Revue d'Evidence-Based Medicine
Losartan ou aténolol pour l'hypertension: résultats de l'étude LIFE
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 2 Page 20 - 23
Professions de santé
Résumé
Contexte
Dans l’hypertension, les preuves de l’effet antihypertenseur des ß bloquants et des diurétiques ainsi que l’efficacité de ce pouvoir sur la prévention de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires sont bien établies. Les antagonistes de l’angiotensine-II, en plus de leur effet hypotenseur auraient également un effet réducteur de l’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG). L’HVG étant considérée comme un risque indépendant de complications cardiovasculaires de l’hypertension, les antagonistes de l’angiotensine-II devraient permettre une réduction plus importante de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires.
Population étudiée
Sont inclus dans l’étude des patients de 55 à 80 ans présentant une HTA essentielle et des signes électrocardiographiques d’HVG. Sont exclus les patients présentant une hypertension secondaire, un infarctus du myocarde ou un AVC dans les 6 derniers mois. À l’inclusion dans l’étude, les caractéristiques pertinentes étaient équitablement réparties dans les groupes d’observation. L’âge moyen des participants est de 70 ans et 54 % sont des femmes. La moyenne de la pression artérielle est de 174,4 mm Hg pour la systolique et de 97,8 mm Hg pour la diastolique. L’index de Sokolow-Lyon pour l’HVG est, en moyenne, de 30 mm, et un quart des sujets a présenté une pathologie cardiovasculaire.
Méthodologie de recherche
Il s’agit d’une étude randomisée, en double aveugle, multicentrique. Après une période initiale d’1 à 2 semaines avec traitement par placebo, 9193 patients présentant une pression artérielle de 160-200/95-115 mm Hg sont traités soit par losartan (n = 4605) soit par aténolol (n = 4588). La dose de départ est de 50 mg pour le losartan comme pour l’aténolol. Pour atteindre les valeurscibles de pression artérielle de 140/90 mm Hg, de l’hydrochlorothiazide 12,5 mg peut être ajouté en premier lieu. Dans un deuxième temps la dose de losar tan peut être portée à 100 mg et, dans un stade ultérieur, d’autres hypertenseurs peuvent être ajoutés.
Mesures des résultats
Le critère de jugement primaire est une combinaison de mortalité cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde et d’AVC. Les critères de jugement secondaires sont : la mortalité totale, l’angor, la décompensation cardiaque entraînant une hospitalisation, les procédures de revascularisation coronarienne ou périphérique, la réanimation d’arrêt cardiaque et l’apparition d’un diabète. L’analyse est faite en intention de traiter et les résultats exprimés en rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">hazard ratio’s (HR). Des facteurs correcteurs pour l’HVG et le score de risque de Framingham sont appliqués dès le début de l’étude. Le critère de jugement primaire est exprimé sur une courbe de Kaplan Meier.
Résultats
Après un suivi moyen de 4,8 ans, 1096 patients présentent le critère de jugement primaire. Avec un pourcentage semblable de traitements complémentaires, la réduction de pression artérielle est de 30,2/16,6 mm Hg dans le groupe losartan et de 29,1/16,8 mm Hg dans le groupe aténolol. Seule la réduction de pression systolique est plus importante dans le groupe losartan. Ce groupe présente une réduction relative de risque est une valeur relative de diminution du risque. C’est le rapport entre la différence de risque entre le groupe intervention et le groupe contrôle d’une part et le risque dans le groupe contrôle d’autre part. Cette mesure indique la réduction proportionnelle du risque d’un critère défavorable due à l’intervention. La RRR est calculée (Ri - Rc) / Rc ou ARR / Rc.">réduction relative de risque (RRR) de 13 %, par rapport au groupe aténolol, pour le critère de jugement combiné primaire (voir tableau 1). Les courbes de Kaplan Meier illustrent une différence croissante avec le temps entre les 2 groupes pour le jugement combiné primaire et pour le critère AVC. Une régression selon la méthode de Cox montre une relation entre la réduction de l’HVG et l’efficacité du losartan sur les critères de jugement primaires. Cette relation n’est pas établie pour les variations de la pression artérielle. Dans le groupe aténolol, il y a une augmentation significative de vertiges, asthénie, oedème des membres inférieurs, maux de dos et dyspnée. Il y a significativement moins d’arrêts de traitement pour effets indésirables dans le groupe losartan. Les auteurs concluent que le losartan, qui présente un effet hypotenseur semblable à celui de l’aténolol, protège mieux en terme de morbidité et de mortalité cardiovasculaires, et est mieux toléré.
