Analyse
Faut-il administrer le ticagrélor avec ou sans aspirine chez les patients à haut risque après une angioplastie coronaire percutanée ?
Dans Minerva, nous avons déjà discuté des résultats d’une méta-analyse qui montrait qu’une bithérapie antiplaquettaire prolongée associant de l’aspirine et du ticagrélor, du clopidogrel ou du prasugrel, par comparaison avec de l’aspirine seule, pouvait être utile après un infarctus du myocarde et pouvait être envisagée dans cette indication chez les patients stables sans risque hémorragique accru (1,2). Une étude randomisée contrôlée menée en double aveugle a comparé l’association d’aspirine et de ticagrélor à l’aspirine seule chez des patients présentant une coronaropathie stable et un diabète sucré de type 2. Après un suivi médian de 40 mois, on a observé, dans le groupe sous bithérapie antiplaquettaire, une diminution dans le critère d’évaluation primaire composite combinant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et AVC (7,7% versus 8,5% ; HR de 0,90 avec IC à 95% de 0,81 à 0,99 ; p = 0,04) et une augmentation du risque d’hémorragies majeures selon les critères TIMI (2,2% versus 1,0% ; HR de 2,32 avec IC à 95% de 1,82 à 2,94 ; p < 0,001) (3). Dans un sous-groupe de l’étude THEMIS-PCI constitué de patients qui présentaient une coronaropathie stable et un diabète de type 2 et avaient des antécédents d’angioplastie coronaire transluminale percutanée, on a également observé, après un suivi médian de 3,3 ans avec l’association d’aspirine et de ticagrélor, comparée à l’aspirine seule, une diminution dans le critère d’évaluation composite combinant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et AVC (7,3% versus 8,6% ; HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,74 à 0,97 ; p = 0,01) et une augmentation des hémorragies majeures selon les critères TIMI (2,0% versus 1,1% ; HR de 2,03 avec IC à 95% de 1,48 à 2,76 ; p < 0,0001) (4). Sur la base de ces statistiques, les auteurs ont conclu à la nécessité d’envisager une bithérapie antiplaquettaire prolongée associant de l’aspirine et du ticagrélor chez les patients atteints de diabète de type 2 ayant des antécédents d’angioplastie coronaire transluminale percutanée qui ont toléré un traitement antiplaquettaire, si le risque ischémique est élevé mais que le risque de saignements est faible (4).
Une étude randomisée contrôlée menée en double aveugle a inclus 9006 patients après angioplastie coronaire transluminale percutanée avec mise en place d’un stent à élution médicamenteuse (5). Pour pouvoir être inclus, les patients devaient présenter au moins un facteur clinique et un facteur angiographique de risque d’événements ischémiques ou hémorragiques. Les facteurs cliniques étaient : âge ≥ 65 ans, sexe féminin, syndrome coronarien aigu à troponine positive, maladie vasculaire connue, diabète sucré, néphropathie chronique. Les facteurs angiographiques étaient notamment l’atteinte de plusieurs artères coronaires, la longueur du stent > 30 mm, une lésion de bifurcation. Après un traitement de trois mois avec du ticagrélor (2 x 90 mg/jour) plus aspirine (81 à 100 mg/jour), 7119 patients sans événement majeur d’hémorragie (Bleeding Academic Research Consortium (BARC) ≥ type 3b) ou d’ischémie (infarctus du myocarde, AVC, revascularisation coronaire) ont été randomisés en aveugle dans deux groupes pour recevoir soit de l’aspirine (n = 3564) soit un placebo (n = 3555). Le traitement par ticagrélor a été poursuivi dans les deux groupes. Une hémorragie de type BARC 2, 3 ou 5 après un an (critère de jugement primaire) est survenue chez 4,0% des patients dans le groupe ticagrélor + placebo versus 7,1% des patients du groupe ticagrélor + aspirine (HR de 0,56 avec IC à 95% de 0,45 à 0,68 ; p < 0,001). Pour le calcul de la puissance de cette comparaison, les auteurs ont supposé une incidence hémorragique de 4,5% à 1 an avec ticagrélor plus aspirine ; ils ont alors choisi une taille d'échantillon de 8200 patients, ce qui a fourni une puissance de 80% pour détecter une incidence inférieure de 28% dans le groupe ticagrélor plus placebo avec un taux d'erreur de type I de 0,05. Comme il se doit, cette analyse de supériorité a été réalisée en intention de traiter (6). Le risque d’hémorragie de type BARC 3 ou 5 (critère de jugement secondaire) était plus faible, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe ticagrélor + placebo que dans le groupe ticagrélor + aspirine (1,0% versus 2,0% ; HR de 0,49 avec IC à 95% de 0,33 à 0,74). Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à l’incidence d’un critère de jugement secondaire composite combinant mortalité globale, infarctus du myocarde non fatal et AVC non fatal. Il convient cependant de noter que le risque présumé de 8% dans le groupe ticagrélor + aspirine n’a pas été atteint et que, de ce fait, la puissance n’était pas suffisante pour démontrer la non-infériorité.
