Revue d'Evidence-Based Medicine
Un lien entre l’efficacité des nouveaux antidépresseurs et la sévérité de la dépression ?
Résumé
Contexte
Des publications récentes évoquaient un avantage clinique limité des antidépresseurs versus placebo pour le traitement de la dépression (1,2). Les preuves d’efficacité des antidépresseurs semblaient également différentes selon la sévérité de la dépression. La mise à jour d’une synthèse de l’ensemble des données actuelles (publiées comme non publiées) était la bienvenue.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- documents disponibles auprès de la Food and Drug Administration (E.-U.) concernant les 6 antidépresseurs les plus prescrits (fluoxétine, venlafaxine, néfazodone, paroxétine, sertraline et citalopram) sur la période 1987 à 1999
- consultation de : PubMed (de janvier 1985 à mai 2007), références des articles, Swedish drug regulatory authority.
Etudes sélectionnées
- études randomisées, en double aveugle, contrôlées versus placebo
- inclusion : 35 RCTs : 5 avec la fluoxétine, 6 avec la venlafaxine, 8 avec la néfazodone et 16 avec la paroxétine
- exclusion : 12 études (dont 4 avec la sertraline et 1 avec le citalopram) dont les données étaient incomplètes.
Population étudiée
- 5 133 patients, 3 292 sous médicament antidépresseur et 1 841 sous placebo
- présentant une dépression majeure unipolaire selon les critères du DSM IV
- avec inclusion de patients hospitalisés dans 3 études
- uniquement des personnes âgées dans 3 études
- pas d’étude avec des enfants ou des adolescents.
Mesure des résultats
- sur base du score d’Hamilton, différence moyenne pondérée (DMP) et différence moyenne standardisée (DMS) pour les traitements par antidépresseurs versus placebo
- évaluation en fonction du seuil de pertinence clinique fixé par NICE dans son guide de pratique pour la dépression : différence moyenne pondérée de 3 points correspondant à une DMS de 0,50
- analyse en modèle d’effets fixes et en modèle d’effets aléatoires
- mesure de l’hétérogénéité statistique avec les tests Q et I².
Résultats
- l’amélioration moyenne pondérée du score d’Hamilton atteint 9,6 points dans le groupe médicaments antidépresseurs et 7,8 dans le groupe placebo, soit une différence de 1,8 points en faveur des antidépresseurs, différence inférieure au seuil fixé pour une pertinence clinique
- DMS de 1,24 pour le groupe médicaments antidépresseurs versus 0,92 pour le groupe placebo, soit une différence de 0,32 en faveur des antidépresseurs, sous la barre de la pertinence clinique fixée
- différence de DMS entre le groupe antidépresseurs et le groupe placebo supérieure à 0,5 pour le sous-groupe de patients présentant une dépression majeure sévère (au moins 29 sur l’échelle d’Hamilton)
- efficacité des antidépresseurs semblable suivant les grades de sévérité de la dépression majeure mais, par contre, efficacité moindre du placebo si le degré de sévérité augmente
- pas d’influence du type d’antidépresseur ou de la durée de traitement sur le résultat.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la différence d’efficacité entre les médicaments antidépresseurs et le placebo s’accroît avec le degré de sévérité de la dépression. Cette différence reste faible même chez les patients sévèrement déprimés. Le lien entre le degré de sévérité initial et l’efficacité des antidépresseurs est attribuable à une réponse plus faible au placebo chez les patients très sévèrement déprimés plutôt qu’à une réponse accrue au médicament.
Financement
Les auteurs déclarent n’avoir reçu aucun financement spécifique pour cette étude.
Conflits d’intérêt
Le premier auteur a reçu des honoraires de consultance de la part des firmes Squibb et Pfizer.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique. En incluant aussi bien les études non publiées que celles qui le sont, les auteurs pensaient pallier le biais de publication. Les différences observées entre les données de recherche divulguées avant publication (congrès, posters, abstracts) et les données finalement publiées doivent inciter à la prudence face à des données non publiées, dès lors non contrôlées par un comité de lecture expérimenté et selon des critères rigoureux (3). Une synthèse méthodique et une méta-analyse qui se baseraient sur une portion importante de données issues uniquement d’abstracts présentés lors de congrès seraient de validité médiocre (4).
L’âge des patients concernés n’est pas précisé. Une distinction arbitraire est faite entre adultes et personnes âgées et il n’est pas clair qu’il y ait une similitude de répartition pour les tranches d’âge entre les bras d’étude (antidépresseur ou placebo). Les études chez des enfants ou des adolescents font défaut. Certaines études incluent un nombre faible de participants (jusqu’à 25 seulement). Aucune étude incluse n’a une durée supérieure à 8 semaines. Le manque d’études à long terme est à opposer à la recommandation de poursuivre un traitement antidépresseur pendant au moins 6 mois.
Interprétation des résultats
Cette étude semble montrer que le seuil de pertinence clinique de l’efficacité des antidépresseurs versus placebo n’est atteint que pour les formes sévères de dépression majeure. Les auteurs observent une efficacité similaire des antidépresseurs dans les différents grades de sévérité de la dépression majeure mais par contre, une diminution de l’efficacité du placebo au fur et à mesure que la dépression est plus sévère ; ils n’ont pas d’explication pour cette observation. Ces auteurs ont opté pour le seuil de pertinence clinique déterminé par NICE pour son guide de pratique (2). NICE choisit un seuil arbitraire de 0,50 pour la DMS. Certains auteurs émettent des doutes sur ce choix dichotomique pour une taille d’effet : « efficace » ou « non efficace ». A l’origine, Cohen et coll. ont introduit des valeurs de DMS de 0,20 (peu d’effet), 0,50 (effet modéré) et 0,80 (effet important) dans l’unique but de fixer des repères pour une comparaison entre les différentes tailles d’effet (5). Le choix d’un seuil d’efficacité plus bas conduirait à une interprétation différente des résultats. Soulignons aussi que les études incluses ne concernent pas les antidépresseurs tricycliques et qu’une extrapolabilisation des résultats de cette étude à leur égard n’est donc pas autorisée.
Autres études
D’autres auteurs ont publié, presque au même moment, une intéressante recherche sur les publications sélectives des études concernant les antidépresseurs (6). Ces auteurs comparent les résultats de 74 études (12 564 patients au total) concernant 12 nouveaux antidépresseurs dont les dossiers étaient introduits auprès de la Food and Drugs étatsunienne. Parmi ces 74 études, 51 (70%) sont publiées. A une exception près, toutes les études apportant des résultats positifs ont été publiées. Pour les études ne montrant, selon la FDA, pas d’amélioration ou une amélioration douteuse, seules 3 sont publiées ; 22 ne le sont pas et 11 présentent des conclusions trop positives. Parmi les études publiées, 94% présentent des résultats favorables. La FDA juge cependant qu’un résultat favorable n’est montré que par 51% des études. Cette publication, comme celle de Kirsch analysée ici, illustre toute l’importance de l’enregistrement de toute recherche en cours au niveau des institutions internationales chargées de cette mission. La mise à disposition des résultats des études non publiées pourrait permettre d’évaluer plus correctement l’efficacité des médicaments.
Pour la pratique
Des Recommandations de Bonne Pratique pour la prise en charge de la dépression chez la personne adulte sont récemment parues en Belgique (7). Les options thérapeutiques médicamenteuses qui y figurent sont en concordance parfaite avec les conclusions de la méta-analyse présentée. Un traitement médicamenteux antidépresseur (antidépresseur tricyclique ou inhibiteur sélectif de la sérotonine) n’est recommandé que chez les patients présentant une dépression majeure sévère. Pour tous les degrés de sévérité de la dépression (mineure, ou grades léger à modéré de dépression majeure), une prise en charge non médicamenteuse est recommandée, de préférence sous la forme d’une thérapie comportementale cognitive conduite ou non par le médecin généraliste.
Conclusion
Cette méta-analyse incluant des études publiées comme non publiées montre que le seuil de pertinence clinique de l’efficacité des antidépresseurs versus placebo n’est atteint que pour les formes sévères de dépression majeure. Cette conclusion est dépendante du seuil d’efficacité choisi, en référence au guide de pratique élaboré par NICE, mais est concordante avec les recommandations de bonne pratique élaborées en Belgique et récemment publiées (7).
lien vers l'article original:
http://medicine.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10.1371/journal.pmed.0050045
Références
- Moncrieff J, Kirsch I. Efficacy of antidepressants in adults. BMJ 2005;331:155-7
- Depression: Management of depression in primary and secondary care. Clinical Practice Guideline Number 23. National Institute for Clinical Excellence. London, 2004.
- Toma M, McAlister FA, Bialy L, et al. Transition from meeting abstract to full-length journal article for randomized controlled trials. JAMA 2006;295:1281-7.
- Chevalier P, van Driel M, Vermeire E. Biais de publication : identification et essai de correction. MinervaF 2007:6(9);144.
- Turner EH, Rosenthal R. Efficacy of antidepressants. [Editorial] BMJ 2008;336:516-7.
- Turner EH, Matthews AM, Linardatos E, et al. Selective publication of antidepressant trials and its influence on apparent efficacy. N Engl J Med 2008;358:252-60.
- Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
Auteurs
De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Mots-clés
antidépresseur, citalopram, dépression, fluoxétine, néfazodone, paroxétine, placebo, sertraline, venlafaxineGlossaire
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