Revue d'Evidence-Based Medicine
Opioïdes et lombalgies chroniques : efficacité et sécurité
Minerva 2007 Volume 6 Numéro 7 Page 98 - 99
Professions de santé
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Discussion |
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Considérations sur la méthodologie |
Les auteurs signalent eux-mêmes les biais de recherche dans la littérature (études publiées et en anglais), biais d’échantillon et faible qualité globale des études de méthodologies fort différentes. La qualité des études évaluant le mésusage des opioïdes dans cette indication est particulièrement faible : 1 seule étude a un score de qualité acceptable. La durée de ces études est très courte. S’il est admis actuellement qu’une étude sur des douleurs chroniques doit au moins durer 12 semaines (1) (5 études sur 15 ici), ceci nous paraît encore trop court pour une pathologie chronique. Le nombre de patients dans chaque étude est en majorité relativement faible (moins de 100 par groupe), avec des taux de sorties d’études importants : dans 10 des 15 études retenues (67%), au maximum 55 personnes terminent l’étude. Les traitements analgésiques utilisés avant les études ne sont pas adéquatement décrits dans plusieurs études. L’hétérogénéité clinique est importante : patients initialement naïfs ou expérimentés pour les opioïdes, lombalgies diverses (nociceptives ou mécaniques, avec ou sans radiculopathie), autres médicaments que ceux de l’étude utilisés avec critères de jugement primaire évalués différemment. La confusion lombalgie et lombosciatalgie est très fréquente dans toute la littérature et pose des problèmes importants de lecture et de comparaison. Pour les études évaluant l’efficacité, 11 sur 15 sont financées par l’industrie pharmaceutique. |
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Valeur des résultats |
L’estimation de la prévalence du traitement des lombalgies chroniques par des opioïdes qui est donnée, nous semble très aléatoire et ne nous apporte pas d’éclairage utile. Les deux méta-analyses évaluant l’efficacité ne montrent pas de bénéfice d’un traitement opioïde versus placebo ou non opioïde d’une part (3 études en double aveugle sur 4), ni pour les opioïdes en considérant la sédation de la douleur versus son niveau initial (1 seule étude en double aveugle, ne montrant également pas de différence significative). Le nombre d’études retenues est cependant très faible. Une diminution de l’intensité de la douleur n’est pas nécessairement, dans plusieurs études, associée à une amélioration du status fonctionnel. |
Les praticiens experts dans le traitement de la douleur estiment que, plus que l’intensité de la douleur, c’est l’aspect fonctionnel qui est un paramètre capital du suivi des patients douloureux chroniques. Fixer avec le patient des objectifs réalistes et les évaluer régulièrement s’il y parvient, est souvent plus intéressant, dans la pratique, que de déterminer une intensité douloureuse sur une réglette. Les études qui montrent un certain bénéfice sont des études à moins de 4 mois. Des études complémentaires à long terme sont indispensables. |
Le mésusage des opioïdes est fréquent (un peu plus de la moitié des patients sur leur vie selon cette méta-analyse-ci). Les deux études qui recherchent les caractéristiques des patients associées à une prévalence accrue d’addiction, notent une plus grande proportion de femmes, une comorbidité médicale plus importante, une prévalence plus importante de mésusage médicamenteux, un âge plus jeune. Une étude plus récente confirme ces associations en y ajoutant les douleurs suite aux traumatismes liés à des accidents de voiture (2). Cette méta-analyse n’évalue pas l’efficacité comparative des différents opioïdes (dont le coût peut être fort différent) entre eux, ni leurs effets indésirables (hors addiction) ni leur place dans la stratégie de prise en charge des lombalgies chroniques. |
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Antalgiques dans les lombalgies chroniques |
Une synthèse de la littérature de RCTs concernant les analgésiques dans les lombalgies chroniques (3) ne mentionne que le tramadol et l’association tramadol plus paracétamol comme ayant prouvé une plus grande efficacité que le placebo, et le diflunisal comme équivalent au paracétamol. Une autre synthèse de la littérature (4) conclut à des preuves de qualité moyenne quant à l’efficacité d’opioïdes faibles dans cette indication, sans différence entre eux (mais avec une intolérance relativement élevée, entraînant un arrêt pour effets indésirables pour 4 à 35% des patients) et à un très bas niveau de preuves quant à l’efficacité des opioïdes forts (avec des effets indésirables potentiels importants y compris une addiction). Le mésusage potentiel appelle une sélection attentive des patients : les antécédents d’abus médicamenteux sont une contre-indication à la prescription d’opioïdes en douleur chronique, ou demandent au minimum un suivi rapproché. |
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Résultats utiles pour la pratique ? |
Dans leur discussion, les auteurs analysent les difficultés des études dans le domaine de la douleur et font des propositions : utiliser des scores de référence mesurant indépendamment l’intensité de la douleur et le status fonctionnel, faire usage d’un placebo mimant les effets indésirables des opioïdes (cet argument nous semble soulever un problème commun à toutes les études versus placebo), réaliser des études d’une durée suffisante, recadrer le traitement médicamenteux dans l’ensemble de la stratégie thérapeutique. C’est l’image inverse parfaite des études reprises dans cette méta-analyse ! |
Conclusion |
Cette méta-analyse conclut à une efficacité probable (statistiquement non significative), à court terme, des opioïdes dans le traitement des lombalgies chroniques mais à une absence de preuve de bénéfice à long terme, avec des usages inadéquats ou aberrants fréquents. Elle montre que les études ont en majorité des protocoles inappropriés. Le clinicien gardera ces éléments en mémoire au moment d’une éventuelle prescription d’opioïdes, au coût variable, avec risque d’addiction, dans le cadre d’une prise en charge structurée et multidisciplinaire des lombalgies chroniques. |
Références
Auteurs
Chevalier P.
médecin généraliste
COI :
Le Polain B.
Centre de lutte contre la douleur, UCL-Saint Luc
COI :
Glossaire
étude transversaleCode
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