Tableau 1 : Résultats pour le critère de jugement combiné primaire, les 3 critères de jugement primaires séparés et les 2 secondaires.
Critère de jugement |
Losartan (n = 4 605) |
Aténolol (n = 4 588) |
HR corrigé (IC 95 % et valeur de p)** |
Critère combiné primaire |
508 (11 %)* |
588 (13 %) |
0,87 (95 % IC 0,77-0,98 ; p = 0,021) |
Mortalité cardiovasculaire |
204 (4 %) |
234 (5 %) |
0,89 (95 % IC 0,73-1,07 ; p = 0,206) |
AVC |
232 (5 %) |
309 (7 %) |
0,75 (95 % IC 0,63-0,89 ; p = 0,001) |
Infarctus du myocarde |
198 (4 %) |
188 (4 %) |
1,07 (95 % IC 0,88-1,31 ; p = 0,491) |
Mortalité totale |
383 (8 %) |
431 (9 %) |
0,90 (95 % IC 0,78-1,03 ; p = 0,128) |
Apparition d’un diabète |
241 (6 %) |
319 (8 %) |
0,75 (95 % IC 0,63-0,88 ; p = 0,001) |
* Nombre (n) et pourcentage (%) de patients présentant le critère
** Corrections effectuées dès le début de l’étude pour l’HVG et le score de risque de Framingham.
Conflits d’intérêt/financement
Cette étude est financée par la firme Merck. Un des auteurs est un collaborateur de cette firme.
Discussion
Il s’agit d’une première grande étude d’intervention randomisée, en double-aveugle, sur le traitement de l’hypertension essentielle avec un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine-II (un sartan : le losartan) versus le ß bloquant le mieux évalué, l’aténolol. Les résultats semblent plus intéressants après 4 ans pour le losartan : une diminution significative du nombre d’AVC par rapport au traitement avec un ß bloquant et également une réduction de risque relatif de 25 % d’apparition d’un diabète. Il n’y a pas de différence significative entre les 2 médicaments en ce qui concerne les décès cardiovasculaires, l’infarctus du myocarde, la mortalité totale, la fréquence d’hospitalisation et les revascularisations. Mais en effectuant une somme des résultats non significatifs pour tous ces critères de jugement, le losartan paraît meilleur, le gain relatif atteignant 13 % (p = 0,021). C’est ce résultat qui a été largement étalé dans la presse médicale. Il semble suffisamment fiable aux yeux des auteurs pour leur permettre de conclure leur publication par ces mots : « Our results are directly applicable in clinical practice and should affect future guidelines ».
Quelle est la place exacte des sartans ?
Il est, en effet, important que les médecins intègrent les résultats de cette étude, à la méthodologie correcte, à leur juste place dans la prise en charge de patients hypertendus. Pour les y aider, nous apportons quelques éléments de réflexion.
Les patients inclus dans cette étude sont âgés ou fort âgés (âge moyen de 67 ans), montrent une HTA de grade sévère (moyenne de 174/98 mm Hg et un score d’HVG élevé [Index de Sokolow-Lyon (SL)] de 38 mm au moins à l’inclusion).
Quelle est la proportion de ce type de patients dans la patientèle des omnipraticiens ? Pour cela, considérons une étude épidémiologique récente dans une pratique de médecine générale flamande (n = 2 044) compre nant 462 personnes âgées de plus de 60 ans 1 .Parmi celles-ci, 420 (91 %) sont retenues pour participer à cette prévalence d’une maladie, survenue d’une maladie ou d’un risque (dépistage), étude de facteurs étiologiques.">étude transversale. 155 (37 %) d’entre elles présentent une HTA dont seulement 10 individus rencontrant les critères d’inclusion de l’étude LIFE. Donc, moins d’un patient hypertendu sur 15, dans cette pratique de médecine familiale, serait candidat pour l’étude LIFE, s’il présente, en plus, un grade sévère d’HTA (TA > 160/95 mm Hg). La population étudiée dans la recherche LIFE est donc très sélectionnée ; dans la pratique du MG cela représente un petit groupe de patients présentant la forme la plus sévère d’HTA essentielle avec HVG. Ces patients devront toujours être traités avec une combinaison de différents antihypertenseurs. Dans l’étude LIFE, seuls 11 % des patients sous losartan et 12 % des patients sous aténolol reçoivent une monothérapie. Que connaîton, à l’heure actuelle, de la sécurité et des interactions d’un traitement combinant un sartan aux autres classes médicamenteuses ?
