Analyse
En sait-on davantage sur les valeurs cibles de pression artérielle chez la personne âgée hypertendue ?
Contexte
Dans la plupart des grandes études randomisées contrôlées portant sur l’importance clinique du traitement de l’hypertension artérielle, les personnes âgées sont sous-représentées, tandis que leur proportion ne fait que croître dans la population occidentale. On ne sait pas si les personnes âgées de plus de 60 ans répondent mieux ou moins bien à une pharmacothérapie plus ou moins intensive de l’hypertension artérielle. On ne sait pas quelle est la valeur cible idéale de la pression artérielle chez les personnes âgées de plus de 80 ans. Les preuves de l’effet bénéfique du traitement de l’hypertension artérielle sur la mortalité sont en outre contradictoires (1,2). Huit des dix grandes études qui ont examiné l’utilité des médicaments hypotenseurs avec une pression systolique cible inférieure à 160 mmHg chez les personnes âgées en ont montré la valeur ajoutée par rapport à une pression artérielle supérieure à 160 mmHg non traitée (3). La pression artérielle cible généralement acceptée de 140/90 mmHg pour toutes les tranches d’âge a été remise en question depuis la publication de l’étude SPRINT en 2015, avec 9361 participants âgés en moyenne de 67,9 ans, dont 28% de personnes âgées de plus de 75 ans sans antécédents de diabète ni d’accident vasculaire cérébral (AVC) (4,5). Cette étude examinait l’effet d’une réduction drastique de la pression systolique cible à < 120 mmHg par rapport à l’objectif précédemment accepté de < 140 mmHg. Après 3,2 ans, on a constaté une pression artérielle moyenne de 121,5 mmHg dans le groupe recevant le traitement intensif, contre 135 mmHg dans le groupe témoin, qui recevait un traitement standard. La baisse de la pression artérielle dans le groupe traité de manière intensive était associée à une diminution statistiquement significative du risque de maladie coronarienne aiguë, d’AVC, d’insuffisance cardiaque et de mortalité cardiovasculaire, mais ces bénéfices cardiovasculaires pâtissent de la survenue concomitante d’un plus grand nombre d’effets indésirables tels que l’insuffisance rénale aiguë, l’hypotension, les syncopes et les troubles électrolytiques (6). Plusieurs études menées avec des groupes de patients spécifiques signalent les effets indésirables de valeurs cibles trop agressives (< 120/80 mmHg) en cas de coronaropathie stable (7,8), de diabète sucré (9,10), de risque cardiovasculaire élevé (11,12) et d’antécédents d’AVC ou d’accident ischémique transitoire (AIT) (13,14). Une synthèse méthodique Cochrane (15) a étudié l’effet d’une valeur cible de pression artérielle plus élevée (moins de 150/95 à 160/105 mmHg) par rapport à une valeur cible plus basse (moins de 140/90 mmHg) chez les personnes âgées de 65 ans et plus atteintes d’hypertension artérielle, et, sur la base de 3 études totalisant 8 221 participants âgés en moyenne de 74,8 ans, elle n’a pas pu montrer de différence significative en termes de mortalité totale, d’infarctus du myocarde, d’évènements cardiovasculaires graves et d’effets indésirables du traitement. Cependant, les données probantes étaient de qualité trop faible (GRADE) pour permettre de tirer des conclusions définitives sur le choix d’une valeur cible de pression artérielle plus élevée ou plus basse chez les personnes âgées atteintes d’hypertension artérielle. Une récente mise à jour de cette synthèse méthodique Cochrane effectuée en 2024 (16) a donc attiré notre attention pour une analyse plus approfondie.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique
Sources consultées
- le registre spécialisé du groupe Cochrane sur l’hypertension artérielle via le registre Cochrane des études ; le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL) via le registre Cochrane des études ; MEDLINE Ovid ; Embase Ovid ; le registre des essais en cours des Instituts américains de la santé (US National Institutes of Health Ongoing Trials Register) ; le portail de recherche de la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques de l’OMS (WHO International Clinical Trials Registry) ; jusqu’au 24 juin 2024
- les auteurs des publications pertinentes ont été contactés pour des informations supplémentaires sur les données non publiées et les publications prévues.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : RCTs menées en ouvert, avec mesure de l’effet en aveugle, tant des études avec groupes parallèles que des études croisées, chez des personnes âgées (≥ 65 ans) atteintes d’hypertension artérielle (qui étaient définies comme étant traitées pour une hypertension ou ayant une pression artérielle mesurée de manière classique ≥ 140/90 mmHg pendant au moins deux périodes de mesure) depuis au moins un an, rapportant l’effet sur la mortalité et la morbidité d’une pression systolique et diastolique cible plus élevée (< 150 à 160 mmHg et < 95 à 105 mmHg), par comparaison avec une pression systolique et diastolique cible plus basse (≤ 140/90 mmHg)
- finalement, inclusion de deux études chinoises et de deux études japonaises (voir tableau 1 pour les caractéristiques des études).
