Analyse


La contraception orale est associée à un risque de thromboses artérielles.


19 09 2025

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien, Sage-femme
Analyse de
Yonis H, Løkkegaard E, Kragholm K, et al. Stroke and myocardial infarction with contemporary hormonal contraception: real-world, nationwide, prospective cohort study. BMJ 2025;388:e082801. DOI : 10.1136/bmj-2024-082801


Question clinique
Dans une étude de cohorte danoise, quelle est l'association entre l'utilisation de contraceptifs hormonaux contemporains et le risque d'accident vasculaire cérébral ischémique et d'infarctus du myocarde en fonction du type d'œstrogène, de la dose d'œstrogène, du type de progestatif, du mode d'administration et de la durée d'utilisation ?


Conclusion
Cette étude de cohorte danoise montre une association entre risque de thrombose artérielle et tout type de contraception hormonale (hormis le dispositif intra-utérin libérant du lévonorgestrel). Malgré cette augmentation statistiquement significative du risque d'accident vasculaire cérébral ischémique et, dans certains cas, d'infarctus du myocarde lié à l'utilisation de la génération actuelle de contraceptifs hormonaux, les risques absolus restent très faibles. Toutefois, compte tenu de l'utilisation répandue de ces produits et de la gravité d'une thrombose artérielle, ces résultats ont des implications importantes pour la santé publique. Les professionnels de santé doivent donc tenir compte de ces risques lorsqu'ils évaluent les avantages et les risques des contraceptifs hormonaux.


Contexte

La contraception hormonale est associée à un risque de thromboses veineuses ou artérielles. En 2012, Minerva a analysé (1,2) une large étude danoise portant sur 8 010 290 femmes-années sous contraceptifs oraux oestroprogestatifs (alias pilule combinée, contraceptif oral combiné ou COC) pour identifier le risque de thrombo-embolie veineuse (TEV). Par rapport aux femmes qui ne prenaient pas de COC, ce risque s’est avéré trois fois plus élevé avec une pilule à base de lévonorgestrel et six fois plus élevé avec une pilule à base de désogestrel, de gestodène ou de drospirénone. L’auteur recommandait dès lors une pilule à base de lévonorgestrel comme progestatif en premier choix lors de l’instauration d’une contraception orale combinée. En 2017, une autre analyse (3,4) a porté sur l’étude d’une grande cohorte française de femmes (n = 4 945 088) mais avec de nombreuses limites méthodologiques, montrant qu’il y a un risque accru, sous contraceptifs oestroprogestatifs oraux combinés, d’accidents vasculaires veineux (embolie pulmonaire) et artériels (accident vasculaire cérébral et infarctus du myocarde). Il s’en est conclu d’en avertir les femmes qui désirent recourir à ce moyen contraceptif et de privilégier une combinaison associant des doses réduites d’éthinylestradiol (20 µg) pour l’œstrogène et du lévonorgestrel. Une nouvelle étude danoise (5) a analysé l'association entre l'utilisation de contraceptifs hormonaux contemporains de tout type et le risque de thrombose artérielle, accident vasculaire cérébral ischémique (AVC) ou infarctus du myocarde (IDM).

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • critères d’inclusion : toutes les femmes danoises âgées de 15 à 49 ans entre 1996 et 2021
  • critères d’exclusion : antécédent médical de thrombose artérielle ou veineuse, de cancer (à l'exception du cancer de la peau non mélanocytaire), de thrombophilie, de maladie hépatique, de maladie rénale, de prise d'antipsychotiques, de traitement contre l'infertilité, d'hormonothérapie, d'ovariectomie, d'hystérectomie, de syndrome des ovaires polykystiques et d'endométriose
  • au total, 2 025 691 femmes âgées de 15 à 49 ans avec un âge médian de 34 ans (du premier au troisième quantile 23-42) avec 22 209 697 années-personnes de suivi.

 

Protocole d’étude

  • étude de cohorte nationale
  • couplage des données de 6 registres : 
    • le système d’état civil, qui contient des informations sur le sexe, la date de naissance et l’état civil de tous les citoyens danois depuis 1968
    • le registre national des statistiques sur les médicaments, qui inclut des informations sur toutes les ordonnances utilisées dans les pharmacies danoises depuis 1995 
    • le registre national des patients qui comprend des informations sur les diagnostics de sortie et les interventions chirurgicales pour toutes les admissions somatiques à l’hôpital depuis 1976 
    • le registre national des naissances, qui contient des informations sur toutes les naissances vivantes et les décès depuis 1973 
    • le registre des avortements provoqués légalement, qui inclut des informations sur tous les avortements provoqués au Danemark depuis 1973 
    • statistique Danemark, qui fournit une mise à jour annuelle du niveau d’éducation de tous les citoyens danois.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement : premier diagnostic d’accident vasculaire cérébral ischémique ou d’infarctus du myocarde.