Que disent les guides de pratique clinique ?
En ambulatoire, il est extrêmement important, après la revascularisation, de surveiller l’état du patient et les facteurs de risque et de prévoir un traitement médicamenteux améliorant le pronostic, selon les guides de pratique clinique appropriés (7). Chez les patients présentant une coronaropathie stable, les recommandations européennes (8) préconisent une bithérapie antiplaquettaire associant de l’aspirine et du clopidogrel pendant 6 mois après le traitement par angioplastie coronaire transluminale percutanée (recommandation de classe I ; niveau de preuve A). Si ce traitement est bien toléré et qu’aucun saignement ne survient, il peut être poursuivi, pendant plus de 6 mois mais moins de 30 mois, si le risque ischémique est élevé mais que le risque hémorragique est faible (recommandation de classe IIb ; niveau de preuve A). En cas de risque hémorragique accru, il faut envisager de limiter la bithérapie antiplaquettaire à 3 mois (recommandation de classe IIa ; niveau de preuve B). Le ticagrélor ou le prasugrel, bien qu’ils n’aient jamais été étudiés chez les patients atteints d’une coronaropathie stable et subissant une PTCA, peuvent être envisagés à la place du clopidogrel chez les patients que celui-ci ne protège pas suffisamment ou qui pourraient présenter un risque accru d’hémorragies ou d’événements ischémiques.
Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée par placebo, menée en double aveugle chez des patients présentant un risque accru d’événements ischémiques et d’hémorragies majeures montre qu’après 3 mois de bithérapie antiplaquettaire associant ticagrélor et aspirine après une angioplastie coronaire transluminale percutanée, la poursuite du ticagrélor en monothérapie, par rapport à l’association de ticagrélor et d’aspirine, est associée à une diminution de l’incidence des saignements cliniquement pertinents, et ce sans augmentation du risque d’un critère de jugement composite combinant mortalité globale, infarctus du myocarde et AVC. En raison d’un manque de puissance pour cette dernière mesure de résultat, des recherches supplémentaires sont toutefois nécessaires.
- Chevalier P. Traitement antiagrégant double prolongé : intérêt post infarctus du myocarde ? Minerva bref 15/06/2016.
- Udell JA, Bonaca MP, Collet JP, et al. Long-term dual antiplatelet therapy for secondary prevention of cardiovascular events in the subgroup of patients with previous myocardial infarction: a collaborative meta-analysis of randomized trials. Eur Heart J 2016;37:390-9. DOI: 10.1093/eurheartj/ehv443
- Steg PG, Bhatt DL, Simon T, et al; THEMIS Steering Committee and Investigators. Ticagrelor in patients with stable coronary disease and diabetes. N Engl J Med 2019;381:1309-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1908077
- Bhatt DL, Steg PG, Mehta SR, et al; THEMIS Steering Committee and Investigators. Ticagrelor in patients with diabetes and stable coronary artery disease with a history of previous percutaneous coronary intervention (THEMIS-PCI): a phase 3, placebo-controlled, randomised trial. Lancet 2019;394:1169-80. DOI: 10.1016/S0140-6736(19)31887-2
- Mehran R, Baber U, Sharma SK, et al. Ticagrelor with or without aspirin in high-risk ptients after PCI. N Engl J Med 2019;381:2032-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1908419
- Chevalier P. Etudes d’équivalence versus études d’infériorité ou de supériorité. MinervaF 2009;8(8):116.
- Maladie coronarienne (MC). Ebpracticenet. Dernière mise à jour: 14/11/2016. Dernière révision contextuelle: 9/03/2019.
- Valgimigli M, Bueno H, Byrne RA, et al; ESC Scientific Document Group; ESC Committee for Practice Guidelines (CPG); ESC National Cardiac Societies. 2017 ESC focused update on dual antiplatelet therapy in coronary artery disease developed in collaboration with EACTS: The Task Force for dual antiplatelet therapy in coronary artery disease of the European Society of Cardiology (ESC) and of the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2018;39:213-60. DOI: 10.1093/eurheartj/ehx419
Auteurs
De Backer T.
Hartcentrum, Universitair ziekenhuis Gent; Klinische farmacologie, Universiteit Gent
COI :
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires