Revue d'Evidence-Based Medicine
Soins palliatifs en fin de vie : des preuves ?
Résumé
Question clinique
Quels traitements et quelles interventions de soins palliatifs en fin de vie sont-ils basés sur des preuves dans le domaine de la douleur, de la dyspnée et de la dépression ?
Contexte
La fin de vie est souvent caractérisée par un déclin clinique et fonctionnel. C’est particulièrement l’expérience vécue par de nombreux patients atteints par un cancer. Avec un terme beaucoup moins prédictible, les personnes atteintes d’une maladie organique chronique vivent aussi un épuisement progressif de leurs réserves avec souvent de sérieuses exacerbations intermittentes. Des personnes fragiles et souvent démentes vivent également un déclin progressif. Des soins palliatifs sont proposés pour ces différentes personnes lors de leur fin de vie. Sur quels niveaux de preuves reposent les soins dans ce domaine où les opinions d’experts et les recherches qualitatives sont très fréquentes ?
Méthodologie
Synthèse méthodique
Sources consultées
MEDLINE publications en anglais de janvier 1990 à novembre 2005
Database of Abstracts of Reviews of Effects, National Consensus Project for Quality Palliative Care
mise à jour de la recherche avec des experts et d’autres bases de données en soins palliatifs en janvier 2007.
Etudes sélectionnées
- trois domaines explorés : la douleur, la dyspnée et la dépression, en ciblant la prise en charge de patients présentant un cancer, une insuffisance cardiaque chronique ou une démence
- parallèlement, évaluation de l’organisation de soins programmés en fonction de l’évolution (advance care planning), de la continuité des soins et de la charge de travail avec la satisfaction enregistrée pour les soignants
- inclusion : synthèses méthodiques de la littérature concernant la fin de vie (incluant des maladies terminales, des maladies chroniques éventuellement mortelles), études d’intervention randomisées ou non, concernant la douleur, la dyspnée, la dépression, l’organisation de soins programmés en fonction de l’évolution, la continuité des soins, l’administration des soins
- inclusion comprenant : études concernant la définition des soins de fin de vie, études de programmation de soins futurs mentionnant des données pour les patients et leurs familles, études de continuité des soins rapportant les relations avec les institutions délivrant des soins (providers)
- exclusion : études ne concernant que la chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie, les endoprothèses, le laser ou d’autres interventions techniques, ou ne mentionnant que des données physiologiques, biologiques ou radiologiques
- pour cette synthèse méthodique, inclusion de : 33 synthèses de la littérature de haute qualité au score GRADE, 89 rapports d’intervention parmi 25 000 publications isolées.
Population étudiée
- Patients en phase terminale de l’évolution d’un cancer, d’une pathologie organique chronique (principalement insuffisance cardiaque chronique, mais également BPCO), d’une fragilisation progressive, avec démence souvent.
Mesure des résultats
- Critères concernant la douleur, la dyspnée et la dépression : aucune description des critères utilisés
- Critères d’évaluation concernant les soins
- similarité des préoccupations des patients, soignants, institutions de soins (providers) et évaluation post-décès de la concordance entre les soins administrés et les objectifs
- prévention et traitement de la douleur et des autres symptômes
- assistance des familles et des soignants
- assurer la continuité des soins
- prise de décisions éclairées
- attention réservée au bien-être émotionnel (y compris spirituel)
- maintien en vie
- gain en survie.
Resultats
- Résultats des études concernant le traitement ou spécifiquement des interventions de soins pour les critères douleur, dyspnée et dépression en fin de vie et résultats des études évaluant l'organisation programmée, la continuité, la charge de travail avec la satisfaction liée pour les soins en fin de vie: voir tableau.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent à la présence de preuves fortes à modérées de l’efficacité d’interventions visant à améliorer des aspects importants de la fin de vie. De futures recherches devront quantifier ces effets et déterminer la possibilité de généraliser des données actuellement limitées dans différentes conditions et contexte de cette dernière partie de la vie. Des preuves de qualité ne sont pas disponibles pour répondre à de nombreuses critiques.
Financement
National Institute of Nursing Research, Agency for Healthcare Research and Quality et financement par des institutions nationales à certains auteurs.
Conflits d’intérêt
Un auteur déclare avoir reçu des honoraires d’une firme pharmaceutique (Amgen).
