Revue d'Evidence-Based Medicine



Mémantine pour traiter la maladie d'Alzheimer



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 8 Page 131 - 133

Professions de santé


Analyse de
Reisberg B, Doody R, Stöffler A, et al. Memantine in Moderate-to-Severe Alzheimer’s Disease. N Engl J Med 2003;348:1333-41.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’administration de 20 mg de mémantine par jour pendant 28 semaines comparée à un placebo chez des personnes présentant des formes modérées à sévères de la maladie d’Alzheimer, sur la mémoire, les activités quotidiennes et le comportement ?


Conclusion
Cette étude semble montrer que la mémantine diminue le déclin clinique de patients souffrant d’une forme de la maladie d’Alzheimer modérée à sévère. Cet effet est toutefois cliniquement si limité que nous pouvons en conclure que l’administration systématique de la mémantine n’est également pas à prendre en considération. Les conclusions du numéro thématique de Minerva sur la démence sont donc maintenues: les études actuelles relatives aux inhibiteurs de la cholinestérase et aux produits non cholinergiques montrent de modestes effets, très limités ayant une pertinence clinique très faible. En raison de l’absence d’études comparatives, il n’est pas possible de choisir entre les différents groupes de médicaments pour la maladie d’Alzheimer.


 

Résumé

Contexte

La maladie d’Alzheimer est une cause fréquente de démence. Il existe des preuves que l’hyperstimulation du neurotransmetteur L-glutamate joue un rôle dans la pathogénie de cette maladie, comme c’est également le cas lors des lésions survenant lors d’un accident cérébrovasculaire. Un antagoniste du récepteur du N-méthyl-D-aspartate, comme la mémantine, a le pouvoir d’inhiber la neurotoxicité des acides aminés « excitateurs » sans troubler l’activité physiologique du glutamate, nécessaire pour la mémoire 1 .

Population étudiée

Des personnes résidant à domicile, âgées d’au moins 50 ans et avec un diagnostic probable de maladie d’Alzheimer selon les critères du DSM-IV et ceux du « National Institute of Neurologic and Communicative Disorders and Stroke and the Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association » aux E.U. ont été incluses dans l’étude. Les critères d’inclusion supplémentaires étaient un score au MMSE compris entre 3 et 14, un stade 5 ou 6 sur la Global Deterioration Scale (GDS), et un score supérieur à 6 sur l’échelle du Functional Assessment Staging (FAST) indiquant ainsi des déficits liés à la démence entraînant des incapacités à réaliser une ou plusieurs activités de base de la vie quotidienne. Toutes les personnes incluses dans l’étude avaient eu un CT-scan ou une IRM cérébral. Les personnes atteintes d’une démence vasculaire, d’une démence ou de problèmes neurologiques autres que la maladie d’Alzheimer, d’une dépression majeure ou présentant un score supérieur à 4 sur l’échelle d’ischémie ont été exclues. En outre, les personnes prenant des traitements neurologiques spécifiques tels que, par exemple, des antiépileptiques ou des antidépresseurs ont été exclues de l’étude.

Méthodologie de la recherche

Dans cette RCT, 252 personnes présentant une maladie d’Alzheimer, résidant à domicile, parmi lesquelles figurent 67 % de femmes, âgées en moyenne de 76 ans, reçoivent pendant 28 semaines soit 20 mg de mémantine soit un placebo.

Mesure des résultats

Les évolutions des capacités cognitives, des capacités pour les activités quotidiennes et du comportement ont été évaluées à l’aide de 7 échelles validées et de questionnaires (Activities of Daily Living Inventory)" data-content="L’échelle “sev” a été élaborée pour les démences graves (“les plus sévères”). Elle recueille, auprès de patients, des informations relatives à 19 activités quotidiennes. Un score total de 54 signifie un fonctionnement optimal.">ADCS-ADLsev, CIBIC-plus, SIB, MMSE est un instrument de dépistage de la démence qui prend principalement en compte les fonctions cognitives. Le MMSE évalue les items suivants : orientation dans le temps et l’espace, mémorisation et reproduction de 3 mots, attention (par exemple, épeler le mot « monde » ou l’isoler 7 fois parmi 100 mots), langage (nommer des objets, construire une phrase, accomplir une tache, écrire une phrase), et praxie constructive (faire un dessin). Le score peut varier de 0 à 30 points.">MMSE, FAST, GDS, NPI est un questionnaire destiné à évaluer la fréquence et la gravité des problèmes comportementaux. Le score maximum est 144. Plus le score est élevé, plus les problèmes comportementaux sont importants.">NPI).

Résultats

Pour trois des sept échelles, une différence statistiquement significative pour la mémantine comparée au placebo est observée, mais il n’y a cependant pas d’effet sur l’échelle MMSE (voir tableau 1). La mémantine ne provoque pas plus d’effets indésirables que le placebo. Les auteurs concluent qu’un traitement de mémantine ralentit le déclin clinique des

Tableau 1 : Évolution des scores sur les échelles CIBIC-plus, ADCS-ADLsev, FAST, SIB et MMSE selon la LOCF analyse.