Les ß bloquants et les diurétiques sont les médicaments de premier choix dans la plupart des études d’intervention dans l’HTA. Nous nous sommes intéressés à l’efficacité des ß bloquants dans des études sur une population identique à celle de l’étude LIFE, quoique les critères ECG n’aient jamais été retenus comme critères d’inclusion dans ces études. Un premier exemple est le « Swedish Trial in Old Patients with hypertension (STOP)»2. L’âge moyen des sujets (n = 1 627) de cette étude est de 75,7 ans, la pression artérielle moyenne de 195/102 mm Hg et le traitement initial est un diurétique thiazidé et un ß bloquant choisi parmi trois. Une autre étude comparable est la « Systolic Hypertension in the Elderly Program (SHEP) » 3 . L’âge moyen dans cette étude versus placebo (n = 4 736) dans l’HTA systolique isolée est de 71,6 ans et la pression artérielle moyenne est de 170/77 mm Hg. Le premier choix de traitement y est également un diurétique thiazidé ou un ß bloquant. Les % absolus et relatifs d’AVC (total fatals et non fatals), d’infarctus du myocarde (total fatals et non fatals) et de mortalité totale dans ces études et dans les 2 bras de l’étude LIFE sont comparés dans le tableau 2.
Tableau 2 : Comparaison entre 3 études concernant l’incidence d’AVC fatal et non fatal, d’infarctus du myocarde fatal et non fatal et de mortalité totale. Les résultats sont donnés en chiffres absolus (n) et en pourcentage (%)
Études |
Population (traitée) |
AVC |
Infarctus du myocarde |
Mortalité totale |
|||
|
|
n |
% |
n |
% |
n |
% |
STOP |
812 |
32 |
4 |
31 |
3,8 |
36 |
4,4 |
SHEP |
2 365 |
106 |
4,4 |
109 |
4,6 |
109 |
4,6 |
LIFE |
|
|
|
|
|
|
|
– Groupe Losartan |
4 605 |
232 |
5 |
198 |
4 |
383 |
8 |
– Groupe Aténolol |
4 588 |
309 |
7 |
188 |
4 |
431 |
9 |
Calcul des risques dans l’étude LIFE |
|
Calcul des risques d’incidence d’AVC basé sur les résultats de la table 1 |
Risque absolu (RA) d’AVC dans le groupe losartan : 232/4605 = 0,05 5 % |
Risque absolu (RA) d’AVC dans le groupe aténolol : 309/4588 = 0, 067 6,7 % |
Risque relatif (RR) d’AVC entre le groupe losartan et le groupe aténolol : 0,05/0,067 = 0,75 75 % |
Réduction absolue de risque (RAR) d’AVC entre les deux groupes : 0,067-0,05 = 0,017 1,7 % |
Réduction relative de risque (RRR) d’AVC pour les sartans : |
RAR/RA aténolol = 0,017/0,067 = 0,25 25 % |
Nombre de sujets à traiter (NST) : 1/RAR = 1/0,017 = 59/4 ans |
|
Calcul du risque d’incidence du critère de jugement totalité des événements cardiovasculaires sur base des résultats figurant dans la table 1. |
Risque absolu (RA) d’AVC dans le groupe losartan : 508/4605 = 0,11 11 % |
Risque absolu (RA) d’AVC dans le groupe aténolol : 580/4588 = 0,126 13 % |
Risque relatif (RR) d’AVC entre le groupe losartan et le groupe aténolol : 0,11/0,126 = 0,87 87 % |
Réduction absolue de Risque (RAR) d’AVC entre les deux groupes : 0,126-0,11 = 0,016 1,6 % |
Réduction relative de Risque (RRR) d’AVC pour les sartans : |
RAR/RA aténolol = 0,016/0,126 = 0,13 13 % |
Nombre de sujets à traiter (NST) : 1/RAR = 1/0,016 = 62/4 ans |
Il est à noter que, aussi bien dans l’étude STOP que dans l’étude SHEP, les ß bloquants montrent un résultat supérieur à celui observé dans l’étude LIFE: respectivement 4 et 4,4 % comparés aux 7 % d’AVC dans l’étude LIFE. Les ß bloquants sont donc, dans des populations comparables, plus efficaces que dans l’étude LIFE. La question exacte n’est donc plus « pourquoi les sartans sont-ils supérieurs dans l’étude LIFE» mais devient « pourquoi les ß bloquants y sont-ils moins efficaces » ? La réponse à cette question pourrait être les particularités de l’HVG. L’inhibition du système résineangiotensine a un pouvoir connu d’inversion de l’HVG qui est, en elle-même, un facteur de risque cardiovasculaire indépendant 4.Il ne peut échapper à l’attention du lecteur attentif que les chiffres d’HVG fixés comme critères d’inclusion ont été fortement haussés au beau milieu de l’étude sans explication ! À un point tel que lors de l’analyse des résultats, la population étudiée ne correspond plus aux critères d’inclusion pour l’HVG! La seule explication de cette modification qui donne à réfléchir est la prise de conscience en cours d’étude, par ses auteurs, de difficultés à atteindre des chiffres significatifs, sauf en incluant plus de patients avec HVG fort sévère. Une autre astuce des chercheurs est d’avoir comparé un sartan à de l’aténolol et non à un IEC, dont on peut attendre le même effet et dont la sécurité, les effets indésirables, le coût et les indications spécifiques sont mieux connus. Une étude comparative IEC et sartan aurait été plus utile dans cette perspective.