Discussion
Définition de la fin de vie Les auteurs observent différentes approches d’identification de patients « en fin de vie » dans la littérature, sur base de caractéristiques cliniques, de score prédictif de survie, de jugement du praticien (situation fatale, risque de décès lors de la prochaine exacerbation, prise de conscience du sérieux de la situation). Les études insistent sur l’importance de la prise de conscience du risque de décès pour la prise de décisions. Soins en fin de vie Les patients et leurs familles, les soignants et ceux qui financent et organisent les soins partagent les mêmes préoccupations. Il s’agit de prévenir et de traiter la douleur et les autres symptômes, d’épauler les soignants et les proches, d’assurer la continuité des soins, de prendre des « décisions éclairées », de veiller au bien-être spirituel, au maintien de capacités fonctionnelles, éventuellement à une prolongation de la durée de vie (1) et, surtout, au maintien de la meilleure qualité de vie possible pour le patient d’abord, pour son entourage et les soignants aussi. |
Considérations sur la méthodologie
La principale difficulté de cette synthèse est l’immensité du domaine évalué et la multiplicité des points de vue et critères d’évaluation abordés. C’est à la fois sa richesse mais aussi ses limites. Nous pouvons conclure, avec les auteurs, que la très importante variation dans l’indexation des données concernant la fin de vie et les maladies chroniques est un obstacle majeur pour parvenir à réaliser une synthèse méthodique vraiment complète.
Différents types d’études
Les auteurs se sont attelés à une recherche très étendue dans la littérature et à une sélection des articles dont il est intéressant de souligner les caractéristiques qui sont autant de limites. La recherche a concerné uniquement des textes publiés en anglais. Cette restriction est actuellement considérée comme ayant un effet minime sur les résultats, mais cette affirmation fait encore l’objet de discussion entre experts (2).
Les auteurs ont effectué une large recherche dans la littérature sur les sites classiques mais aussi dans des bases de données spécifiques aux soins palliatifs. Ils ont ensuite sélectionné pour leur synthèse des publications dont le niveau de preuve est fort variable sur les échelles de score actuelles : études randomisées contrôlées, parfois en double aveugle, études avec permutation, études cliniques non randomisées, contrôlées ou non, comparaisons pré et post ou avec une cohorte historique, études d’observation, prospectives ou rétrospectives, rapports de cas et bien souvent protocole mal décrit. Les synthèses méthodiques qu’ils reprennent présentent la même diversité d’inclusion pour les études ou avec un mélange d’études d’intervention et d’études d’observation (rétrospectives, rapports de cas).
Validation méthodologique
C’est dans le domaine de l’évaluation du traitement des symptômes (surtout douleur et dyspnée en fin de vie) que la littérature est d’un niveau de preuves plus élevé. Nous y retrouvons les seules RCTs avec un score de Jadad supérieur à 3 de toute cette immense recherche. Le score de Jadad, qui ne concerne que les RCTs, est par ailleurs le seul score utilisé par les auteurs pour valider la méthodologie d’une publication. Malgré l’attribution d’une cote inférieure à 3 sur 5, les résultats de telles études sont repris dans cette synthèse. Les résultats des synthèses méthodiques sont repris comme tels, sans validation mentionnée de la méthodologie de ces synthèses (sauf le score GRADE mais sans aucune justification). Il en va de même pour les autres publications : aucun score, aucune grille d’évaluation méthodologique n’est mentionné. De telles grilles existent cependant (3).
Critères de jugement et contexte d’étude
Les auteurs ne décrivent pas les définitions précises ni les outils de mesures pour les critères de jugement utilisés dans les synthèses et les publications additionnelles et n’abordent aucune discussion à leur propos qui pourrait éventuellement apporter un éclairage sur les divergences observées. Ils ne se livrent d’ailleurs à aucune méta-analyse propre et ne font que rapporter, côte à côte, les différents résultats.
Les auteurs incluent ainsi dans leur synthèse des études ou méta-analyses qui ne se rapportent pas vraiment aux soins de fin de vie (voir paragraphe suivant). Il faut y ajouter qu’à l’exception des publications concernant le cancer, la littérature évalue les soins chez des patients avec une pathologie évoluée plutôt que réellement terminale.
La plupart des preuves reposent sur des études dans un seul contexte de soins (soins intensifs, hôpital, ou domicile) et non pas dans plusieurs, avec peu d’études concernant les maisons de soins.
Commentaires sur les résultats donnés
Pour la prise en charge de la douleur, les auteurs mentionnent des preuves contradictoires pour les opioïdes dans les douleurs non cancéreuses. Ils reprennent en fait des données qui ne concernent pas la fin de vie, entre autres une méta-analyse concernant les lombalgies chroniques, publication précédemment analysée dans Minerva (4). Un tel recours illustre la difficulté de trouver des évaluations dans ce domaine.
Pour la prise en charge de la douleur, de la dyspnée et de la dépression, ce sont de loin les études sur les médicaments qui sont les plus nombreuses et aussi les plus nombreuses à être de qualité supérieure dans les scores actuels (RCTs et leurs méta-analyses). C’est donc, logiquement, dans ce domaine que nous disposons des meilleures preuves… non pas par excellence des études dans ce domaine mais par absence ou rareté d’études évaluant d’autres abords thérapeutiques.
