Revue d'Evidence-Based Medicine



Neurostimulation transcutanée électrique (TENS) pour douleur chronique ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 9 Page 112 - 113

Professions de santé


Analyse de
Oosterhof J, Wilder-Smith OH, de Boo T, et al. The long-term outcome of transcutaneous electrical nerve stimulation in the treatment for patients with chronic pain: a randomized, placebo-controlled trial. Pain Pract 2012;12:513-22.


Question clinique
Quel est l’effet à long terme (un an) de la neurostimulation transcutanée électrique (TENS) versus simulacre de TENS auprès de patients souffrant de douleurs chroniques ?


Conclusion
Cette étude montre qu’à long terme (un an) des patients présentant des douleurs chroniques non-cancéreuses (de plus de 6 mois) sont aussi satisfaits du TENS que du pseudo TENS. Les deux interventions ont également un effet similaire tant sur la réduction de la douleur que sur les limitations causées par la douleur. Cette étude ne nous permet pas de comprendre les causes de l’important effet placebo.


 

 

Contexte

La neurostimulation transcutanée électrique (TENS) est une forme non-invasive de traitement de la douleur. De nombreuses études à court terme montrent un effet antalgique du TENS, mais ne permettent pas d’évaluer l’effet du TENS chez des patients présentant des douleurs chroniques (1). A date, il n’existe pas d’étude controlée par placebo qui évalue un traitement de plus de trois mois.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 165 patients âgés de plus de 18 ans (moyenne d’âge d’environ 50 ans), plus de 60% de femmes, douleur non-cancéreuse (environ 25% douleur neuropathique périphérique, 35% douleur d’arthrose, 40% douleur traumatique) durant au moins six mois, référés vers une clinique de la douleur multidisciplinaire universitaire aux Pays Bas
  • critères d’exclusion : traitement antérieur avec TENS, douleur du visage ou de la tête, localisations multiples de la douleur, antécédent d’AVC, procédures judiciaires en cours, en traitement psychologique, ne pas parler le néerlandais.

 

Protocole d’étude

  • RCT unicentrique, double aveugle, controlée par placebo
  • intervention (n=81) : TENS
  • groupe contrôle (n=82) : pseudo TENS (=l’écran indique une faible intensité de 10 mA, mais aucun courant n’est administré)
  • 82 patients qui après 10 jours sont satisfaits du traitement, continuent à etre suivis sans modification de la randomisation
  • suivi après une semaine, trois, six et douze mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de patients satisfaits du traitement = nombre de patients prêts à poursuivre le traitement ; la date de l’arrêt du traitement par insatisfaction a été utilisée pour la courbe de survie de Kaplan-Meier ; la différence entre les deux groupes est calculée avec le logrank test
  • critères de jugement secondaires : intensité de la douleur (mesuré par échelle visuelle analogique (EVA) de 10 cm) et utilisation de médication antalgique enregistré dans journal, auto-appréciation de l’état de santé (mesuré par SIP - Sickness Impact Profile), limitations en raison de la douleur (mesuré par PDI - Pain Disability Index), nombre d’heures de TENS        
  • intention de traiter stricte : nécessité d’au moins une prise d’un médicament évalué, nécessité d’au moins une évaluation en cours d’étude, etc… Il s’agit alors d’une analyse en intention de traiter modifiée.">analyse en ITT modifiée.

Résultats

  • critère de jugement primaire : pas de différence significative entre les deux groupes au niveau de la courbe de survie Kaplan-Meier (p=0,79) ; après 1 an 30% de satisfaction dans le groupe TENS versus 23% dans le groupe pseudo TENS
  • critères de jugement secondaires : pas de différences significatives
  • 46% des patients du groupe TENS versus 54% du groupe pseudo TENS présentent des problèmes cutanés provoqués par les électrodes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le TENS versus le pseudo TENS présente un effet similaire après un an auprès de patients présentant une douleur chronique. Cette étude confirme l’existence d’un effet placebo à long terme.

Financement

Nederlandse Organisatie voor Gezondheidsontwikkeling en Onderzoek

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les patients ont été informé avant la randomisation qu’une stimulation de basse intensité avec TENS est aussi efficace qu’une stimulation de haute intensité. Ceci est cependant controversé. Certaines études montrent qu’une stimulation de haute intensité peut être plus efficace qu’une stimulation de basse intensité (2).

Après lui avoir appliqué les électrodes, le physiothérapeute montre à chaque patient la différence entre la sensation de picotement de la stimulation intense et l’absence de sensation de la stimulation légère. Le faux appareil ne délivre en réalité pas de courant, mais l’affichage d’un courant de basse intensité de 10 mA a pu donner au patient l’impression qu’il recevait le traitement effectif. Cette intervention placebo bien conçue induit néanmoins également un problème dans cette étude. Il est démontré que le placebo agit de façon multifactorielle (3,4). Si l’on essaie d’analyser l’effet placebo du TENS, l’on peut s’attendre à ce que la suggestion « une faible intensité est également active » renforce l’effet placebo. En vue de l’interprétation des résultats, il eut été mieux (voir plus loin) de ne donner aucun renseignement au préalable sur les différentes formes de TENS. Comme les patients avaient reçu la consigne d’utiliser l’appareil TENS à une intensité qui leur procurait des picotements (impossible avec l’appareil factice), ils n’étaient par définition pas mis en aveugle pour l’intervention. 70% du groupe pseudo TENS semble néanmoins être convaincu d’avoir eu le traitement actif. Comme l’appareil a été mis au point par un technicien non relié à l’étude, tant les soignants que les évaluateurs sont restés aveugles pour la randomisation. L’effet de cette mise en aveugle peut être mise en doute du fait que l’on ait seulement « demandé » aux soignants de ne pas interroger les patients quant à leur expérience avec l’appareil utilisé.

