Analyse


Thérapie transitoire par HBPM en cas d’initiation d’une anticoagulation orale en post-AVC chez un patient présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire?


15 09 2020

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Altavilla R, Caso V, Bandini F, et al. Anticoagulation after stroke in patients with atrial fibrillation. Stroke;50:2093-100. DOI: 10.1161/STROKEAHA.118.022856


Conclusion
Cette étude de cohorte de bonne qualité méthodologique mais ne présentant pas toutes les forces méthodologiques d’une RCT, montre que l’utilisation d’HBPM en thérapie transitoire lors de l’initiation d’un anticoagulant chez des patients présentant un accident vasculaire cérébral ischémique et une fibrillation auriculaire non valvulaire est statistiquement associée à un plus grand risque de survenue d’événements primaires (critère composite comprenant AVC, AIT, embolie systémique, saignement cérébral symptomatique et saignement extracérébral majeur) à 90 jours.



La prévention secondaire post-accident vasculaire cérébral (AVC) a pour objectif de diminuer le risque de récidive ainsi que de tout autre événement cardiovasculaire. Si en plus le patient présente une fibrillation auriculaire, facteur de risque bien connu pour la survenue d’AVC, celle-ci est d’autant plus importante et l’anticoagulation est recommandée. Les anticoagulants oraux (antagonistes de la vitamine K ou les anticoagulants oraux directs) sont approuvés dans cette indication (1). Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont souvent utilisées jusqu’à atteindre la cible INR thérapeutique : on parle alors de « relais » ou de « thérapie transitoire ».

Aucune étude évaluant cette indication en particulier n’a été publiée dans Minerva. Par contre, la substitution ou non avec une HBPM en cas d’interruption des anticoagulants oraux suscite l’intérêt de la communauté scientifique. Différents guides de pratique clinique (Canadian Cardiovascular Society et European Society of Cardiology) (2,3) réfèrent à l’étude BRIDGE, une RCT qui démontre un plus grand risque d’hémorragies majeures avec l’utilisation d’un relais avec HBPM pour couvrir une interruption de warfarine en cas de chirurgie élective, sans pour autant être inférieur à l’interruption sans relais (4). En 2015, l’étude de Kim et al. (5) mettait en évidence plus d’hémorragies majeures chez les patients qui avaient reçu une HBPM lors de l’initiation d’une anticoagulation orale chez des patients « naïfs pour la warfarine » présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire (FANV).

 

L’étude de cohorte de Altavilla et al. (2019) (6) analysée ici, basée sur les études RAF (7) et RAF-NOAC (8), a sélectionné des patients qui présentent une FANV et qui ont eu un AVC ischémique (n = 1810). L’objectif était de déterminer le risque de récidive d’événements ischémiques ou d’hémorragies majeures en fonction du schéma d’anticoagulation initié. L’introduction d’HBPM « en thérapie transitoire » (« bridging therapy ») (n = 371) jusqu’à l’atteinte de l’INR cible par les antagonistes de la vitamine K est comparée à la non-utilisation des HBPM (que ce soit avec des anticoagulants antagonistes de la vitamine K ou avec des anticoagulants oraux directs). Le critère de jugement primaire était composite : AVC, AIT, embolie systémique, saignement cérébral symptomatique et saignement extracérébral majeur.

L’HBPM a été introduite chez 371 patients, la warfarine chez 561 patients et les NOAC chez 1219 patients. 30 patients ont été perdus de vue. Une régression logistique multivariée a été réalisée pour étudier les variables indépendantes et leurs corrélations possibles avec la thérapie de transition. Les variables incluses dans le modèle étaient le score NIHSS (the National Institutes of Health Stroke Scale), la présence de diabète sucré, l'hypertension artérielle, la dyslipidémie, la FA paroxystique, le stimulateur cardiaque ; la taille de la lésion, une leucoaraïose, un score CHA2DS2-VASc après l'événement, ainsi que les antécédents d'AVC ou d'AIT, le tabagisme actuel, l'insuffisance cardiaque congestive et l'infarctus du myocarde. Les patients ont été suivis de manière prospective par le biais d'entretiens en face à face ou par téléphone.

Les résultats montrent que l’utilisation d’HPBM est statistiquement associée à un plus grand risque de survenue d’événements primaires à 90 jours : OR de 2,3 (avec IC à 95% de 1,4 à 3,7 ; p < 0,0001) qu’ils soient de nature ischémique (OR de 2,2 avec IC à 95% de 1,3 à 3,9 ; p = 0,005) ou hémorragique (OR de 2,4 avec IC à 95% de 1,2 à 4,9 ; p = 0,01).