Cette synthèse méthodique aborde les domaines de l’organisation de soins programmés en fonction de l’évolution, de la continuité des soins et de la charge de travail et de la satisfaction de ceux qui administrent des soins (soignants comme famille ou proches). Dans ces domaines les RCTs sont bien rares, à l’exception de l’évaluation d’interventions multifacettaires et multidisciplinaires en cas d’insuffisance cardiaque. Le fait d’aborder ces domaines avec une démarche EBM similaire à celle utilisée pour évaluer des médicaments, et/ou de manière dogmatique n’est probablement pas la plus appropriée. Les auteurs ne favorisent pas une approche plus nuancée en ne décrivant pas de validation méthodologique des études autres que RCTs. Une preuve dite faible parce que issue d’une ou de plusieurs études apportant un niveau de preuve plus faible doit prendre tout son sens, comme une preuve forte, lors de la validation méthodologique de la recherche. Des études qualitatives bien élaborées et concordantes peuvent apporter beaucoup plus au praticien dans des domaines précis qu’une RCT de mauvaise qualité.
Mise en perspectives
Les soins palliatifs au domicile ont pu se développer dans nos régions grâce à une meilleure collaboration entre soignants et aussi, dans de nombreux cas, avec la mise en place d’équipes de seconde ligne pour soutenir soignants et famille. Les auteurs de cette synthèse concluent que des interventions de soignants, surtout multifacettaires (sans détail précisé dans cette méta-analyse) et ciblées individuellement, diminuent le poids de l’affection mais avec une ampleur d’effet généralement faible. Ils y ajoutent des preuves faibles (parce que peu d’études, peut-être à cause de la difficulté d’évaluer ce critère) que des interventions de soins palliatifs améliorent la satisfaction des soignants dans la prise en charge de patients atteints de cancer. Même si la diminution du poids de l’affection est faible, quand ce poids est énorme, la diminution est appréciable et appréciée par les soignants et par la famille. Si les preuves sont faibles, il faut, ici aussi, voir si elles sont de bonne qualité, ce que cette synthèse ne permet pas d’évaluer. Le point de vue du payeur sera également à prendre en compte ; il faut bien sûr obtenir un accord sur tous les éléments qui détermineront les choix au moment des décisions de financement : par exemple, quel poids pour la réduction des hospitalisations en cas de disponibilité d’équipes de soins à domicile avec les coûts à comparer, pour la satisfaction des soignants, des aidants naturels, pour la qualité de vie de la personne en fin de vie ? L’éthique rejoint ici le questionnement EBM dans les valeurs à prendre en compte.
Les auteurs relèvent un manque flagrant d’études évaluant le rôle, de plus en plus important, des soignants naturels et leur degré de satisfaction en fonction de l’organisation des soins. La capacité ou non de ces soignants naturels à assumer les charges que ne peuvent pas toujours assumer les professionnels (pour des raisons de disponibilité ou financières) est souvent l’élément le plus déterminant dans la poursuite ou non de soins palliatifs au domicile. Une raison de plus pour effectuer une telle évaluation.
Conclusion
Cette synthèse méthodique montre des preuves fortes d’efficacité de différents traitements dans la douleur liée au cancer, dans le traitement de la dyspnée en cas de BPCO avec certains médicaments et avec une réhabilitation pulmonaire, dans la dépression (liée à un cancer) au moyen d’une intervention d’aide psychosociale. Pour l’organisation de soins programmés en fonction de l’évolution, la continuité des soins et la charge de travail avec la satisfaction enregistrée pour les soignants, les preuves d’efficacité des interventions sont au mieux modérées. Pour les praticiens comme pour les patients et leur entourage, un moindre niveau de preuve et une ampleur d’effet plus faible (mais statistiquement significative) de certains traitements ou interventions doivent être pris en considération même si des preuves plus fortes pour des traitements médicamenteux (souvent en fonction de fréquence beaucoup plus importante des études (sponsorisées) avec ces médicaments) existent, l’un n’étant pas opposable à l’autre.
Références
- Steinhauser KE, Christakis NA, Clipp EC, et al. Factors considered important at the end of life by patients, family, physicians, and other care providers. JAMA 2000;284:2476-82.
- Jüni P, Holenstein F, Sterne J, et al. Direction and impact of language bias in meta-analyses of controlled trials: empirical study. Int J Epidemiol 2002;31:115-23.
- Chevalier P. Evaluation de la qualité des études. MinervaF 2008;7(9):160.
- Chevalier P, Le Polain B. Opioïdes et lombalgies chroniques : efficacité et sécurité. MinervaF 2007; 6(7);98-9.
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires