Revue d'Evidence-Based Medicine
Un traitement antithrombotique en prévention d’un AVC chez des patients présentant une FA sans valvulopathie ?
Résumé
Contexte
La fibrillation auriculaire (FA) non valvulaire est une cause importante d’accident vasculaire cérébral (AVC). Une précédente méta-analyse avait montré que le risque d’AVC pouvait être réduit par l’usage de médicaments antithrombotiques (1). De nombreuses études complémentaires ont été publiées depuis lors et une mise à jour de cette méta-analyse était la bienvenue.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
MEDLINE, Cochrane Stroke Group Trials Register, experts
Etudes sélectionnées
- études randomisées évaluant l’efficacité d’un traitement antithrombotique durant plus de 12 semaines chez des patients présentant une FA non valvulaire
- évaluant surtout les antagonistes de la vitamine K (AVK) et l’aspirine
- exclusion : études incluant des patients porteurs d’une valve cardiaque prothétique ou d’une sténose mitrale
- inclusion de 29 études (sur les 41 isolées), se déroulant en majorité en Europe et en Amérique du Nord
- dont 8 incluent plus de 1 000 patients ; moyenne de 423 (45 à 916) pour les autres
- avec un suivi moyen de 1,5 an.
Population étudiée
- total de 28 044 patients
- âge moyen de 71 ans ; 35% de femmes.
Mesure des résultats
- critères de jugement : tous les AVC, AVC ischémiques, AVC hémorragiques, mortalité globale, saignement extra-crânien majeur
- analyse de la RAR (incidence annuelle) et de la RRR
- analyses : intention de traiter et modèle d’effets aléatoires.
Résultats
- AVC : risque diminué sous warfarine et aspirine versus placebo (voir tableau)
- AVC : risque davantage diminué avec la warfarine en dose ajustée qu’avec les antiagrégants (voir tableau)
- warfarine versus aspirine : augmentation significative du risque relatif d’AVC hémorragique : RRR de -128 (IC à 95% de -399 à -4) (RAR en % par an = - 0,2)
- pas de différence significative pour les saignements extra-crâniens majeurs et pour la mortalité globale entre warfarine et aspirine.
Tableau : Réduction relative de risque (RRR, avec IC à 95%) et Réduction Absolue de Risque annuel (RAR) d’AVC pour la warfarine vs placebo ou pas de traitement, pour les antiagrégants vs placebo ou pas de traitement, pour la warfarine vs antiagrégants, pour la warfarine vs ximélagatran.
|
Nombre d’études |
RRR (IC à 95%) |
RAR annuel |
warfarine vs placebo ou pas de traitement |
6 |
64% (de 49% à 74%) |
2,7%* et 8,4%** |
antiagrégants vs placebo ou pas de traitement |
10 |
22% (de 6% à 35%) |
0,8%* et 3,8%** |
warfarine vs antiagrégants |
14 |
39% (de 22% à 52%) |
0,9%* |
ximélagatran vs warfarine |
3 |
8% (de -38% à 38%)† |
|
* prévention primaire
** prévention secondaire
† niet significant
Conclusion des auteurs
La warfarine en dose ajustée et les antiagrégants réduisent le risque d’AVC de respectivement 60% et 20% chez les patients présentant une FA. La warfarine est plus efficace (près de 40%) que les antiagrégants. L’augmentation absolue de saignements extra-crâniens avec les antithrombotiques est, dans cette méta-analyse, inférieure à la diminution d’AVC. L’usage correct d’un traitement antithrombotique diminue le risque d’AVC chez la plupart des patients présentant une FA.
Financement
Etude non financée.
Conflit d’intérêt
Aucun n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette analyse de la littérature est basée sur une question de recherche claire et est exécutée par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Il est regrettable que les auteurs ne mentionnent pas de funnel plot ; nous ignorons donc si un biais de sélection est possible. Ils ne se prononcent également pas sur la validité des études incluses. Ils recherchent une hétérogénéité statistique et ne somment pas les résultats en cas d’absence d’homogénéité clinique.
Interprétation des résultats
Un traitement avec de la warfarine à doses ajustées pour atteindre un INR cible moyen situé entre 2 et 2,6 réduit le risque absolu d’AVC versus placebo ou absence de traitement chez les patients avec FA : le NST est de 37 en prévention primaire et de 12 en prévention secondaire. Les antiagrégants diminuent également le risque d’AVC mais le NST est dans ce cas de 125 en prévention primaire et de 40 en prévention secondaire. Par contre, la warfarine double, versus aspirine, le risque relatif d’AVC hémorragique. L’accroissement absolu du risque est cependant assez limité (AAR de 0,2% ou Nombre Nécessaire pour Nuire de 500). Il faut rester circonspect : le risque absolu de saignement majeur est souvent plus faible dans des études cliniques que dans la pratique quotidienne : les patients présentant une augmentation de risque de saignement sont exclus des études et le suivi de l’anticoagulation est souvent plus rigoureux, avec un INR restant plus souvent dans la fenêtre thérapeutique, pour la FA, dans l’intervalle 2 àt 3.
