Analyse


Tinzaparine ou antivitamines K pour le traitement d’une thromboembolie veineuse dans le contexte d’un cancer ?


15 04 2016

Professions de santé

Analyse de
Lee AY, Kamphuisen PW, Meyer G, et al. Tinzaparin vs warfarin for treatment of acute venous thromboembolism in patients with active cancer: a randomized clinical trial. JAMA 2015;314:677-86.


Conclusion
La tinzaparine, une HBPM, n’apparait pas supérieure aux antivitamines K pour le traitement d’une thromboembolie veineuse dans le contexte d’un cancer si ce n’est pour les hémorragies non sévères mais cliniquement pertinentes. Ces résultats ne peuvent cependant pas être extrapolés en cas de traitements anticancéreux thrombopéniants, faute de données spécifiques.


 

En 2005, Minerva (1) commentait les résultats d’une étude randomisée (2) montrant qu’en prévention secondaire de la thromboembolie veineuse (TEV) chez des patients cancéreux qui en ont présenté récemment une, les héparines à bas poids moléculaires (HBPM) (daltéparine dans l’étude analysée) sont plus efficaces et aussi sûres que les anticoagulants oraux. Une analyse post hoc de cette étude avait montré une meilleure survie chez les patients avec un cancer non métastatique traité par HBPM (3). D’autres études randomisées de beaucoup plus petite taille ont soit donné des résultats en faveur des HBPM (tinzaparine) par rapport aux antivitamines K (AVK) (4) soit n’ont pas montré de différence en terme d’efficacité entre HBPM (énoxaparine) et AVK, mais bien moins d’hémorragies sous HBPM (5). Les recommandations des guides de pratique clinique récents et spécifiques à l’oncologie proposent en première intention un traitement par HBPM d’une durée de 3 à 6 mois, qu’elles soient américaines (6), britanniques (7) ou françaises (8). Le jury de la réunion du consensus de l’INAMI de 2013 sur la prévention et le traitement des thromboembolies veineuses conseille une attitude similaire (9).

 

Une publication de 2015 avec toujours le même premier auteur (10) remet en cause cette pratique. Dans cette étude dite CATCH, randomisée, en protocole ouvert, multicentrique, avec adjudication centrale, 900 patients adultes d’âge moyen de 59 ans dont 60% de femmes, avec un cancer actif et une thrombose veineuse profonde et/ou une embolie pulmonaire, ont été randomisés entre tinzaparine et warfarine (avec une induction par tinzaparine pendant 5 à 10 jours dans ce dernier groupe). La durée totale du traitement anticoagulant était de 6 mois. Le critère de jugement primaire de cette étude de supériorité était un critère composite combinant embolie pulmonaire fatale ou non, récidive d’une TVP ou nouvelle TEV. L’étude a été financée par la firme productrice de la tinzaparine et les auteurs principaux ont tous, sauf un, déclaré avoir reçu des honoraires de la firme en question. Une récidive thromboembolique a été observée chez 31 des 449 patients traités par tinzaparine versus 45 des 451 recevant la warfarine avec des taux respectifs à 6 mois de 7,2% et 10,5% (différence statistiquement non significative avec un HR de 0,65 (avec IC à 95% de 0,41 à 1,03 ; p = 0,07). Il n’y avait pas de différence entre les bras pour les hémorragies majeures, avec respectivement 12 et 11 cas. Moins d’hémorragies moins graves mais cliniquement pertinentes ont cependant été observées avec la tinzaparine (49/449) qu’avec la warfarine (69/451) (HR de 0,58 avec IC à 95% de 0,40 à 0,84 ; p = 0,004). La mortalité globale n’a pas été différente entre les deux traitements.

Cette étude de grande taille ne confirme pas les travaux antérieurs. Le seul bénéfice attribuable à la tinzaparine est la diminution des hémorragies non sévères. Comme dans les études précédentes, le problème pratique posé par les patients recevant des traitements thrombopéniants n’a pas été abordé. Dans l’étude CATCH (10), 42% des patients éligibles recevaient un traitement anticancéreux systémique. Aucun détail n’est donné. C’est cependant un problème pratique très important car, en cas de thrombopénie récidivante en rapport avec le traitement – essentiellement la chimiothérapie – on préfère souvent les HBPM qui peuvent être facilement interrompues et reprises, contrairement aux antivitamines K (11).  

 

Conclusion

La tinzaparine, une HBPM, n’apparait pas supérieure aux antivitamines K pour le traitement d’une thromboembolie veineuse dans le contexte d’un cancer si ce n’est pour les hémorragies non sévères mais cliniquement pertinentes. Ces résultats ne peuvent cependant pas être extrapolés en cas de traitements anticancéreux thrombopéniants, faute de données spécifiques.

 

 

 Références

  1. Lannoy J. Prévention de la récidive thromboembolique chez le patient cancéreux. MinervaF 2005;4:63-5.
  2. Lee AY, Levine MN, Baker RI, et al. Low-molecular-weight heparin versus a coumarin for the prevention of recurrent venous thromboembolism in patients with cancer. N Engl J Med 2003;349:146-53.
  3. Lee AY, Rickles FR, Julian JA et al. Randomized comparison of low molecular weight heparin and coumarin derivatives on the survival of patients with cancer and venous thromboembolism. J Clin Oncol 2005;23:2123-9.
  4. Hull RD, Pineo GF, Brant RF, et al. Long-term low-molecular-weight heparin versus usual care in proximal-vein thrombosis patients with cancer. Am J Med 2006;119:1062-72.
  5. Meyer G, Marjanovic Z, Valcke J, et al. Comparison of low-molecular-weight heparin and warfarin for the secondary prevention of venous thromboembolism in patients with cancer: a randomized controlled study. Arch Intern Med 2002;162:1729-35.
  6. Lyman GH, Bohlke K, Khorana AA, et al. Venous thromboembolism prophylaxis and treatment in patients with cancer: American society of clinical oncology clinical practice guideline update 2014. J Clin Oncol 2015;33:654-6.
  7. Watson HG, Keeling DM, Laffan M, et al; British Committee for Standards in Haematology. Guideline on aspects of cancer-related venous thrombosis. Br J Haematol 2015;170:640-8.
  8. Farge D, Debourdeau P, Beckers M, et al. International clinical practice guidelines for the treatment and prophylaxis of venous thromboembolism in patients with cancer. J Thromb Haemost 2013;11:56-70.
  9. INAMI. Prévention et traitement des thromboembolies veineuses. Réunion de consensus du 21-11-2013 - Rapport du jury – Texte long.
  10. Lee AY, Kamphuisen PW, Meyer G, et al. Tinzaparin vs warfarin for treatment of acute venous thromboembolism in patients with active cancer: a randomized clinical trial. JAMA 2015;314:677-86.
  11. Falanga A, Zacharski L. Deep vein thrombosis in cancer: the scale of the problem and approaches to management. Ann Oncol 2005;16:696-701.



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