Analyse
Intégration progressive des soins palliatifs dans les maisons de repos et de soins
Minerva a déjà discuté de deux études randomisées contrôlées qui examinaient l’utilité du recours précoce aux soins palliatifs chez les patients cancéreux (1-4). Une étude de 2015 n’a montré aucune différence entre l’intégration précoce des soins palliatifs et leur intégration tardive sur le retentissement des symptômes ou sur l’utilisation des services hospitaliers (1,2). Une autre étude, publiée en 2017, a montré que le passage précoce aux soins palliatifs, sous la forme d’une consultation mensuelle avec un médecin spécialiste en soins palliatifs, améliorait la qualité de vie et l’humeur après 24 semaines chez les patients chez qui un cancer avait été nouvellement diagnostiqué (3,4). Une étude randomisée contrôlée de 2017 menée auprès de personnes âgées de 80 ans et plus, atteintes de démence avancée et vivant en maison de repos et de soins, bénéficiant du soutien d’un représentant légal, a montré un intérêt limité d’une intervention comportant un outil d’information (vidéo) du représentant légal accompagné d’une concertation avec les soignants en termes d’amélioration de la communication concernant les soins de fin de vie et de réduction des hospitalisations. (5,6).
Une étude récente a examiné l’effet d’une intervention multifactorielle pour intégrer les soins palliatifs non spécialisés dans les maisons de repos et de soins (7). L’intervention comportait six étapes : la planification anticipée des soins (Advance Care Planning, ACP) avec les résidents et leur famille ; l’évaluation des besoins de soins et des problèmes ; la coordination des soins par le biais de réunions multidisciplinaires mensuelles ; des soins de qualité avec une attention particulière à la douleur et à la dépression ; les soins dans les derniers jours de vie ; la prise en charge du deuil. Un essai contrôlé randomisé incluant 78 maisons de repos et de soins dans 7 pays a comparé cette intervention versus prise en charge habituelle pendant un an. La randomisation a été effectuée en aveugle et était stratifiée selon le pays et le nombre médian de lits. Étant donné la nature de l’intervention, il n’était pas possible de maintenir l’insu pour les participants et pour les investigateurs. Les investigateurs ont rassemblé 551 (90,3%) questionnaires administrés avant l’intervention et 984 (83,5%) questionnaires administrés après l’intervention qui portaient sur le confort des résidents pendant la dernière semaine de vie (critère de jugement primaire ; mesuré à l’aide de l’échelle EOLD-CAD ) et sur la qualité des soins pendant le dernier mois de vie (critère de jugement secondaire ; mesuré à l’aide de l’échelle QOD-LTC), remplis par les membres de l’équipe des 73 maisons de repos et de soins (37 établissements où avaient lieu l’intervention et 36 établissements témoins). Aucune différence entre les deux groupes quant au confort des résidents la dernière semaine de soins n’a été observée. Dans le groupe intervention, une amélioration statistiquement significative du score QOD-LTC rapporté par les soignants eux-mêmes a été observée (différence moyenne ajustée de 3,40 avec IC à 95% de 2,01 à 4,80 ; p < 0,001) par rapport aux soins habituels, en particulier à la sous-échelle « tâches préparatoires ». En outre, 2680 (73,7%) questionnaires administrés avant l’intervention et 2437 (69,4%) administrés après l’intervention portant sur les connaissances des soignants à propos des soins palliatifs ont été rassemblés après avoir été remplis par les membres du personnel eux-mêmes dans 75 maisons de repos et de soins (37 établissements où avaient lieu l’intervention et 38 établissements témoins). Le personnel du groupe d’intervention avait de meilleurs scores, et ce de manière statistiquement significative, uniquement pour les connaissances sur les soins de fin de vie, mais cette différence n’était pas cliniquement pertinente. Les auteurs eux-mêmes donnent trois explications possibles à l’absence de résultat favorable : (1) l’intervention était trop complexe pour être achevée en un an ; (2) la mise en œuvre de l’intervention dans les différentes maisons de repos et de soins était sous-optimale en raison de la charge de travail élevée, du taux de rotation élevé des membres du personnel et du fait que l’intervention n’a pas pu être adaptée au contexte ; (3) il y avait une adéquation insuffisante entre les différentes composantes de l’intervention et le principal critère de jugement, à savoir le confort dans la dernière semaine de vie (les soins dans les derniers jours de la vie n’ont été inclus qu’à l’étape 5 et n’ont été mis en œuvre qu’après 7 mois ; l’intervention s’est concentrée sur la reconnaissance des symptômes et non sur le soulagement des symptômes).