Tableau 1. Caractéristiques des études incluses.
Étude + année de publica-tion |
Pays |
Nombre de partici-pants |
Tension à l’inclusion (mmHg) |
Âge moyen (ans) |
% de femmes |
% de diabé- |
% de fumeurs |
Valeur cible plus élevée (mmHg) |
Valeur cible plus basse (mmHg) |
JATOS 2008 (17) |
Japon |
4418 |
170/90 |
73,6 |
60 |
12 |
13,5 |
140 à ≤ 160 |
< 140 |
VALISH 2010 (18) |
Japon |
3079 |
170/81 |
76,1 |
62,4 |
13 |
19,2 |
140 à ≤ 150/90 |
< 140/90 |
WHEI |
Chine |
724 |
160/84 |
76,5 |
34 |
23 |
25 |
< 150/90 |
< 140/90 |
ZHANG 2021 (20) |
Chine |
8511 |
146/82 |
66,3 |
53,5 |
19,2 |
16 |
130 à 150 |
110 à 130 |
Population étudiée
- au total, inclusion de 16 732 personnes, âge moyen de 70,3 ans, dont environ 55% de femmes, 16% de diabétiques et 16% qui fumaient (voir tableau 1), suivies pendant 2 à 4 ans.
Mesure des résultats
- principaux critères de jugement :
- mortalité totale
- AVC fatal et non fatal (AIT exclu)
- admission dans une maison de repos et de soins
- critère de jugement composite combinant évènements cardiovasculaires graves (AVC ischémique et hémorragique, AIT, mort subite, infarctus du myocarde, traitement de novo pour angor ou insuffisance cardiaque, anévrisme, rupture ou dissection de l’aorte, maladie artérielle périphérique, insuffisance rénale)
- critères de jugement secondaires :
- mortalité cardiovasculaire
- mortalité non cardiovasculaire
- syndrome coronarien aigu (infarctus du myocarde fatal et non fatal, syndrome coronarien aigu, hospitalisation pour angor, hospitalisation non prévue pour maladie cardiovasculaire)
- insuffisance cardiaque (décompensation, hospitalisation ou décès)
- insuffisance rénale (aiguë ou chronique, taux sérique de créatinine deux fois supérieur à la normale, DFG < 30, dialyse)
évènements indésirables graves (décès, hospitalisation, traitement médical en urgence) - évènements indésirables mineurs (tels que toux, fatigue, étourdissements)
- abandons en raison d’évènements indésirables
- pressions systolique et diastolique atteintes.
Résultats
- résultats des principaux critères de jugement (voir tableau 2) :
- pas de différence statistiquement significative quant à la mortalité totale entre le traitement standard et le traitement intensif de l’hypertension artérielle
- les études ne donnent pas d’informations concernant l’admission en maison de repos et de soins (MRS)
- probabilité plus élevée, et ce de manière statistiquement significative, d’AVC et d’un critère de jugement composite combinant les évènements cardiovasculaire graves, avec le traitement standard de l’hypertension artérielle qu’avec le traitement intensif
- résultats des critères de jugement secondaires :
- probabilité plus élevée, et ce de manière statistiquement significative, de mortalité cardiovasculaire et d’insuffisance cardiaque avec le traitement standard de l’hypertension artérielle qu’avec le traitement intensif (voir tableau 2)
- pas de différences entre le traitement standard de l’hypertension artérielle et le traitement intensif en termes de décès non cardiovasculaires, de syndrome coronarien aigu, d’insuffisance rénale, d’évènements indésirables graves et mineurs, d’abandons en raison d’évènements indésirables (voir tableau 2)
- en moyenne, la pression systolique était plus élevée de 9,13 mmHg (IC à 95% de 8,88 à 9,37 ; p < 0,00001 ; N = 4, n = 15 343 ; I² = 97%), et la pression diastolique, plus élevée de 2,88 mmHg (IC à 95% de 2,68 à 3,08 ; p < 0,00001 ; N = 4, n = 15 343 ; I² = 94%) dans le groupe traitement standard de l’hypertension artérielle que dans le groupe traitement intensif.