Plus fondamentalement, nous nous interrogeons sur le bénéfice réel de ce traitement par les sartans. Que signifie réellement une réduction de risque de 25 % de la survenue d’AVC? La réduction absolue de risque (RAR) est de 1,7 % seulement, ce qui donne un NNT = 1/RAR *100.">NST de 59 sur 4 ans. Il faut donc traiter 59 patients pendant quatre ans par losartan plutôt que par aténolol pour éviter un AVC. De manière identique, la réduction du risque relatif (RRR) de 13 % pour l’ensemble des critères de jugement cardiovasculaires signifie qu’il faut traiter 62 patients pendant quatre ans pour enregistrer ce bénéfice et, en pratique, il s’agit presque toujours d’un AVC (voir encadré à la page suivante).
Effets indésirables
Il n’est pas correct d’affirmer l’absence d’effets secondaires d’un traitement par losartan. Il existe une diminution significative d’effets indésirables spécifiques au bénéfice du sartan, mais les différences réelles sont minimes : bradycardie (1 % versus 9 %), extrémités froides (4 % versus 6 %), dysfonction sexuelle (4 % versus 5 %), albuminurie (5 % versus 6 %), hyperglycémie (5 % versus 7 %), fatigue (15 % versus 17 %), oedème malléolaire (12 % versus 14 %), et dyspnée (10 % versus 14 %). La plupart de ces effets secondaires sont connus et classiques des ß bloquants, mais ils surviennent aussi, étonnamment fréquemment avec les sartans. Les patients traités par losartan présentent également plus d’hypotension (3 % versus 2 %), de lombalgies (12 % versus 10 %) et de douleurs thoraciques (11 % versus 10 %).
Conclusions
L’étude LIFE montre, dans un groupe très limité de patients de médecine générale atteints d’hypertension artérielle (patients âgés avec hypertension sévère et HVG importante) un bénéfice faible (sur les AVC et sur la somme de tous les événements cardiovasculaires) en cas d’utilisation de losartan plutôt que d’aténolol. Il faut traiter 62 patients pendant 4 ans par losartan plutôt que par ß bloquant pour prévenir un cas de ce critère de jugement (NST 62) avec des effets indésirables. Une efficacité similaire des IEC dans cette indication n’est pas explorée.
Pour toutes les formes sévères d’hypertension essentielle, un traitement combiné est toujours nécessaire 5. Dans celui-ci, les IEC sont une valeur sûre 6. Cette étude ne permet pas de conclure à l’utilité de l’adjonction d’un sartan ou de sa substitution à un IEC dans ce traitement combiné en cas d’HVG sévère.
Recommandations pour la pratique
En pratique de médecine générale, les sartans ne sont pas indiqués dans le traitement de l’hypertension artérielle non compliquée.
La rédaction
Références
- De Cort P. Vergelijkende studie van de bloeddruk, verkregen met verschillende methoden, bij personen boven de 60 jaar [proefschrift]. Leuven : Katholieke Universiteit Leuven, 1998.
- Dahlof B, Lindholm LH, Hansson L, et al. Morbidity and mortality in the Swedish Trial in Old Patients with Hypertension (STOP-Hypertension). Lancet 1991;338:1281-5.
- SHEP Cooperative Research Group. Prevention of stroke by antihypertensive drug treatment in older persons with isolated systolic hypertension. Final results of the SHEP. JAMA 1991;265:3255-64.
- Dahlof B, Pennert K, Hansson L. Reversal of left ventricular hypertrophy in hypertensive patients : a meta-analysis of 109 treatment studies. Am J Hypertens 1992;5:95-110.
- De Cort P. De rol van de huisarts in de aanpak van hypertensie. Tijdschr Geneeskunde 2002;58:1168-71.
- Christiaens T, De Sutter J. Hypertensiebehandeling in de eerste lijne : consensus en evidentie. Tijdschr Geneeskunde 2001;57:1671-5.
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