Analyse


Antiagrégant plaquettaire dans l’artériopathie symptomatique des membres inférieurs ticagrélor ou clopidogrel ?


15 10 2017

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Hiatt WR, Fowkes FG, Heizer G, et al; EUCLID Trial Steering Committee and Investigators. Ticagrelor versus clopidogrel in symptomatic peripheral artery disease. N Engl J Med 2017;376:32-40. DOI: 10.1056/NEJMoa1611688


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée montre que le ticagrélor n’est pas supérieur au clopidogrel en prévention des événements cardiovasculaires chez les patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les patients atteints d’artériopathie symptomatique des membres inférieurs doivent être traités comme des patients ayant une maladie cardiovasculaire connue. En plus des modifications du mode de vie (arrêt du tabagisme, exercice physique), un traitement médicamenteux par antihypertenseurs, hypolipémiants et antithrombotiques est recommandé. Si l’aspirine est contre-indiquée (ulcère gastroduodénal actif, hypersensibilité aux salicylates), le clopidogrel reste l’alternative de première intention.



La prévalence de l’artériopathie symptomatique des membres inférieurs est estimée à 7% chez les personnes âgées de 55 ans et à 56% à partir de 85 ans (1). L’artériopathie des membres inférieurs est souvent associée à d’autres maladies vasculaires (cardiaques, cérébrales, rénales) (1). Tout comme pour les maladies cardiaques et cérébrovasculaires, les facteurs de risque les plus importants sont le tabagisme et le diabète sucré (1). Le traitement de l’artériopathie des membres inférieurs associe modifications du mode de vie (arrêt du tabagisme), exercice physique et médicaments (antiagrégants plaquettaires, statines) (1,2).

Actuellement, les antiagrégants plaquettaires les mieux reconnus et les plus utilisés en prévention des maladies cardiovasculaires sont l’acide acétylsalicylique et le clopidogrel. Une méta-analyse a montré que l’aspirine, versus placebo, ne réduisait pas de manière statistiquement significative le risque d’événements cardiovasculaires chez les patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs sauf pour l’AVC non fatal (3,4). La plupart des grandes études portant sur le clopidogrel concernent des patients ayant une coronaropathie. Il existe peu de preuves directes concernant l’utilité du traitement antiplaquettaire chez les patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs. L’étude CAPRIE a montré que le clopidogrel en monothérapie est un peu plus efficace que l’aspirine en monothérapie pour la réduction des événements cardiovasculaires (réduction relative de risque (RRR) 8,7% ; p = 0,043), principalement dans le sous-groupe des patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs (5). L’étude CHARISMA, qui a comparé l’association de clopidogrel et d’aspirine à l’aspirine seule chez des patients présentant soit des facteurs de risque cardiovasculaires soit une maladie cardiovasculaire prouvée, n’a montré aucun avantage de l’association de clopidogrel à raison de 75 mg par jour et d’acide acétylsalicylique à raison de 75 à 162 mg par jour en prévention des événements cardiovasculaires. Cette association comportait un risque accru de saignements (6,7). L’étude PRoFESS a permis d’observer que l’association de 25 mg d’aspirine et de 200 mg de dipyridamole deux fois par jour n’était pas moins efficace (étude de non-infériorité) que le clopidogrel à raison de 75 mg par jour en prévention de la récidive d’AVC (8,9).

Le ticagrélor, un antagoniste des récepteurs P2Y12, a eu un effet plus favorable que le clopidogrel sur la mortalité cardiovasculaire chez les patients présentant un syndrome coronarien aigu (10). Une étude post-hoc a montré, chez les patients ayant à la fois un syndrome coronarien aigu et une artériopathie des membres inférieurs, que ce gain n’était plus statistiquement significatif (11). Une autre étude, menée auprès de patients qui prenaient une faible dose d’aspirine après un infarctus aigu du myocarde, a montré que l’ajout de ticagrélor au long terme, versus placebo, diminuait le risque d’événements cardiovasculaires (12). Dans une analyse post-hoc de cette étude, on a pu observer une diminution plus importante, statistiquement significative, des événements cardiovasculaires majeurs chez les patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs (13).

 

Une récente étude a cherché à savoir si le ticagrélor en monothérapie était supérieur au clopidogrel en monothérapie en prévention des événements cardiovasculaires chez les patients atteints d’artériopathie symptomatique des membres inférieurs sous traitement par aspirine (14). 13885 patients atteints d’artériopathie symptomatique des membres inférieurs (définie comme un index cheville-bras (ICB) ≤ 0,80 ou une revascularisation précoce des membres inférieurs) ont été répartis en 2 groupes : l’un recevant 75 mg de clopidogrel par jour, et l’autre, du ticagrélor à raison de 2 x 90 mg par jour. Au terme d’un suivi médian de 30 mois, on n’a pas observé de différence statistiquement significative quant au critère de jugement composite combinant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral ischémique (10,8% dans le groupe ticagrélor versus 10,6% dans le groupe clopidogrel ; rapport de hasards (Hazard Ratio, HR) 1,02 ; IC à 95% de 0,92 à 1,13), ni quant aux hémorragies majeures (1,6% dans les 2 groupes, HR 1,10 ; IC à 95% de 0,84 à 1,43). Il y avait par contre une diminution statistiquement significative des AVC (HR 0,78 avec IC à 95% de 0,62 à 0,98). Un nombre statistiquement plus important de patients du groupe ticagrélor ont arrêté leur traitement en raison d’une dyspnée ou de saignements mineurs. Cette étude présente quelques limites importantes : environ 4% des patients recrutés n’ont finalement pas été inclus parce qu’ils présentaient un déficit génétique en cytochrome P-450 2C19, qui est l’enzyme responsable de la transformation du clopidogrel en son métabolite actif. En outre, il n’y avait pas de bras aspirine, ce qui rend impossible des conclusions sur l’efficacité du clopidogrel et du ticagrélor par rapport à l’aspirine.

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée montre que le ticagrélor n’est pas supérieur au clopidogrel en prévention des événements cardiovasculaires chez les patients atteints d’artériopathie des membres inférieurs.

 

Pour la pratique

Les patients atteints d’artériopathie symptomatique des membres inférieurs doivent être traités comme des patients ayant une maladie cardiovasculaire connue. En plus des modifications du mode de vie (arrêt du tabagisme, exercice physique), un traitement médicamenteux par antihypertenseurs, hypolipémiants et antithrombotiques est recommandé (1). Si l’aspirine est contre-indiquée (ulcère gastroduodénal actif, hypersensibilité aux salicylates), le clopidogrel reste l’alternative de première intention.

 

 

Références 

  1. Bartelink ME, Elsman BH, Oostindjer A, et al. NHG-Standaard Perifeer arterieel vaatlijden (tweede herziening). Huisarts Wet 2014;57:81.
  2. De Backer T, Vermassen F. Perifeer arterieel lijden van de onderste ledematen. Risicostratificatie en behandeling. Tijdschr voor Geneeskunde 2017;73:760-8. DOI: 10.2143/TVG.73.12.2002361
  3. Chevalier P. Artérite périphérique et aspirine. MinervaF 2010;9(2):26.
  4. Berger JS, Krantz MJ, Kittelson JM, Hiatt WR. Aspirin for the prevention of cardiovascular events in patients with peripheral artery disease: a meta-analysis of randomized trials. JAMA 2009;301:1909-19. DOI: 10.1001/jama.2009.623
  5. CAPRIE Steering Committee. A randomised, blinded, trial of clopidogrel versus aspirin in patients at risk of ischaemic events (CAPRIE). Lancet 1996;348:1329-39. DOI: 10.1016/S0140-6736(96)09457-3
  6. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire? MinervaF 2006;5(6):88-91.
  7. Bhatt DL, Fox KA, Hacke W, et al. Clopidogrel and aspirin versus aspirin alone for the prevention of atherothrombotic events. N Engl J Med 2006;354:1706-17. DOI: 10.1056/NEJMoa060989
  8. Bogaert M, Kaufman L. Clopidogrel ou aspirine + dipyridamole post AVC ? MinervaF 2009;8(6):72-3.
  9. Sacco RL, Diener HC, Yusuf S, et al; PRoFESS Study Group. Aspirin and extended-release dipyridamole versus clopidogrel for recurrent stroke. N Engl J Med 2008;359:1238-51. DOI: 10.1056/NEJMoa0805002
  10. Wallentin L, Becker RC, Budaj A, et al; PLATO Investigators. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009;361:1045-57. DOI: 10.1056/NEJMoa0904327
  11. Patel MR, Becker RC, Wojdyla DM, et al. Cardiovascular events in acute coronary syndrome patients with peripheral arterial disease treated with ticagrelor compared with clopidogrel: data from the PLATO Trial. Eur J Prev Cardiol 2015;22:734-42. DOI: 10.1177/2047487314533215
  12. Bonaca MP, Braunwald E, Sabatine MS. Long-term use of ticagrelor in patients with prior myocardial infarction. N Engl J Med 2015;373:1274-5. DOI: 10.1056/NEJMc1508692
  13. Bonaca MP, Bhatt DL, Storey RF, et al. Ticagrelor for prevention of ischemic events after myocardial infarction in patients with peripheral artery disease. J Am Coll Cardiol 2016;67:2719-28. DOI: 10.1016/j.jacc.2016.03.524
  14. Hiatt WR, Fowkes FG, Heizer G, et al; EUCLID Trial Steering Committee and Investigators. Ticagrelor versus clopidogrel in symptomatic peripheral artery disease. N Engl J Med 2017;376:32-40. DOI: 10.1056/NEJMoa1611688

 

 




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