Tableau 2. Résultats des critères de jugement principaux et secondaires avec le traitement standard de la pression artérielle (valeur cible plus élevée) et avec le traitement intensif (valeur cible plus basse).
Critères de jugement |
N(n) |
Standard (n / 1000) |
Intensif (n / 1000) |
RR (IC à 95%) |
Valeur de p |
I² (%) |
GRADE |
Principaux critères de jugement |
|||||||
Mortalité totale |
4 ; 16 732 |
27 |
23 |
1,14 (de 0,95 à 1,37) |
NS |
73 |
Faible |
AVC |
4 ; 16 732 |
21 |
15 |
1,33 (de 1,06 à 1,67) |
p = 0,001 |
19 |
Élevé |
Admission en MRS |
0 ; 0 |
s.o. |
s.o. |
s.o. |
s.o. |
||
Critères de jugement composite |
4 ; 16 732 |
48 |
38 |
1,25 (de 1,09 à 1,45) |
p = 0,002 |
44 |
Modéré |
Critères de jugement secondaires |
|||||||
Mortalité cardiovasculaire |
4 ; 16 732 |
11 |
7 |
1,48 (de 1,08 à 2,02) |
p < 0,01 |
29 |
Modéré |
Mortalité non cardiovasculaire |
4 ; 16 732 |
15 |
15 |
0,98 (de 0,77 à 1,24) |
NS |
48 |
Modéré |
Syndrome coronarien aigu |
4 ; 16 732 |
15 |
11 |
1,30 (de 1,00 à 1,69) |
NS |
0 |
Faible |
Insuffisance cardiaque |
3 ; 13 653 |
5 |
2 |
2,00 (de 1,12 à 3,57) |
p = 0,02 |
47 |
Faible |
Insuffisance rénale |
3 ; |
3 |
3 |
0,96 (de 0,55 à 1,68) |
NS |
0 |
Modéré |
Évènements indésirables graves |
1 ; 3079 |
52 |
56 |
0,93 (de 0,69 à 1,24) |
NS |
Faible |
|
Évènements indésirables mineurs |
2 ; 4497 |
220 |
221 |
0,99 (de 0,91 à 1,08) |
NS |
0 |
Modéré |
Abandons en raison d’évènements indésirables |
3 ; 16 008 |
11 |
11 |
0,99 (de 0,74 à 1,33) |
NS |
52 |
Modéré |
N : nombre d’études, n : nombre de participants, RR : risque relatif, IC : intervalle de confiance, I² : Higgins, NS : non significatif, s.o. : sans objet.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’adoption d’une pression artérielle cible plus basse (≤ 140/90 mmHg), comparée à une pression artérielle cible plus élevée (systolique < 150 et 160 mmHg et diastolique entre 95 et 105 mmHg) pendant 2 à 4 ans a entraîné, avec une certitude de preuve élevée, une diminution du risque d’AVC et, avec une certitude de preuve modérée, une diminution du risque d’évènements cardiovasculaires graves. L’effet sur la mortalité globale n’est pas clair (faible certitude de preuve), et une valeur cible de pression artérielle plus basse n’a pas augmenté le nombre d’abandons de l’étude pour effets indésirables (certitude de preuve modérée). Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour les personnes âgées de 80 ans ou plus et pour les personnes vulnérables chez qui les risques et les bénéfices peuvent être différents, les valeurs cibles classiques pour la pression artérielle semblent suffisamment appropriées chez la plupart des personnes âgées atteintes d’hypertension artérielle.
Financement de l’étude
Salaire universitaire de cinq universités canadiennes, pas de financement externe.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun ; Cochrane soutient les auteurs lors de la recherche documentaire dans le cadre de cet article.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette recherche documentaire systématique a été effectuée sans restriction dans plusieurs bases de données. Deux chercheurs (et en troisième en cas de désaccord) ont sélectionné les articles qui remplissaient les critères d’inclusion. Il a ainsi été possible d’ajouter à la revue de 2017 (N = 3) une étude chinoise de 2021 impliquant 8 511 participants. Il est à noter que toutes ces études ont été menées en Asie. Ceci est probablement dû au fait que la valeur cible de pression artérielle lors du traitement intensif de la pression artérielle n’était pas extrêmement basse. C’est sans doute pour cela que l’étude SPRINT, avec une valeur cible de < 120 mmHg pour le groupe intervention, n’a pas été retenue. Comme seules 4 études ont été incluses, il n’a pas été possible de détecter le biais de publication à l’aide d’un funnel plot (qui nécessite un minimum de 10 études).
