Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité de la rosuvastatine en cas d’insuffisance cardiaque
Contexte
L’efficacité des statines est peu évaluée chez des patients en insuffisance cardiaque chronique, qui sont principalement des personnes âgées à espérance de vie réduite, présentant une importante comorbidité, et pour cette raison souvent polymédiquées avec interactions médicamenteuses possibles. Les résultats des études sont, pour ces raisons, plus difficiles à interpréter. Des études d’observation ou des analyses post hoc suggèrent cependant une efficacité des statines chez ces patients en termes de durée de vie (1).
Résumé
Population étudiée
- 4 631 adultes inclus sur les 7 046 recrutés ; âge moyen de 68 ans (ET 11), 23% de femmes, 14% de fumeurs, 54% d’hypertendus, 63% en classe NYHA II, 50% hospitalisés pour insuffisance cardiaque dans l’année précédente ; médicaments pris : IEC ou sartan 93,5%, diurétique 90%, bêta-bloquant 62%, spironolactone 40%, digitalique 40%
- critères d’inclusion : classe NYHA II à IV, traitement suivant les guidelines européens de 2002, fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) déterminée 3 mois avant l’inclusion, en cas de FEVG > 40% hospitalisation dans l’année précédente
- critères d’exclusion : e.a. utilisation dans le mois précédent d’un des médicaments évalués, espérance de vie limitée par une comorbidité non cardiaque, syndrome coronarien aigu ou revascularisation dans le mois précédent, chirurgie cardiaque prévue dans les 3 mois, insuffisance hépatique ou rénale.
Protocole d’étude
- RCT en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique (357 centres italiens)
- randomisation : rosuvastatine 10 mg/j (n=2 314), placebo (n=2 317)
- suivi cardiologique approfondi à 1, 3, 6 et 12 mois puis tous les 6 mois
- durée du suivi : 3,9 ans (IQR 3,0-4,4)
- analyse en intention de traiter avec analyse par protocole pour les critères primaires (patients sans déviation du protocole et avec observance > 80%).
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : délai jusqu’à un décès de toute cause d’une part et délai jusqu’à un décès de toute cause ou à une hospitalisation pour raison cardiaque d’autre part
- critères secondaires : mortalité cardiovasculaire, mortalité cardiovasculaire ou hospitalisation pour tout motif, décès cardiaque brutal, hospitalisation pour toute raison, hospitalisation pour motif cardiovasculaire, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral
- stratification dichotomique : < 70 ans, FEVG ≤ 40%, cause ischémique, NYHA II, diabète, cholestérol total ≤ 190 mg/dl.
Résultats
- arrêts de traitement : groupe rosuvastatine 35%, groupe placebo 36%
- critères primaires, analyse en ITT :
décès (avec délai de survenue) groupe rosuvastatine versus groupe placebo : HR corrigé 1,00 (IC à 95,5% de 0,89 à 1,22 ; p=0,943) - décès ou hospitalisation pour raison cardiaque (avec délai de survenue) groupe rosuvastatine versus groupe placebo : HR corrigé 1,01 (IC à 99% de 0,90 à 1,11 ; p=0,903)
- critères primaires, analyse par protocole : décès (avec délai de survenue) groupe rosuvastatine versus groupe placebo : HR corrigé 1,12 (IC à 95,5% de 0,97 à 1,29 ; p=0,16)
- critères secondaires : pas de différence statistique.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’administration d’une dose quotidienne de 10 mg de rosuvastatine ne modifie pas la survenue d’événements cliniques chez des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique, sans problème de sécurité de ce médicament.
Financement
Società Prodotti Antibiotici, Pfizer, Sigma Tau, AstraZeneca qui ne sont intervenus à aucun des stades de l’étude.
Conflits d’intérêt
Plusieurs auteurs ont reçu des financements de la firme AstraZeneca à divers titres.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La prépublication du protocole d’étude n’est pas répertoriée dans MEDLINE, ce qui ne facilite pas l’évaluation de l’étude. Cette publication-ci ne mentionne pas qu’il s’agit en fait d’une RCT de protocole factoriel avec évaluation simultanée d’acides gras n-3 polyinsaturés (alias oméga 3). L’analyse statistique évalue l’effet éventuel de cette deuxième intervention, sans en montrer l’influence sur les résultats. Par ailleurs, le protocole d’étude est correct. La randomisation, sur sélection par l’informatique, aboutit à 2 groupes comparables. Le secret d’attribution est correct et le double aveugle respecté. Les événements sont validés par adjudication centrale sur base de définitions et procédures préétablies. L’importante différence entre le nombre de patients recrutés et celui des patients finalement inclus est liée au fait que 1 871 patients prenaient déjà une statine ou présentaient une contre-indication pour cette prise. Les auteurs en ont exclu 6,1% supplémentaires. La puissance de 90% est calculée en fonction d’une mortalité globale de 25% ; la mortalité observée est de 28,8% dans le groupe rosuvastatine et de 28,1% dans le groupe placebo. Les auteurs effectuent également une analyse par protocole pour les critères primaires (qui ne montre également pas de bénéfice).
La proportion d’arrêts de traitement en fin d’étude est importante : 35% dans le groupe rosuvastatine, 36% dans le groupe placebo mais sans différence significative pour les effets indésirables rapportés. Les auteurs justifient leur choix d’une dose de rosuvastatine de 10 mg par l’obtention d’une diminution du LDL-cholestérol de 27% après 3 ans, effet comparable à celui des doses d’autres statines dans d’autres études.