Les auteurs considèrent le taux de satisfaction du patient comme un critère de jugement primaire cliniquement très pertinent parce qu’il tient compte de la balance que les patients font entre les avantages et les effets indésirables du traitement. D’après eux, il est difficile d’obtenir, dans ce contexte, des résultats fiables sur la réduction de la douleur en raison du fait que chez des patients qui présentent une douleur chronique un grand pourcentage de pertes de vue est à attendre pour toute forme de thérapie (5). Il n’était également pas clair pour eux de définir le seuil d’une réduction de la douleur cliniquement pertinente. Les auteurs ont eu la bonne idée de mesurer également d’autres paramètres objectifs tels que l’utilisation d’antalgiques.

 

Interprétation des résultats

Cette étude est certes la première étude qui évalue à long terme (un an) l’effet d’un traitement prolongé par TENS versus placebo. Les études précédentes se limitaient à des comparaisons d’une durée de un à plusieurs mois (1). L’évaluation à long terme est certes un point positif. A long terme, autant de patients sont satisfaits avec le TENS qu’avec le pseudo TENS. Le score EVA pour la douleur baisse dans les deux groupes d’une moyenne de 60 sur 100 mm à 30 sur 100 mm lorsque les patients prolongent le traitement. Cette étude montre que tant le traitement actif qu’inactif influence la douleur, la diminution de la douleur ou l’autoévaluation du niveau de santé. Cette étude confirme donc que le TENS peut également induire un effet placebo. Nous ne pouvons cependant pas évaluer l’ampleur de cet effet placebo en raison de l’absence d’un troisième bras qui suit l’évolution naturelle de la douleur chronique. Les auteurs mentionnent que l’on ne sait pas chez combien de patients la douleur disparait spontanément. Pour cela, il aurait effectivement fallu un troisième bras de patients qui auraient reçu soit un placebo médicamenteux, soit pas de traitement (difficilement acceptable sur le plan éthique).

Lors de l’interprétation des résultats, il faut également tenir compte de l’effet Hawthorne. L’intervention est en effet assez ample et de nombreuses personnes sont impliquées. La question demeure : qu’a t’on précisément dit au patient et quelle suggestion positive ou négative y a été rajoutée. Si le patient ressent ce qu’il a effectivement souhaité ressentir, il y a bien des chances que cela donne un résultat positif, quelque soit le traitement. Nous n’en savons rien. Cette information semble bien cruciale parce qu’à coté d’une suggestion positive, l’on peut suggérer également des suggestions négatives ce qui peut entraîner un effet nocebo. Cette information manque également dans cette étude. Une évaluation des suggestions tant positives que négatives eut été un beau complément (6-8).

On a uniquement observé les effets indésirables des électrodes, mais il est possible que le port d’un TENS ne soit pas confortable ou que d’autres causes négatives aient été la raison de l’arrêt du TENS.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre qu’à long terme (un an) des patients présentant des douleurs chroniques non-cancéreuses (de plus de 6 mois) sont aussi satisfaits du TENS que du pseudo TENS. Les deux interventions ont également un effet similaire tant sur la réduction de la douleur que sur les limitations causées par la douleur. Cette étude ne nous permet pas de comprendre les causes de l’important effet placebo. 

 

Pour la pratique

Sur base des preuves existantes, les recommandations NICE et Prodigy déconseillent le TENS dans le traitement des lombalgies chroniques (9,10). Cette étude ne fournit aucune preuve d’un effet positif du TENS dans le cas de douleur chronique. Elle ne montre qu’un effet placebo important à long terme.

 

 

Références

  1. Nnoaham KE, Kumbang J. Transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) for chronic pain. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 3.
  2. Moran F, Leonard T, Hawthorne S, et al. Hypoalgesia in response to transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) depends on stimulation intensity. J Pain 2011;12:929-35.
  3. Cameron M. Placebo effect in TENS study. Phys Ther 1989,69:1118-20.
  4. Michiels B. Expérience individuelle et expérimentation scientifique. [Editorial] MinervaF 2009;8(4):37.
  5. Turk DC, Rudy TE. Neglected factors in chronic pain treatment outcome studies--referral patterns, failure to enter treatment, and attrition. Pain 1990;43:7-25.
  6. Tracey I. Getting the pain you expect: mechanisms of placebo, nocebo and reappraisal effects in humans. Nature 2010;16:1277-83.
  7. Crombez G. You may (not always) experience  what you expect: in search for the limits of the placebo and nocebo effect. Pain 2011;152:1449-50. Comment on: van Laarhoven AI, Vogelaar ML, Wilder-Smith OH. Induction of nocebo and placebo effects on itch and pain by verbal suggestions. Pain 2011;152:1486-1494.
  8. van Laarhoven AI, Vogelaar ML, Wilder-Smith OH. Induction of nocebo and placebo effects on itch and pain by verbal suggestions. Pain 2011;152:1486-1494.
  9. National Institute for Health and Clinical Excellence. Low back pain. Early management of persistent non-specific low back pain. NICE clinical guideline 88, May 2009.
  10. Prodigy. Back pain - low (without radiculopathy) – Management. What treatments are not recommended by NICE for chronic low back pain?
Neurostimulation transcutanée électrique (TENS) pour douleur chronique ?

Auteurs

Devulder J.
Pijnkliniek Universitair Ziekenhuis Gent, Vakgroep Anesthesiologie Universiteit Gent
COI :

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