Analyse
Les patients rapportent-ils mieux les effets toxiques subjectifs de la chimiothérapie anticancéreuse que les médecins ?
Dans les essais cliniques, notamment en oncologie, les effets indésirables (ou toxicité) des traitements observés sont évalués par les médecins investigateurs, en utilisant des échelles avec grades de sévérité comme les échelles de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) (1) ou du SWOG (South West Oncology Group) (2). Depuis quelques années, une tendance s’affirme pour faire évaluer la toxicité subjective de la chimiothérapie directement par les patients. Les résultats rapportés par les patients (« patient-reported outcomes » en anglais) ont même fait l’objet de recommandations (3) de la part du CMTP (Center for Medical Technology Policy), une ONG étatsunienne qui a pour but d’améliorer la recherche clinique et qui estime très important de capturer l'expérience subjective du patient. Cette approche a ses sources dans la mise en évidence du rôle actif du patient dans le cadre de la médecine basée sur les preuves (EBM) (4).
Des auteurs italiens et canadiens ont publié en 2015 une étude (5) comparant de façon prospective les toxicités subjectives évaluées par les patients et les médecins à partir de données récoltées au cours de trois essais cliniques randomisés multicentriques. Un des essais concernait une chimiothérapie adjuvante pour cancer du sein chez des sujets âgés et les deux autres des traitements médicaux pour des cancers bronchiques au stade avancé. Dans ces trois études soutenues par l’industrie pharmaceutique, la toxicité a été évaluée en utilisant les critères NCI CTCAE (National Cancer Institute (NCI) Common Toxicity Criteria) version 2 ou 3 (accessibles en ligne) et les patients ont évalué leur qualité de vie par le questionnaire EORTC QoL (European Organisation for Research and Treatment of Cancer Quality of Life) (6) où des questions sont posées sur les nausées et vomissements, la constipation et la diarrhée, l’anorexie, la perte des cheveux. Les patients ont donc ainsi pu grader la toxicité subjective de leur traitement et les auteurs ont comparé ces données aux évaluations faites par les investigateurs. Sur les 1490 patients enrôlés, 1090 (âge médian de 64 ans, écart de 29 à 81) provenant de 78 institutions des deux pays ont été éligibles pour la comparaison. Les patients ont rapporté beaucoup plus souvent des toxicités de tout grade que les médecins : 62,3% versus 18,5% pour l’anorexie, 60% versus 44,8% pour les nausées, 26% versus 23,5% pour les vomissements, 51% versus 18,6% pour la constipation, 35,7% versus 22,8% pour la diarrhée et 50,8% versus 19,1% pour l’alopécie. Les coefficients de corrélation sont faibles (coefficient de kappa de Cohen entre 0,15 et 0,45). Les médecins n’ont pas rapporté la majorité des effets indésirables et pour les plus graves, leur évaluation est meilleure mais reste cependant inférieure à celle des patients.
Cette méthode d’évaluation de la toxicité par le patient à partir du questionnaire EORTC QoL a été développée (7) et récemment validée (8) aux Etats-Unis pour donner naissance à une version « patient » des critères de toxicité appelée PRO-CTCAE (patient-reported outcomes version of the Common Terminology Criteria for Adverse Events). Une étude randomisée vient de montrer un bénéfice en termes d’amélioration de la qualité de vie en relation avec la santé pour les patients à évaluer eux-mêmes la toxicité par l’échelle EORTC QoL avec une meilleure prise en charge des effets indésirables (9). Le patient doit donc avoir un rôle plus actif dans les essais cliniques tout en tirant un bénéfice.
Conclusion
Dans les essais cliniques évaluant les traitements médicaux anticancéreux, les patients évaluent mieux la toxicité subjective que les médecins investigateurs. En pratique, favoriser l’utilisation par les patients de questionnaires validés tels EORTC QoL en cas de chimiothérapie anticancéreuse doit permettre aux cliniciens une meilleure prise en charge des effets indésirables dans le but d’améliorer la qualité de vie en relation avec la santé.
- Miller AB, Hoogstraten B, Staquet M, Winkler A. Reporting results of cancer treatment. Cancer 1981;47:207-14.
- Green S, Weiss GR. Southwest Oncology Group standard response criteria, endpoint definitions and toxicity criteria. Invest New Drugs 1992;10:239-53.
- Basch E, Abernethy AP, Mullins CD, et al. Recommendations for incorporating patient-reported outcomes into clinical comparative effectiveness research in adult oncology. J Clin Oncol 2012;30:4249-55.
- Haynes RB, Devereaux PJ, Guyatt GH. Physicians' and patients' choices in evidence based practice. BMJ 2002;324:1350.
- Di Maio M, Gallo C, Leighl NB, et al. Symptomatic toxicities experienced during anticancer treatment: agreement between patient and physician reporting in three randomized trials. J Clin Oncol 2015;33:910-5.
- Aaronson NK, Ahmedzai S, Bergman B, et al. The European Organization for Research and Treatment of Cancer QLQ-C30: a quality-of-life instrument for use in international clinical trials in oncology. J Natl Cancer Inst 1993;85:365-76.
- Basch E, Reeve BB, Mitchell SA, et al. Development of the National Cancer Institute's patient-reported outcomes version of the common terminology criteria for adverse events (PRO-CTCAE). J Natl Cancer Inst 2014;106.
- Dueck AC, Mendoza TR, Mitchell SA, et al. Validity and reliability of the US National Cancer Institute's Patient-Reported Outcomes version of the Common Terminology Criteria for Adverse Events (PRO-CTCAE). JAMA Oncol 2015;1:1051-9. URL : http://healthcaredelivery.cancer.gov/pro-ctcae/.
- Basch E, Deal AM, Kris MG, et al. Symptom monitoring with patient-reported outcomes during routine cancer treatment: a randomized controlled trial. J Clin Oncol 2016;34:557-65.
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