 

Résultats 

  • 4730 AVC et 2072 IDM au cours du suivi avec 93 femmes (2,0%) ayant développé un AVC et 185 femmes (8,9%) ayant subi un IDM décédées dans les 30 jours suivant le diagnostic
  • taux standardisé d'AVC pour 100 000 personnes-années : 
    • 18 (avec IC à 95% de 18 à 19) pour l'absence de contraception
    • 39 (avec IC à 95% de 36 à 42) pour la contraception orale combinée
    • 33 (avec IC à 95% de 25 à 44) pour la pilule progestative seule 
    • 23 (avec IC à 95% de 17 à 29) pour le dispositif intra-utérin 
  • taux standardisé d’IDM pour 100 000 personnes-années :
    • 8 (avec IC à 95% de 8 à 9) pour l'absence de contraception
    • 18 (avec IC à 95% de 16 à 20) pour la contraception orale combinée
    • 13 (avec IC à 95% de 8 à 19) pour la pilule progestative seule 
    • 11 (avec IC à 95% de 7 à 16) pour le dispositif intra-utérin
  • comparaison entre le type de contraception par rapport à l’absence de contraception : 
    • contraception orale combinée : rapport de taux ajusté de 2,0 (avec IC à 95% de 1,9 à 2,2) pour les AVC et de 2,0 (1,7 à 2,2) pour les IDM, correspondant à des différences de taux standardisées de 21 (18 à 24) AVC supplémentaires et de 10 (7 à 12) IDM supplémentaires pour 100 000 personnes-années
    • pilules progestatives : rapport taux ajusté de 1,6 (avec IC à 95% de 1,3 à 2,0) pour les AVC et de 1,5 (1,1 à 2,1) pour les IDM, soit 15 (6 à 24) AVC supplémentaires et 4 (-1 à 9) IDM supplémentaires pour 100 000 années-personnes
    • contraception non orale 
      • par anneau vaginal : risques accrus de 2,4 (avec IC à 95% de 1,5 à 3,7) pour les AVC et de 3,8 (2,0 à 7,3) pour les IDM 
      • patch : risques accrus de 3,4 (1,3 à 9,1) pour les AVC et aucun pour IDM
      • implant de progestatif seul : risques accrus de 2,1 (avec IC à 95% de 1,2 à 3,8) pour les AVC et ≤ 3 infarctus du myocarde
      • dispositif intra-utérin avec progestatif seul : aucun risque accru (1,1 (1,0 à 1,3) pour l'AVC et 1,1 (0,9 à 1,3) pour l’IDM).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que « l'utilisation de contraceptifs œstroprogestatifs et progestatifs contemporains a été associée à un risque accru d’AVC ischémique et, dans certains cas, d’IDM, à l'exception du dispositif intra-utérin libérant du lévonorgestrel, qui n'était associé à aucun de ces deux risques. Bien que les risques absolus soient faibles, les cliniciens doivent inclure le risque potentiel de thrombose artérielle dans leur évaluation des bénéfices et des risques lors de la prescription d'une méthode contraceptive hormonale ».

 

Financement de l’étude

Fonds venant de Sygeforsikringen ‘Danmark’ (assurance-santé danoise).

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Liens d’intérêt rapporté avec l’industrie pour plusieurs auteurs.

 

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie

L’outil d’aide à la rédaction des études de cohortes est STROBE. Les auteurs ne signalent pas s’y référer. L’article respecte cependant la grande majorité des critères, ce qui témoigne d’une rigueur méthodologique et rédactionnelle élevée.
Les auteurs présentent leur travail comme une étude de cohorte prospective. Notons d’abord qu’une cohorte est toujours prospective et que le terme « cohorte prospective » est donc un pléonasme. D’un point de vue terminologique strict, cette analyse de cohorte est rétrolective car une question de recherche est définie après constitution des banques de données.
Les données proviennent de différents registres nationaux, ce qui permet d’obtenir un très grand nombre de sujets mais n’a pas la qualité d’une étude clinique où l’on se base sur le dossier du patient en récoltant les données en temps réel si elle est prospective. Par exemple, les registres de prescription ne signifient pas que la patiente a bien pris le médicament car l’observance médicamenteuse ne peut pas vérifiée. La compliance est déduite des achats. Le mode de vie (tabagisme, BMI) n’est disponible que pour une sous-population (les femmes ayant accouché depuis 2004), et les antécédents familiaux ne sont accessibles que partiellement (données disponibles uniquement si les parents ont vécu au Danemark). Ces lacunes peuvent introduire un biais de confusion résiduel, bien que les analyses complémentaires aient montré une stabilité des résultats. Il en est de même pour les complications (AVC, IDM) qui sont identifiées par le registre national de diagnostic de sortie d’hospitalisation, ignorant le secteur ambulatoire, et qui n’ont pas été vérifiées dans le dossier médical.
Il ne s’agit pas d’une étude randomisée et elle est donc à risque de biais comme le mentionnent d’ailleurs les auteurs. Il y a de multiples facteurs de confusion potentiels que les auteurs ont essayé de minimiser en manipulant les registres qu’ils ont consultés, comme notamment le cancer, la thrombophilie, l’hypertension artérielle, le diabète, la fibrillation ou le flutter auriculaire, l’hypercholestérolémie, la grossesse et la chirurgie.