La randomisation a été effectuée correctement dans toutes les études incluses. Mais pour deux études, on ne sait pas clairement dans quelle mesure l’attribution a été effectuée en aveugle. Dans une étude, il y avait peut-être aussi un biais d’attrition car le nombre de personnes ayant quitté l’étude était plus élevé (5,9%) que le nombre de celles qui avaient atteint le principal critère de jugement (5,0% et 6,0% respectivement pour la valeur cible basse et pour la valeur cible plus élevée). Toutes les études présentent un risque élevé de biais de performance du fait que la mise en aveugle des patients et des praticiens n’était pas possible. En effet, pour atteindre la valeur cible, il faut connaître la tension artérielle de manière à pouvoir ajuster le traitement. Il se pourrait que le comportement en ait été modifié, avec pour conséquence une influence sur les résultats. Cependant, comme toutes les études garantissaient que l’évaluation de l’effet soit effectuée en aveugle, il n’y avait pas de risque de biais de détection.
Évaluation des résultats
À partir de la méta-analyse de quatre études asiatiques, on peut conclure à une diminution de la probabilité d’un AVC, d’un évènement cardiovasculaire grave et de la mortalité cardiovasculaire, et ce de manière statistiquement significative, lorsqu’une valeur cible de pression systolique < 140/90 mmHg est atteinte au lieu d’une valeur entre 150 et 160 mmHg. En chiffres absolus, pour un même risque lors de l’inclusion dans cette étude, 6 AVC pourraient être évités si une pression artérielle cible < 140/90 mmHg était appliquée chez 1000 personnes. De même, dans les mêmes conditions, on pourrait prévenir un évènement cardiovasculaire grave chez 10 personnes sur 1000 et un décès d’origine cardiovasculaire chez 3 personnes sur 1000. La certitude des preuves est élevée pour la diminution des AVC et modérée pour la diminution des évènements cardiovasculaires graves. Cette différence en termes de certitude des preuves s’explique par le fait que l’AVC peut être diagnostiqué de manière plus objective. Il est cependant difficile de déterminer l’équilibre entre les bénéfices et les effets indésirables, en raison d’un enregistrement insuffisant des effets indésirables dans les différentes études. Ainsi, 3 des 4 études ne fournissent que des données très limitées, voire aucune donnée, sur les effets indésirables mineurs. Contrairement à la diminution de la mortalité cardiovasculaire, nous n’observons pas de différence statistiquement significative dans la mortalité globale sur une durée de traitement de 3 ans. Pour ce résultat, la certitude des preuves est toutefois faible en raison d’une forte hétérogénéité statistique (I² = 73%). Cette hétérogénéité est probablement due aux différentes valeurs cibles utilisées, aux différents critères d’inclusion et d’exclusion (par exemple, dans quelle mesure ont été exclues les personnes ayant des antécédents d’AVC), à la différence d’âge (l’unique étude ajoutée, la plus vaste des quatre études, a entraîné une diminution de 4,5 ans de l’âge moyen, l’amenant à 70,3 ans) et aux différentes manières utilisées pour mesurer la pression artérielle.