 
 

Scores à l’entrée dans l’étude

Scores après 28 semaines de traitement

 

Mémantine

Placebo

Mémantine (ET)

Placebo (ET)

IC à 95 %**

Valeur-p

CIBIC-plus

4,0

4,0

4,5 (1,12)

4,8 (1,09)

-0,51 à 0,02

0,06

ADCS-ADLsev

26,8

27,4

-3,1 (6,79)

-5,2 (6,33)

0,49 à 3,78

0,02*

FAST

2,8

2,8

0,2 (1,24)

0,6 (1,39)

 

0,02*

SIB

65,9

68,3

-4,0 (11,34)

-10,1 (13,50)

 

< 0,001*

MMSE

7,7

8,1

-0,5 (2,40)

-1,2 (3,02)

 

0,18

ET: Ecart-type * statistiquement significatif ** IC à 95 % de la différence de score relatif (entrée versus dernière mesure) entre les groupes

Discussion

Dans l’exposé de la RCT, les procédures de recrutement des patients ne sont pas présentées clairement. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont cependant bien mentionnés. La randomisation est clairement décrite et le étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret de l’attribution est certain. Pour les abondons (28%, le motif le plus fréquent de sortie d’étude étant un déclin rapide de l’état mental), les critères de jugement ont été mesurés au moment de la sortie et une deuxième fois à la fin de l’étude. L’analyse est réalisée en intention de traiter et n’a pas été effectuée par la firme qui a fourni le médicament. Dans le tableau présentant les analyses des effets, la valeur-p est indiquée, mais les intervalles de confiance à 95 % ne sont donnés que pour deux échelles seulement (CIBIC-plus et ADCS-ADLsev).

Trois résultats sont statistiquement significatifs mais l’intervalle de confiance n’est présenté que pour un seul d’entre eux. Il est très large ce qui peut n’indiquer qu’une faible différence cliniquement pertinente. Dans une récente synthèse Cochrane réalisée sur ce sujet 1, et dans laquelle cette étude n’avait pas été reprise parce qu’elle n’avait pas encore été publiée, les auteurs concluent à la sécurité de la mémantine qu’il serait possible d’administrer à toutes les formes de la maladie d’Alzheimer. Dans cette revue systématique, la plupart des études sont toutefois composées d’effectifs trop faibles et d’une durée trop courte pour que des effets cliniquement pertinents aient pu être détectés. L’étude de Reisberg n’apporte pas plus de preuve scientifique sur ce sujet. Etant donné que les inhibiteurs de la cholinesterase n’apportent qu’un effet modeste, la nécessité de médicaments non-cholinergique demeure élevée 2,3,4,5 . Il faudra encore attendre d’autres molécules.

Financement

La firme Merz Pharmaceuticals a soutenu financièrement l’étude et fourni les médicaments. Le « National Institute on Aging of the National Institutes of Health » (U.S.) a fourni un appui méthodologique.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont reçu des firmes Lundbeck, Merz et Forest des indemnités pour des présentations.

 

Recommandations pour la pratique

Cette étude semble montrer que la mémantine diminue le déclin clinique de patients souffrant d’une forme de la maladie d’Alzheimer modérée à sévère. Cet effet est toutefois cliniquement si limité que nous pouvons en conclure que l’administration systématique de la mémantine n’est également pas à prendre en considération. Les conclusions du numéro thématique de Minerva sur la démence sont donc maintenues: les études actuelles relatives aux inhibiteurs de la cholinestérase et aux produits non cholinergiques montrent de modestes effets, très limités ayant une pertinence clinique très faible. En raison de l’absence d’études comparatives, il n’est pas possible de choisir entre les différents groupes de médicaments pour la maladie d’Alzheimer.

La rédaction

Références

  1. Areosa SA, Sheriff F. Memantine for dementia (Cochrane Review). In : The Cochrane Library, Issue 3, 2003. Oxford : Update Software.
  2. Doraiswamy PM. Non-cholinergic strategies for treating and preventing Alzheimer’s disease. CNS Drugs 2002;16:811-24.
  3. Winblad B, Mobius HJ, Stoffler A. Glutamate receptors as a target for Alzheimer’s disease : are clinical results supporting the hope ? J Neural Transm 2002 ; 62 (Suppl) : 217-25.
  4. No authors given. Alzheimer’s disease emerging noncholinergic treatments. Geriatrics 2003;58(Suppl):3-14, inside back cover.
  5. Numéro thématique Démence. MinervaF 2002;1(1):2-16.
Mémantine pour traiter la maladie d'Alzheimer



Ajoutez un commentaire

Commentaires