Il y a près de dix ans a été publiée une synthèse méthodique Cochrane qui portait sur les interventions visant à améliorer les soins palliatifs chez les personnes en maison de repos et de soins (8). Seules quelques études avaient été trouvées, ayant toutes été menées aux États-Unis. Elles présentaient plusieurs sources de biais potentielles. Une meilleure satisfaction vis-à-vis des soins prodigués et une diminution de l’inconfort des personnes atteintes de démence sévère étaient les principaux résultats pour les patients, outre la possibilité d’une diminution du nombre d’admissions à l’hôpital et d’une augmentation des déclarations anticipées documentées. Plus récemment, une synthèse méthodique (9) a également rapporté les avantages des modèles de soins palliatifs indépendamment du cadre et des caractéristiques des patients. Cependant, les soins palliatifs en eux-mêmes sont toujours basés sur une approche multifactorielle, ce qui signifie que l’importance des différentes composantes (telles que la planification anticipée des soins) peut varier considérablement et peut profondément influencer le résultat. L’impact de la planification anticipée des soins sur la fin de vie chez les personnes âgées est étudié depuis un certain temps, mais le résultat reste discutable : une étude australienne (10) a pu montrer une amélioration des soins en fin de vie et de la satisfaction chez les patients et la famille, qui ont connu moins de stress, d’anxiété et de dépression, tandis qu’une récente étude randomisée en grappe, contrôlée, menée aux Pays-Bas, a dû conclure que la planification anticipée des soins chez les personnes âgées vulnérables n’améliorait pas la qualité de vie (11) ni ne réduisait les frais médicaux (12). De plus, une synthèse méthodique de la littérature récemment publiée indique que le « Liverpool Care Pathway », un protocole interdisciplinaire visant à fournir aux patients mourants un traitement digne et individualisé, n’avait pas été adapté aux résidents des maisons de repos et de soins et aux personnes atteintes de démence (13). En ce qui concerne les besoins du personnel infirmier dans l’offre de soins palliatifs aux personnes atteintes de démence, un récent article d’aperçu général (14) montre que le soutien organisationnel apparaît insuffisant, malgré le rôle de facilitation que les organisations de soins doivent jouer à cet égard.
Conclusion
Cette étude internationale, randomisée en grappe, contrôlée, de bonne qualité sur le plan méthodologique, n’a pas pu montrer d’amélioration du confort durant la dernière semaine de vie des résidents séjournant en maison de repos et de soins après une intégration progressive des soins palliatifs.
Pour la pratique
En Belgique, il existe plusieurs guides de pratique clinique concernant la planification anticipée des soins et les soins palliatifs (15). Il est plus que probable que, dans les maisons de repos et de soins aussi, des soins optimaux en fin de vie nécessitent une identification précoce des besoins possibles en soins palliatifs ainsi que des soins palliatifs individualisés avec une attention aux souhaits personnels du patient. L’étude discutée ci-dessus montre une fois de plus qu’il est difficile de montrer dans une étude randomisée contrôlée l’effet d’une intervention en lien avec l’intégration des soins palliatifs dans les maisons de repos et de soins.
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- Bakitas MA, Tosteson TD, Li Z, et al. Early versus delayed initiation of concurrent palliative oncology care: patient outcomes in the ENABLE III randomized controlled trial. J Clin Oncol 2015;33:1438-45. DOI: 10.1200/JCO.2014.58.6362
- Pype P. L’intégration précoce des soins palliatifs chez les patients atteints de cancer serait-elle quand même efficace ? Minerva bref 15/05/2018.
- Temel JS, Greer JA, El-Jawahri A, et al. Effects of early integrated palliative care in patients with lung and GI cancer: a randomized clinical trial. J Clin Oncol 2017;35:834-41. DOI: 10.1200/JCO.2016.70.5046
- Chevalier P. Discuter et fixer des objectifs thérapeutiques pour prendre en charge des personnes fort âgées souffrant de démence avancée. MinervaF 2017;16(9):222-5.
- Hanson LC, Zimmerman S, Song MK, et al. Effect of the goals of care intervention for advanced dementia: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2017;177:24-31. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.7031
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- Richtlijnen palliatieve zorg. URL: www.pallialine.be et Guidelines de soins palliatifs. URL: www.palliaguide.be
Auteurs
Wens J.
Vakgroep FAMPOP (Family Medicine and Population Health), Universiteit Antwerpen
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