Le fait qu’il s’agit d’une population asiatique ne facilite pas l’extrapolation à notre contexte de soins de santé en raison d’un régime alimentaire différent, d’une utilisation différente des médicaments antihypertenseurs avec peu de diurétiques, d’une incidence plus élevée des AVC. Par ailleurs, nous nous demandons pourquoi les antécédents d’AVC ont été strictement exclus dans certaines études, alors qu’il s’agit d’une complication très importante de l’hypertension artérielle dans la population asiatique. Il faut également souligner que les critères d’exclusion des différentes études garantissaient que la population étudiée était composée de personnes âgées dont l’état cardiovasculaire était stabilisé (AVC ou infarctus du myocarde survenu depuis au moins 6 mois, exclusion si insuffisance cardiaque de stade III ou IV ou insuffisance cardiaque aiguë, ou si arythmie, telle qu’une fibrillation auriculaire (car « la mesure clinique de la pression artérielle serait rendue plus difficile »). Parmi les critères d’exclusion figuraient aussi les maladies rénales avec un taux sérique de créatinine ≥ 1,5 mg/dl et ≥ 2mg/dl, les maladies hépatiques, la démence d’Alzheimer et d’autres maladies. La population étudiée est donc plutôt constituée d’un groupe sélectif de personnes âgées de plus de 65 ans « en bonne santé ». Cependant, les adultes de plus de 65 ans atteints d’hypertension artérielle constituent une population spécifique présentant davantage de comorbidités combinées (diabète, détérioration de la fonction rénale, déclin cognitif, hypertrophie ventriculaire gauche), davantage de polypharmacothérapie, une plus grande instabilité de la pression artérielle et une plus grande probabilité de macro-occlusions vasculaires (maladie coronarienne, maladie vasculaire cérébrale, maladie artérielle périphérique). Chez les personnes de plus de 80 ans, ces problèmes sont encore plus marqués et s’accompagnent d’une plus grande fragilité. Une étude impliquant des personnes âgées de plus de 85 ans a montré que le déclin cognitif et physique était moins important lorsque la pression systolique était plus élevée (21). Une autre étude a montré une mortalité diminuée en cas d’hypertension artérielle chez les personnes âgées les plus fragiles (22). D’autre part, l’étude HYVET, menée auprès de personnes âgées de plus de 80 ans présentant une hypertension artérielle sans complication, a montré qu’un traitement pharmacologique de l’hypertension artérielle avec une pression systolique cible < 150 mmHg et une pression diastolique < 80 mmHg pouvait être bénéfique. Les résultats de cette RCT et ceux des études de cohortes sont plutôt contradictoires, ce qui souligne le caractère unique de la population très âgée et invite à mener des recherches plus approfondies à ce sujet. En raison du nombre limité de participants très âgés et fragiles dans la synthèse méthodique Cochrane examinée ici (dans laquelle 3 études sur 4 excluaient les personnes âgées de plus de 80 à 85 ans), elle ne peut pas contribuer à combler cette lacune scientifique.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique du NICE (National Institute for Health and Care Excellence) (2023) propose comme valeur cible < 140 mmHg chez les personnes de 60 à 79 ans et de < 150 mmHg chez celles qui ont 80 et plus (23). La Société Européenne d’Hypertension artérielle recommande les mêmes valeurs cibles, et elle ajoute, dans les cas d’hypertension systolique isolée, une valeur cible systolique de < 150 mmHg chez les personnes âgées de plus de 65 ans (24). L’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) recommande, chez les patients ≤ 70 ans, une pression systolique < 140 mmHg et < 130 mmHg chez les personnes qui présentent un risque accru de maladies cardiovasculaires (si le traitement est bien toléré). Chez les personnes âgées > 70 ans qui sont en bonne santé et qui sont actives physiquement, mentalement et socialement, la pression artérielle cible est < 150 mmHg. En l’absence d’effets indésirables, une pression artérielle cible < 140 mmHg peut être envisagée. Chez les personnes âgées fragiles, on vise une pression systolique < 150 mmHg avec une pression diastolique ≥ 70 mmHg, à condition de faire preuve de prudence lors de l’augmentation progressive du médicament (25).
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique Cochrane, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, de 4 RCTs menées en ouvert, avec un risque de biais limité, montre des gains statistiques limités en termes d’incidence des AVC et des évènements cardiovasculaires graves et de mortalité cardiovasculaire avec une pression artérielle cible < 140/90 mmHg par rapport à < 150-160/95-105 chez des personnes âgées ayant en moyenne 70 ans atteintes d’hypertension artérielle, avec ou sans antécédents cardiovasculaires stabilisés. En raison du manque d’informations dans les études incluses, nous ne pouvons rien conclure concernant le rapport entre les bénéfices du traitement et ses effets indésirables. Cette étude ne permet pas non plus de tirer de conclusion concernant la pression artérielle cible idéale chez les personnes âgées de plus de 80 ans, les personnes âgées fragiles et les personnes âgées présentant des comorbidités plus graves.
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- Cardiovasculair risicomanagement. NHG-Standaard. (M84). Gepubliceerd: juni 2019. Laatste aanpassing: september 2024.
Auteurs
De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Mots-clés
accident vasculaire cérébral, antihypertenseur, AVC, effet indésirable, événement cardiovasculaire, hypertension artérielle, infarctus du myocarde, institutionnalisation, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, mortalité, mortalité cardiovasculaire, pression artérielle, syndrome coronarien aiguGlossaire
Code
I10
K86
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