Revue d'Evidence-Based Medicine



L'acarbose prévient-il les complications cardiovasculaires?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 2 Page 32 - 34

Professions de santé


Analyse de
Chiasson J-L, Josse RG, Gomis R, et al. Acarbose treatment and the risk of cardiovascular disease and hypertension in patients with impaired glucose tolerance. The STOP-NIDDM Trial. JAMA 2003;290:486-94.


Question clinique
L’administration d’acarbose à des patients présentant une intolérance glucidique permet-elle de réduire leur risque cardiovasculaire ainsi que leur risque de présenter une hypertension artérielle ?


Conclusion
Les insuffisances méthodologiques et les doutes concernant la fiabilité des données de cette étude ne nous permettent pas de tirer des conclusions valides sur l’efficacité de l’acarbose en prévention des pathologies cardiovasculaires et de la survenue d’hypertension artérielle chez des patients présentant une intolérance glucidique. Aucune autre étude n’a été publiée sur ce sujet précis.


 

Résumé

Contexte

La morbidité et la mortalité cardiovasculaires des patients diabétiques sont particulièrement élevées et redoutées. Cet accroissement du risque cardiovasculaire est déjà présent avant la survenue du diabète (glycémie à jeun > 126 mg/100 ml), en cas d’intolé-rance glucidique (IGT : < 200 mg/100 ml et glycémie > 140 mg/100 ml, 2 heures après l’administration de 75 g de glucose oral). L’acarbose, un inhibiteur de l’alpha-glucosidase, avait précédemment montré une efficacité (non comparée à celle des modifications de style de vie) dans la prévention de la survenue de diabète chez des personnes présentant une IGT1. Cette réduction s’accompagne-t-elle d’une diminution du risque cardiovasculaire et de survenue d’une HTA ?

Population étudiée

L’étude inclut 1 429 sujets présentant une IGT et recrutés dans des consultations hospitalières en Amérique du Nord ou en Europe. Ils présentent un âge de 40 à 70 ans, avec une moyenne de 54,5 ans (ET : 7,9) un BMI entre 25 et 40 kg/m2 (BMI moyen de 30,9 ± 4,2) et 49 % sont de sexe masculin, pour 51 % de femmes. Les sujets inclus présentent une intolérance glucidique (selon les critères de l’OMS) et une glycémie à jeun entre 100 et 140 mg/dl. Les facteurs d’exclusion : un événement cardiovasculaire récent (dans les 6 mois), la prise de certains médicaments (dont les diurétiques et les bêtabloquants), une insuffisance rénale ou hépatique, la présence d’une pathologie thyroïdienne.

Protocole d’étude

Cette étude est randomisée, en double-aveugle et versus placebo. La randomisation se fait par bloc de 4 et 6 et par centre. Dans le groupe actif, les sujets (n = 714) reçoivent 3 x 100 mg d’acarbose par jour. Ils sont suivis de 3 en 3 mois par une infirmière et tous les 6 mois par un des chercheurs. Des conseils de diététique, de réduction du poids et d’exercices physiques réguliers sont rappelés lors de chaque contact. La puissance de l’étude (90 %) était calculée en fonction du critère d’incidence de nouveaux cas de diabète.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survenue d’évé-nement cardiovasculaire majeur : ischémie coronarienne (infarctus du myocarde, angor nouveau, intervention de revascularisation, décès d’origine cardiovasculaire, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral, artérite périphérique). Le critère de jugement secondaire est la survenue d’une HTA (≥ 140/90 mm Hg). L’analyse des résultats est faite suivant une technique en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter modifiée. Sont ainsi exclus de l’analyse, suivant les groupes : 32 (acarbose) ou 29 (placebo) sujets pour non-réponse aux critères d’inclusion ou données incomplètes et 211 (acarbose) et 130 (placebo) sujets interrompant rapidement l’étude (= 24 %), soit un total de 28 % des sujets randomisés.

Résultats

Après un suivi moyen de 3,3 ans (E.T. 1,15), la diminution de l’hyperglycémie post-prandiale grâce à l’acarbose va de pair avec une réduction de risque de présenter un événement cardiovasculaire : rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 0,51 (IC à 95 % de 0,28 à 0,95 ; p = 0,03), soit une RAR de 2,5 %. La réduction la plus importante est obtenue pour l’infarctus du myocarde (HR 0,09 ; IC à 95 % de 0,01 à 0,72 ; p = 0,02). Une réduction relative de risque de 34 % est observée pour la survenue de nouveaux cas d’hypertension artérielle (HR 0,66 ; IC à 95 % de 0,49 à 0,89 ; p = 0,006), soit une réduction absolue de risque de 5,3 %. Après ajustement pour les facteurs de risque majeurs enregistrés, ces différences persistent.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement des sujets IGT par acarbose est associé à une réduction significative du risque de maladie cardiovasculaire et d’hypertension.

Financement

L’étude est financée par la firme Bayer qui n’a participé ni à l’élaboration, ni à l’analyse ni à l’interpréta-tion de ses résultats, ni à la rédaction de l’article.

Conflits d’intérêts

Trois des auteurs signalent avoir reçu des financements de la firme Bayer.