Autres études
L’inclusion de treize nouvelles études plus récentes dans cette méta-analyse ne modifie pas la conclusion de la méta-analyse précédente qui incluait 16 études et un total de 9 874 patients (1). L’étude incluse la plus récente est l’étude ACTIVE-W (2) qui montre que la warfarine est plus efficace que l’association de clopidogrel avec de l’aspirine pour prévenir un AVC (RRR 40%) sans différence pour le nombre de saignements majeurs. Il n’y a pas d’étude randomisée qui compare aspirine à faible dose et clopidogrel en monothérapie. Il n’y a également pas d’étude robuste comparant l’association d’une dose de warfarine ajustée en fonction de l’INR avec une faible dose d’aspirine d’une part, avec de la warfarine seule d’autre part chez des patients en FA. Les données actuellement disponibles indiquent que l’avantage clinique de l’association de warfarine et d’aspirine (qui permet de réduire les thromboses) ne contrebalance pas l’accroissement du risque de saignement (3,4). Toutes les études randomisées évaluant un anticoagulant oral dans ce domaine utilisent la warfarine. En pratique clinique, les praticiens utilisent non seulement la warfarine mais aussi l’acénocoumarol et la phenprocoumone comme antagoniste de la vitamine K. Nous ne disposons pas d’études faisant la comparaison directe entre ces médicaments, mais aucune raison pharmacologique n’invite à penser que les observations faites pour la warfarine ne puissent être transposées pour les autres antagonistes de la vitamine K, sous condition d’un monitoring correct de l’INR.
En pratique
Les guides de pratique actuels (5,6) recommandent d’utiliser les antagonistes de la vitamine K pour les patients présentant un risque élevé d’AVC. En général, il est admis que pour les patients présentant un risque CHADS2 ≥ 2, une anticoagulation orale est indiquée en cas de FA. Une dose faible d’aspirine est réservée pour les patients présentant un risque faible de thromboembolie ou pour les patients qui présentent une contre-indication aux antivitamines K. Cette nouvelle méta-analyse vient renforcer ces recommandations. Les antagonistes de la vitamine K sont donc efficaces en prévention de l’AVC et de la thromboembolie artérielle, mais possèdent un certain nombre de limites connues. Leur marge thérapeutique étroite et leur peu de confort d’utilisation représentent les obstacles principaux à leur emploi. De nombreux patients en FA et sans contre-indication pour une anticoagulation orale ne sont pas traités par AVK ou sont non correctement traités.
Score CHADS2 |
C = insuffisance cardiaque congestive H = hypertension A = âge > 75 ans D = diabète S = stroke pour AVC Score : un antécédent de AVC/AIT vaut 2 points ; les autres facteurs de risque valent 1 point |
Conclusion
Cette méta-analyse vient confirmer la plus grande efficacité des anticoagulants oraux en comparaison avec les antiagrégants plaquettaires en prévention de l’accident vasculaire cérébral (AVC) chez des patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire. Le choix du traitement antithrombotique doit cependant tenir compte du risque absolu d’AVC, du risque de saignement et de la qualité du suivi de l’INR. Les recommandations actuelles s’en trouvent confirmées.
Références
- Hart RG, Benavente O, McBride R, Pearce LA. Antithrombotic therapy to prevent stroke in patients with atrial fibrillation: a meta-analysis. Ann Intern Med 1999;131:492-501.
- ACTIVE Writing Group of the ACTIVE Investigators, Connolly S, Pogue J, Hart R, et al. Clopidogrel plus aspirin versus oral anticoagulation for atrial fibrillation in the Atrial fibrillation Clopidogrel Trial with Irbesartan for prevention of Vascular Events (ACTIVE W): a randomised controlled trial. Lancet 2006;367:1903-12.
- Hermans C. Ajout de l’aspirine à l’anticoagulation orale : bénéfices et risques. MinervaF 2008;7(4):50-1.
- Dentali F, Douketis JD, Lim W, Crowther M. Combined aspirin-oral anticoagulant therapy compared with oral anticoagulant therapy alone among patients at risk for cardiovascular disease: a meta-analysis of randomized trials. Arch Intern Med 2007;167:117-24.
- Fuster V, Rydén LE, Cannom DS, et al; Task Force on Practice Guidelines, American College of Cardiology/American Heart Association; Committee for Practice Guidelines, European Society of Cardiology; European Heart Rhythm Association; Heart Rhythm Society. ACC/AHA/ESC 2006 guidelines for the management of patients with atrial fibrillation-executive summary: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on practice guidelines and the European Society of Cardiology Committee for Practice Guidelines (Writing Committee to Revise the 2001 Guidelines for the Management of Patients with Atrial Fibrillation). Eur Heart J 2006;27:1979-2030.
- Prévention thrombo-embolique dans la fibrillation auriculaire: état de la question. Folia Pharmacotherapeutica 2007;34:23-4.
Auteurs
De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :
Willems R.
Dienst Hart- en Vaatziekten, Universitaire Ziekenhuizen Leuven; Departement Cardiovasculaire Wetenschappen, KU Leuven
COI :
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