Les limites de cette analyse, reconnues par les auteurs eux-mêmes, sont : 1/ elle n'était pas aléatoire; il est donc possible que certains facteurs de confusion aient pu influencer les résultats ; 2/ les auteurs n’ont pas eu d'informations sur le moment exact où le rapport normalisé international a atteint le niveau cible chez les patients traités par warfarine ; 3/ les tailles des 2 groupes n'étaient pas également représentées (20,5% des patients seulement ont subi une thérapie transitoire avec HBPM) ; 4/ les types de saignements n’ont pas pu être précisé car les études RAF et RAF-NOAC n'ont pas été conçues pour collecter de telles données.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Une réunion de consensus de l’INAMI (9) sur l’usage rationnel des anticoagulants oraux directs (AOD) ou des antagonistes de la vitamine K (AVK) en cas de fibrillation auriculaire (prévention thromboembolique) et en cas de thromboembolie veineuse (traitement et prévention secondaire) n’aborde pas la question spécifique de leur utilisation dans l’initiation d’une anticoagulation orale en post-AVC chez le patient présentant une FANV.

Le guide de pratique ESC 2020 (10) affirme que chez les patients atteints de FA avec un accident vasculaire cérébral ischémique ou un AIT, la prévention secondaire à long terme de l'AVC par un anticoagulant oral est recommandée s'il n'y a pas de contre-indication stricte à l'utilisation de l’anticoagulant, avec une préférence pour les NOAC par rapport aux AVK chez les patients éligibles (recommandation de classe I ; niveau de preuve A). Chez les patients atteints de FA présentant un AVC ischémique aigu, une anticoagulation très précoce (< 48 h) par HNF, HBPM ou AVK n'est pas recommandée (recommandation de classe III ; niveau de preuves B). Dans tous les cas, une évaluation spécialisée multidisciplinaire est conseillée.

 

Conclusion

Cette étude de cohorte de bonne qualité méthodologique mais ne présentant pas toutes les forces méthodologiques d’une RCT, montre que l’utilisation d’HBPM en thérapie transitoire lors de l’initiation d’un anticoagulant chez des patients présentant un accident vasculaire cérébral ischémique et une fibrillation auriculaire non valvulaire est statistiquement associée à un plus grand risque de survenue d’événements primaires (critère composite comprenant AVC, AIT, embolie systémique, saignement cérébral symptomatique et saignement extracérébral majeur) à 90 jours. 

 

 

Références  

  1. Xian Y, Wu J, O’Brien E, et al. Real world effectiveness of warfarin among ischemic stroke patients with atrial fibrillation: observational analysis from Patient-Centered Research into Outcomes Stroke Patients Prefer and Effectiveness Research (PROSPER) study. BMJ 2015;351:h3786. DOI: 10.1136/bmj.h3786
  2. Andrade JG, Verma A, Mitchell LB, et al. 2018 Focused Update of the Canadian Cardiovascular Society Guidelines for the Management of Atrial Fibrillation. Can J Cardiol 2018;34:1371-92. DOI: 10.1016/j.cjca.2018.08.026
  3. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension: The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Cardiology and the European Society of Hypertension. J Hypertens 2018;36:1953-2041. DOI: 10.1097/HJH.0000000000001940
  4. Clark NP, Douketis JD, Hasselblad V, et al. Predictors of perioperative major bleeding in patients who interrupt warfarin for an elective surgery or procedure: analysis of the BRIDGE trial. Am Heart J 2018;195:108-14. DOI: 10.1016/j.ahj.2017.09.015
  5. Kim TH, Kim JY, Mun HS, et al. Heparin bridging in warfarin anticoagulation therapy initiation could increase bleeding in non-valvular atrial fibrillation patients: a multicenter propensity-matched analysis. J Thromb Haemost 2015;13:182-90. DOI: 10.1111/jth.12810
  6. Altavilla R, Caso V, Bandini F, et al. Anticoagulation after stroke in patients with atrial fibrillation. Stroke;50:2093-100. DOI: 10.1161/STROKEAHA.118.022856
  7. Paciaroni M, Agnelli G, Falocci N, et al. Early recurrence and cerebral bleeding in patients with acute ischemic stroke and atrial fibrillation: effect of anticoagulation and its timing: the RAF study. Stroke 2015;46:2175-82. DOI: 10.1161/STROKEAHA.115.008891
  8. Paciaroni M, Agnelli G, Falocci N, et al. Early recurrence and major bleeding in patients with acute ischemic stroke and atrial fibrillation treated with non-vitamin- K oral anticoagulants (RAF-NOACs) study. J Am Heart Assoc 2017;6:e007034. DOI: 10.1161/JAHA.117.007034
  9. INAMI. L’usage rationnel des anticoagulants oraux directs (AOD) ou des antagonistes de la vitamine K (AVK) en cas de fibrillation auriculaire (prévention thromboembolique) et en cas de thromboembolie veineuse (traitement et prévention secondaire). Réunion de consensus du 30/07/2017. Conclusions - Rapport du jury - Texte long.
  10. ESC Clinical Practice Guidelines. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2020;ehaa612. DOI: 10.1093/eurheartj/ehaa612

 

 

 




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