est recherchée. Les résultats de cette étude de cohorte rétrospective concerne un groupe de personnes présentant une maladie ou des résultats précis (cas). Les caractéristiques et des informations antérieures établies sur une exposition précédente à un (des) éventuel(s) facteur(s) de risque sont comparées avec celles de personnes ne présentant pas la maladie ou le résultat (contrôles). Elle peut être également appelée étude cas-témoins.">étude de cohorte devraient donc être encore confirmés par une étude d’intervention, randomisée, pour amplifier le niveau de preuves des résultats observés. Néanmoins, cette forme descriptive d’étude scientifique est quand même pertinente et importante parce qu’elle indique la direction dans laquelle la recherche doit être poursuivie.
Plus-value clinique de la mesure à domicile
La plus-value scientifique et clinique de la mesure à domicile, comparée à la mesure conventionnelle, est de mieux en mieux connue. Une prévalence d’une maladie, survenue d’une maladie ou d’un risque (dépistage), étude de facteurs étiologiques.">étude transversale a montré une meilleure corrélation de la mesure à domicile avec les lésions des organes cibles. La meilleure valeur pronostique du monitoring de la pression ambulatoire, autre méthode permettant d’enregistrer la pression en-dehors de la consultation, a également été démontrée. Dans une autre recherche concernant la mesure de pression ambulatoire, Björklund a suivi durant 8,4 années 578 personnes saines âgées de plus de 70 ans, qui présentaient une pression élevée en début d’étude mais ne prenaient pas de médication pour traiter celle-ci 4. Une analyse multivariée, corrigée pour les facteurs de risque cardiovasculaires, montre que «l’hypertension ambulatoire isolée » (enregistrée par un monitoring automatique de la pression ambulatoire) et «l’hypertension persistante» (pression élevée tant en ambulatoire que mesurée par le médecin) connaissent un même pronostic péjoratif pour la morbidité cardiovasculaire. Les données quant aux mesures faites par le patient lui-même à domicile, étaient, à ce jour, plus rares. Une première étude, réalisée dans une population japonaise,montre que chaque augmentation de 10 mmHg de la pression systolique mesurée par le patient lui-même s’accompagne d’une augmentation de la mortalité cardiovasculaire et des AVC de 23% 1. Un tel rapport n’a pas été démontré pour la pression diastolique.
Importance de «l’hypertension masquée»
Cette étude française est la deuxième de cette catégorie, menée cette fois-ci dans des pratiques de médecine générale occidentales auprès de personnes de plus de 60 ans présentant une pression moyenne conventionnelle au départ de 152 mmHg (ET 17) de systolique et de 85 mmHg (ET 9) de diastolique et dont 45% sont soignés par au moins un antihypertenseur.Les résultats enregistrés pour cette population peuvent donc être extrapolés à la situation belge. Non seulement une meilleure corrélation entre les critères de jugement forts et la mesure à domicile est montrée par rapport à cette relation avec une mesure conventionnelle,mais, de surcroît, les constatations de Björklund avec les mesures automatiques ambulatoires sont confirmées. Le pronostic d’un patient présentant une «hypertension masquée», c’est-à-dire qui ne présente une augmentation de la pression que lors de l’auto-mesure et non chez le médecin, (et ce malgré un traitement antihypertenseur), est aussi mauvais que celui d’un patient présentant une «hypertension vraie», c’està- dire une augmentation de la pression en consultation et à domicile. Cette observation est étonnante et nouvelle. Il faut tenir compte du fait que les auto-mesures ont eu lieu de façon standardisée et que c’est une moyenne de plusieurs mesures étalées sur plusieurs jours qui est prise en considération. Il ne s’agit donc pas d’une mesure de la pression à domicile élevée isolée après un stress ou un effort, par exemple. Cette «hypertension masquée» semble être une nouvelle forme d’hypertension, qui survient relativement fréquemment (9% des hypertendus) et qui ne peut être dépistée que par l’auto-mesure ou le monitoring ambulatoire de la pression. L’hypertension masquée semble avoir un pronostic aussi péjoratif que celui de la «vraie hypertension», ce qui n’est pas le cas de «l’hypertension de la blouse blanche». Ce pourrait, en outre, être une des explications de la meilleure corrélation de la mesure à domicile comparée à la mesure conventionnelle avec la morbidité et la mortalité cardiovasculaires.
Conclusions
Cette étude d’observation étaie l’importance de la mesure à domicile de la pression artérielle, comme le souligne également la recommandation de la WVVH «Hypertension» 5. En outre, elle montre l’importance de «l’hypertension isolée à domicile» ou «hypertension masquée». Les publications dans ce domaine sont cependant encore trop pauvres pour permettre de formuler des conclusions pour la pratique sur ce sujet précis.
Références
- Ohkubo T, Imai Y, Tsuji I et al. Home blood pressure measurement has a stronger predictive power for mortality than does screening blood pressure measurement: a population-based observation in Ohasama, Japan. J Hypertens 1998;16:971-5.
- Kok RH, Beltman FW, Terpstra WF et al. Home blood pressure measurement: reproducibility and relationship with left ventricular mass. Blood Press Monit 1999;4:65-9.
- Clement DL, De Buyzere ML, De Bacquer DA et al. Prognostic value of ambulatory blood-pressure recordings in patients with treated hypertension. N Engl J Med 2003;348:2407-15.
- Björklund K, Lind L, Zethelius B et al. Isolated ambulatory hypertension predicts cardiovascular morbidity in elderly men. Circulation 2003;107:1297-302.
- De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
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