 

Évaluation des résultats

Les résultats de l’étude peuvent avant tout s’appliquer pour une population féminine danoise de moins de 50 ans et affiliée au système de sécurité sociale du Danemark. On peut raisonnablement extrapoler que la population belge n’est guère fort différente. Les données confirment que la contraception hormonale est associée à un risque accru d’IDM et d’AVC qui est significatif même s’il est faible et que ce risque est continu, quel que soit l’âge. Ainsi pour la contraception orale combinée, le risque est de l’ordre de 21 et 10 AVC et IDM supplémentaires respectivement pour 100 000 personnes-années. Les femmes qui prennent une contraception hormonale de tout type doivent en être averties.
Cette étude basée sur des données de registres ne permet pas de déterminer des groupes de femmes plus particulièrement à risque. Il faut cependant savoir que les auteurs ont exclu de l’analyse une série de conditions identifiées dans les registres comme antécédents ou comorbidités : hystérectomie, ovariectomie, syndrome des ovaires polykystiques, endométriose, traitement de la fertilité, hormonothérapie, cancer, thrombophilie, toute thrombose artérielle ou veineuse, maladie du foie, insuffisance rénale, prise d'antipsychotiques. 
Le risque de thrombose artérielle coronaire ou cérébrale a été identifié pour tout type de contraception hormonale à l'exception du dispositif intra-utérin libérant du lévonorgestrel. Il faut noter que la durée d'exposition a été définie par les registres d'achat, ce qui a pu entraîner une classification erronée, notamment pour ces contraceptifs à action prolongée. Un retrait précoce et non détecté pourrait entraîner une classification erronée de la non-exposition comme exposition comme le discutent les auteurs.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La conférence de consensus de l’INAMI de 2013 sur l’usage adéquat de la contraception hormonale (6) rapporte que la contraception hormonale avec oestroprogestatifs est associée à un risque accru d’infarctus du myocarde et d’AVC ischémique et qu’afin que l’utilisatrice (potentielle) du contraceptif puisse prendre sa décision en connaissance de cause, elle doit être suffisamment informée sur la question. Un médecin qui prescrit un moyen de contraception doit effectuer une anamnèse personnelle et familiale complète, et doit tenir compte des facteurs de risques cardiovasculaires, du tabagisme, de l’usage de médicaments et de la pression artérielle de sa patiente. Dans ses recommandations pour la pratique clinique, le CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français) (7) constate qu’il n’existe pas de différence de risque thrombotique artériel entre les générations de contraception hormonale combinée utilisées en 2018 en France. Ces contraceptifs sont contre-indiqués chez les femmes à haut risque vasculaire artériel. Le collège considère que les contraceptions progestatives quel que soit le type ne semblent pas associées au risque artériel.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte danoise montre une association entre risque de thrombose artérielle et tout type de contraception hormonale (hormis le dispositif intra-utérin libérant du lévonorgestrel). 
Malgré cette augmentation statistiquement significative du risque d'accident vasculaire cérébral ischémique et, dans certains cas, d'infarctus du myocarde lié à l'utilisation de la génération actuelle de contraceptifs hormonaux, les risques absolus restent très faibles. Toutefois, compte tenu de l'utilisation répandue de ces produits et de la gravité d'une thrombose artérielle, ces résultats ont des implications importantes pour la santé publique. Les professionnels de santé doivent donc tenir compte de ces risques lorsqu'ils évaluent les avantages et les risques des contraceptifs hormonaux.

 

 

Références  

  1. Peremans L. Risque de thromboembolie veineuse suite à la prise de contraceptifs oraux à des doses différentes de progestagènes et d’estrogènes. Minerva Analyse 28/09/2012
  2. Lidegaard Ø, Nielsen LH, Skovlund CW, et al. Risk of venous thromboembolism from use of oral contraceptives containing different progestogens and oestrogen doses: Danish cohort study, 2001-9. BMJ 2011;343:d6423.  DOI: 10.1136/bmj.d6423
  3. Sculier JP. Contraceptifs oraux oestroprogestatifs combinés : risque thromboembolique veineux et artériel accru ? Minerva Analyse 15/02/2017
  4. Weill A, Dalichampt M, Raguideau F, et al. Low dose oestrogen combined oral contraception and risk of pulmonary embolism, stroke, and myocardial infarction in five million French women: cohort study. BMJ 2016;353:i2002. DOI:  10.1136/bmj.i2002 
  5. Yonis H, Løkkegaard E, Kragholm K, et al. Stroke and myocardial infarction with contemporary hormonal contraception: real-world, nationwide, prospective cohort study. BMJ 2025;388:e082801. DOI: 10.1136/bmj-2024-082801
  6. INAMI. Usage adéquat de la contraception hormonale. Réunion de consensus - 16/05/2013.  Rapport du jury - texte long. 
  7. Plu-Bureau G, Sabbagh E, Hugon-Rodin J. Contraception hormonale et risque vasculaire. RPC Contraception CNGOF. Gynécol Obstét Fertil Sénol 2018;46:823‑33. DOI:  10.1016/j.gofs.2018.10.007


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :

Code


I21, I63, I64, I74
K75, K90, K92


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