 

Discussion

Considérations méthodologiques

Cette publication est une ré-analyse des données déjà partiellement publiées en 2002 1, 2. La méthodologie de cette étude semble à première vue correcte. Le processus de randomisation paraît correct, mais le respect du double aveugle pose problème : 79 % des patients sous acarbose estimaient prendre ce médicament et non un placebo et 69 % des prescripteurs avaient un avis identique. Au vu de ses fréquents effets digestifs indésirables, l’acarbose est très difficile à expérimenter en réel « double aveugle ». Les caractéristiques de départ des sujets inclus dans les différents groupes sont décrites de manière comparative, mais sans analyse statistique des différences. À noter 51 % d’hypertendus (PA ≥ 140/90 mm Hg). Cette HTA ne pouvait pas être traitée, ni par diurétique ni par bêta-bloquant, ce qui est contraire aux directives actuelles. L’existence d’un traitement optimal n’est également pas mentionné. Les critères de jugement pour les événements cardiovasculaires sont partiellement décrits : les définitions d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et d’insuffi-sance cardiaque sont données, mais relativement imprécises ; les définitions d’angor, d’interventions de revascularisation et d’artérite périphérique ne sont pas données et ces critères de jugement ne figuraient pas dans le protocole initial. L’analyse en intention de traiter « modifiée » utilisée mérite toute notre attention. Après randomisation, les auteurs excluent des sujets pour non-respect des critères d’IGT, absence de données post-randomisation et les 24 % des sujets qui arrêtent de manière précoce leur traitement. Ils continuent cependant à suivre ces patients et observent, dans les deux sous-groupes (l’un attribué « acarbose », l’autre au placebo), respectivement 4 et 9 cas d’événements cardiovasculaires. L’inclusion de ces cas dans l’analyse des résultats modifierait totalement les conclusions ! Nous ne pouvons donc pas parler d’ana-lyse en intention de traiter. Il s’agit d’une analyse par protocole. Pour la valeur p donnée, la barre des 0,05 est respectée pour les résultats globaux (p = 0,02 et 0,03), mais, comme il s’agit d’un groupe remanié pour l’analyse, un plafond de p < 0,01 est en général exigé pour ce type de tests-multiples et n’est pas respectée dans ce cas.

Résultats mentionnés

Les résultats d’un traitement par acarbose chez des patients avec intolérance glucidique semblent donc favorables : diminution du risque de présenter un événement cardiovasculaire (HR 0,51). Etant donné une incidence dans le groupe placebo de 1,4 % par an d’événements cardiovasculaires, ceci représenterait un bénéfice clinique significatif : NNT de 40 sujets avec intolérance glucidique à traiter pendant 3,3 ans pour prévenir un événement cardiovasculaire. De la même façon, la prévention de la survenue de nouveaux cas d’HTA semble efficace avec HR 0,66. L’incidence en est de 10 % par an (ce qui paraît élevé). Le bénéfice clinique semblerait, ici également, significatif avec 19 patients intolérants glucidiques à traiter pendant 3,3 ans pour prévenir la survenue d’un cas d’HTA. Dans une analyse de régression, aucun des effets observés dans le groupe acarbose versus placebo (diminution du poids, diminution du périmètre des hanches, diminution des chiffres tensionnels, diminution de la glycémie postprandiale (2 heures), diminution des triglycérides) ne permet d’expliquer le bénéfice cardiovasculaire global observé.

Manipulation des chiffres ?

Nos questions à propos des méthodes d’analyse des résultats de cette étude trouvent un écho dans la presse « International Society of Drug Bulletins » 3. De nombreuses anomalies ou contradictions sont apparentes :

- les chiffres de l’étude cités sur le site web de la firme Bayer sont différents de ceux publiés par Chiasson et collaborateurs. En comparant ces données, Arznei-Telegram estime que la publication de Chiasson analysée ici est basée sur une sélection rétrospective 3;

- les patients hypertendus sont au nombre de 46 % dans la première publication 1 et de 51 % dans cette publication-ci, alors qu’il s’agit de la même étude;

- d’autres chiffres ne correspondent pas entre les deux publications : nombre de sujets exclus, période prévue pour le suivi, perte de poids observée dans le groupe acarbose.

Arznei-Telegram met également en doute la déclaration de non-intervention de la firme Bayer dans l’éla-boration et le suivi de cette étude.

 

Conclusion

Les insuffisances méthodologiques et les doutes concernant la fiabilité des données de cette étude ne nous permettent pas de tirer des conclusions valides sur l’efficacité de l’acarbose en prévention des pathologies cardiovasculaires et de la survenue d’hypertension artérielle chez des patients présentant une intolérance glucidique. Aucune autre étude n’a été publiée sur ce

sujet précis 4.

 

Références

  1. Chiasson J-L, Josse RJ, Gomis RG, et al. Acarbose for prevention of type 2 diabetes mellitus : the STOP-NIDDM randomized trial. Lancet 2002;359:2072-7.
  2. Vermeire E. Une stratégie pharmacologique préventive du diabète de type 2. MinervaF 2003;2(4):67-8.
  3. Arznei-Telegramm 2003;34:73-4. http//www.arznei-telegrammm.de
  4. van Driel M, Chevalier P. L’usage adéquat des antidiabétiques oraux. Résultats de la recherche dans la littérature. Jury de Consensus 13 novembre 2003. INAMI, Bruxelles, 2003.

 

Nom de marque

Acarbose : Glucobay ®

L'acarbose prévient-il les complications cardiovasculaires?



Ajoutez un commentaire

Commentaires