Mise en perspective des résultats
L’ajout d’une statine au traitement de référence de l’insuffisance cardiaque chronique (ICC) ne constitue pas la découverte du merle blanc. Des analyses rétrospectives des études les plus importantes évaluant les statines apportent des arguments en faveur d’un effet pléiotrope de ces médicaments mais aussi de leur effet favorable en cas d’ICC (1,2). Des suivis prospectifs de cohorte suggèrent également une efficacité dans cette indication (3,4).
Une méta-analyse récente suggère que les statines diminuent la mortalité globale chez des patients avec ICC : RRR de 26% ; HR 0,74 avec IC à 95% de 0,68 à 0,8 (5). Elle se base principalement sur 2 études prospectives d’importantes cohortes et sur une autre étude de cohorte rétrospective qui livrent, ensemble, 83% des données. Si des analyses rétrospectives peuvent suggérer un effet favorable, seule une recherche clinique bien protocolée, avec un contrôle versus placebo peut évaluer correctement les hypothèses formulées.
A part l’étude GISSI-HF analysée ici, une seule autre étude a évalué l’efficacité de la rosuvastatine dans l’insuffisance cardiaque. Il s’agit de l’étude CORONA (6) qui présente de nombreuses similitudes avec l’étude GISSI-HF : même dose de 10 mg de rosuvastatine, profil des patients et de leur traitement de base semblables. L’étude CORONA montre également une réduction substantielle de la LDL-cholestérolémie : -45%. Aucune différence significative n’est observée pour le critère primaire composite décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde fatal ou non, ou accident vasculaire cérébral. Un effet favorable est observé pour un critère secondaire, les hospitalisations.
Sur base des résultats de l’étude CORONA, le récent guide de pratique de l’European Society of Cardiology (7) mentionne qu’un traitement avec une statine peut être pris en considération chez des personnes âgées avec ICC, avec dysfonction systolique liée à une ischémie myocardique, pour réduire les hospitalisations (Niveau de recommandation IIb, Niveau de preuve B). Dans l’étude GISSI-HF, les hospitalisations constituent un des éléments des critères primaires et aucun bénéfice n’est observé pour ce critère.
Pour la pratique
A ce jour, nous ne disposons pas de preuve de l’efficacité d’une dose quotidienne de 10 mg de rosuvastatine en termes de morbimortalité cardiovasculaire chez des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique modérée à sévère. Vu cette absence de preuve, l’initiation d’un tel traitement chez des personnes à espérance de vie réduite n’est pas indiquée. L’insuffisance cardiaque est souvent le stade ultime d’une pathologie coronarienne ischémique myocardique qui, elle, est bien une indication validée de prescription d’une statine dès un stade précoce de la pathologie. Il n’y a pas de motif impératif d’arrêt d’un traitement par statine chez ces patients lors de la survenue d’une insuffisance cardiaque (8). Dans les études GISSI-HF et CORONA, les patients reçoivent les traitements recommandés pour l’insuffisance cardiaque chronique, objectif à viser dans la pratique quotidienne.
Conclusion
Cette étude montre que l’ajout de 10 mg de rosuvastatine à un traitement de référence chez des patients présentant une insuffisance cardiaque modérée à sévère n’a pas d’effet sur leur temps de survie ni sur le délai de leur hospitalisation ultérieure.
Références
- Deedwania PC, Javed U. Statins in heart failure. Cardiol Clin 2008;26:573-587.
- Krum H, Latini R, Maggioni AP, et al. Statins and symptomatic chronic systolic heart failure: a post-hoc analysis of 5010 patients enrolled in Val-HeFT. Int J Cardiol 2007;119:48-53.
- Krum H, Bailey M, Meyer W, et al. Impact of statin therapy on clinical outcomes in chronic heart failure patients according to beta-blocker use: results of CIBIS II. Cardiology 2007;108:28-34.
- Shah R, Wang Y, Foody JM. Effect of statins, angiotensin-converting enzyme inhibitors, and beta blockers on survival in patients >or=65 years of age with heart failure and preserved left ventricular systolic function. Am J Cardiol 2008;101:217-22..
- Ramasubbu K, Estep J, White DL, et al. Experimental and clinical basis for the use of statins in patients with ischemic and nonischemic cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 2008;51:415-28.
- Kjekshus J, Apetrei E, Barrios V, et al; CORONA Group. Rosuvastatin in older patients with systolic heart failure. N Engl J Med 2007;357:2248-61.
- Task Force for Diagnosis and Treatment of Acute and Chronic Heart Failure 2008 of European Society of Cardiology, Dickstein K, Cohen-Solal A, Filippatos G, et al. ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2008: the Task Force for the Diagnosis and Treatment of Acute and Chronic Heart Failure 2008 of the European Society of Cardiology. Developed in collaboration with the Heart Failure Association of the ESC (HFA) and endorsed by the European Society of Intensive Care Medicine (ESICM). Eur Heart J 2008;29:2388-442.
- Stalenhoef AF. Geen reden om te starten met statinen bij patiënten met matig tot ernstig hartfalen. Ned Tijdschr Geneeskd 2008;152:486-8.
Auteurs
Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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