Analyse


Adapter le traitement en fonction du taux de NT-pro-BNP ne présente pas de valeur ajoutée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique


15 03 2018

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Felker GM, Anstrom KJ, Adams KF, et al. Effect of natriuretic peptide-guided therapy on hospitalization or cardiovascular mortality in high-risk patients with heart failure and reduced ejection fraction: a randomized clinical trial. JAMA 2017;318:713-20. DOI: 10.1001/jama.2017.10565


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée multicentrique menée en ouvert montre que l’adaptation du traitement en fonction du taux de NT-pro-BNP n’est pas plus efficace que la prise en charge standard optimale sur le plan des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et sur le plan de la mortalité cardiovasculaire durant le suivi des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique sévère.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique actuel de la SSMG recommande un suivi régulier des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique, en fonction de leur état clinique, durant les entretiens de suivi en première ligne. Il est important d’évaluer surtout des paramètres cliniques, tels que la pression artérielle, le rythme cardiaque, le poids, la volémie, l’état nutritionnel, les capacités fonctionnelles, notamment cognitives, et le traitement médicamenteux. Une analyse sanguine des électrolytes et de la créatinine peut éventuellement être ajoutée comme examen complémentaire. Pour le moment, il n’y a pas de preuve scientifique claire qu’un suivi avec mesure du taux plasmatique de NT-pro-BNP apporterait un bénéfice clinique.



Minerva a déjà discuté de l’effet de l’adaptation du traitement en fonction du taux de BNP sur la mortalité et sur l’hospitalisation, versus adaptation du traitement selon le tableau clinique chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique. Une méta-analyse (1,2) a montré que le recours au taux sérique de BNP ou de NT-pro-BNP (pro-B-type natriuretic peptide) dans la prise en charge ambulatoire des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique conduit à un traitement médicamenteux plus optimal et à une diminution de la mortalité, principalement chez les patients de moins de 75 ans. Il s’agissait cependant d’un nombre limité d’études dont la qualité méthodologique était douteuse. Les études incluses étaient cliniquement trop hétérogènes pour déterminer la place du BNP dans le traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque.

 

Une étude randomisée contrôlée multicentrique menée en ouvert (3), publiée en 2017, a de nouveau examiné l’effet d’une série de mesures du taux de NT-pro-BNP au cours du suivi de patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique, ayant une fraction d’éjection du ventricule gauche ≤ 40%, une concentration sérique de NT-pro-BNP > 1000 pg/ml et des antécédents d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque. 894 patients dont l’âge médian était d’environ 63 ans (interquartile 50-70), parmi lesquels 32% de femmes, ont été randomisés pour faire partie soit d’un groupe avec suivi standard (groupe contrôle) soit d’un groupe avec suivi du taux de NT-pro-BNP (groupe BNP). Les investigateurs ont été encouragés à augmenter progressivement la dose des bêta-bloquants, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), des sartans et des antagonistes de l’aldostérone conformément aux guides de pratique clinique de l’American Heart Association (AHA)/American College of Cardiology (ACC). Les médecins du groupe BNP ont en outre reçu comme instruction de s’efforcer d’obtenir un taux de NT-pro-BNP inférieur à 1000 pg/ml. Après un suivi médian de 15 mois, aucune différence entre les deux groupes n’a été observée concernant le délai jusqu’à la première hospitalisation suivante pour insuffisance cardiaque ni le délai jusqu’au décès lié à un problème cardiovasculaire (rapport de hasards (hazard ratio, HR) de 0,98 avec IC à 95% de 0,79 à 1,22 ; p = 0,98) (critère de jugement primaire). On n’a pas non plus observé de différences quant aux critères de jugement secondaires (mortalité globale, nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque ou pour problème cardiovasculaire et effets indésirables).

Différents facteurs pourraient toutefois expliquer le manque d’effet de l’intervention. L’étude manquait de puissance statistique. A la fin de l’étude, les concentrations plasmatiques de NT-pro-BNP avaient diminué dans les deux groupes sans différence statistiquement significative entre les deux groupes. Le pourcentage de patients avec atteinte d’un taux de NT-pro-BNP < à 1000 pg/ml (valeur cible) était de 46% dans le groupe BNP et de 40% dans le groupe contrôle (p = 0,21). Cette diminution de la concentration plasmatique de NT-pro-BNP dans le groupe contrôle était beaucoup plus importante que dans d’autres études similaires (4). Cela laisse supposer que le groupe contrôle bénéficierait d’une prise en charge plus complète que les soins habituels. Sur une période de 15 mois, le nombre médian de visites effectuées par les patients du groupe contrôle était de 10 visites, et leur traitement a été adapté 4 fois. Les doses des médicaments instaurés pour l’insuffisance cardiaque ne différaient pas d’un groupe à l’autre. Il convient de noter que, dans les deux groupes, la dose cible n’a été atteinte que chez environ 30%, 20% et 80% des patients, respectivement avec les bêta-bloquants, avec les IECA/sartans et avec les antagonistes de l’aldostérone. L’explication pourrait être que dans cette étude, il s’agissait de patients présentant une insuffisance cardiaque relativement sévère (concentration sérique médiane de NT-pro-BNP égale à 2607 pg/ml, fraction d’éjection médiane de 25% et antécédents d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque) et que les médecins étaient réticents à augmenter les médicaments en raison du risque d’effets indésirables, tels que l’hypotension artérielle et les troubles de la fonction rénale.

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée multicentrique menée en ouvert montre que l’adaptation du traitement en fonction du taux de NT-pro-BNP n’est pas plus efficace que la prise en charge standard optimale sur le plan des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et sur le plan de la mortalité cardiovasculaire durant le suivi des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique sévère.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique actuel de la SSMG recommande un suivi régulier des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique, en fonction de leur état clinique, durant les entretiens de suivi en première ligne (5). Il est important d’évaluer surtout des paramètres cliniques, tels que la pression artérielle, le rythme cardiaque, le poids, la volémie, l’état nutritionnel, les capacités fonctionnelles, notamment cognitives, et le traitement médicamenteux (5). Une analyse sanguine des électrolytes et de la créatinine peut éventuellement être ajoutée comme examen complémentaire (5). Pour le moment, il n’y a pas de preuve scientifique claire qu’un suivi avec mesure du taux plasmatique de NT-pro-BNP apporterait un bénéfice clinique.

 

 

Références 

  1. De Keulenaer G. Insuffisance cardiaque chronique : modifier le traitement en fonction du BNP ? MinervaF 2011;10(1):2-3.
  2. Porapakkham P, Porapakkham P, Zimmet H, et al. B-type natriuretic peptide-guided heart failure therapy: a meta-analysis. Arch Intern Med 2010;170:507-14. DOI: 10.1001/archinternmed.2010.35
  3. Felker GM, Anstrom KJ, Adams KF, et al. Effect of natriuretic peptide-guided therapy on hospitalization or cardiovascular mortality in high-risk patients with heart failure and reduced ejection fraction: a randomized clinical trial. JAMA 2017;318:713-20. DOI: 10.1001/jama.2017.10565
  4. Januzzi JL Jr, Rehman SU, Mohammed AA, et al. Use of amino-terminal pro-B-type natriuretic peptide to guide outpatient therapy of patients with chronic left ventricular systolic dysfunction. J Am Coll Cardiol 2011;58:1881-9. DOI: 10.1016/j.jacc.2011.03.072
  5. L’insuffisance cardiaque. SSMG 2011.



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