Analyse


Arrêt de l’anticoagulation orale au long cours pour des femmes à risque faible et traitées pour une thrombose veineuse non provoquée ?


15 06 2018

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Rodger MA, Le Gal G, Anderson DR, et al. Validating the HERDOO2 rule to guide treatment duration for women with unprovoked venous thrombosis: multinational prospective cohort management study. BMJ 2017;356:j1065. DOI: 10.1136/bmj.j1065


Conclusion
Cette étude de cohorte non contrôlée bien conduite valide les observations faites antérieurement, à savoir qu’en cas de TVE non provoquée et sans contexte particulier (thrombophilie, cancer, etc.), on peut arrêter l’anticoagulation orale après 5 à 12 mois de traitement pour les malades de sexe féminin ayant un score HERDOO2 bas (0 ou 1) en leur faisant courir un risque de récidive considéré comme acceptable selon les standards actuels.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Pour les patients ayant présenté un premier épisode de thromboembolie veineuse (TVE) provoquée (avec facteurs de risque identifiés et réversibles), une anticoagulation de 3 mois est recommandée. Pour ceux qui gardent à 3 mois un risque élevé de récidive (TVE non provoquée) après l’arrêt de l’anticoagulant, un traitement au long cours est recommandé. L’étude de cohorte non contrôlée analysée ici, dont le but était une validation prospective multicentrique internationale des décisions basées sur le score HERDOO2 montre que pour les malades de sexe féminin présentant un premier épisode de TVE non provoquée et ayant un score HERDOO2 bas (0 ou 1), l’arrêt de l’anticoagulation orale après 5 à 12 mois de traitement peut être envisagé sans augmenter le risque de récidive de façon inacceptable.



Minerva a abordé à plusieurs reprises le problème de l’anticoagulation orale au long cours dans la maladie thromboembolique veineuse. Pour les patients ayant présenté un premier épisode de thromboembolie veineuse (TVE) provoquée (avec facteurs de risque identifiés et réversibles), une anticoagulation de 3 mois est recommandée (1). Pour ceux qui gardent à 3 mois un risque élevé de récidive (TVE non provoquée) après l’arrêt de l’anticoagulant, un traitement au long cours est recommandé (1). Une méta-analyse en réseau a confirmé l’utilité des antagonistes de la vitamine K (AVK), des anticoagulants oraux directs (AOD) et, dans une moindre mesure, de l’aspirine quand une prévention secondaire à plus long terme est nécessaire (2,3). Une étude randomisée a montré l’intérêt de prolonger, au-delà des 6 mois initiaux, un traitement anticoagulant par AVK durant 18 mois chez ce type de patients après un premier épisode d’EP non provoquée (4,5). Une étude prospective d’observation a mis en évidence que des patients ayant présenté un premier épisode de TVE non provoquée et présentant un taux de D-dimères anormal un mois après l’arrêt du traitement par AVK pendant les 30 jours initiaux ont un risque de récidive significativement plus élevé de récidive (6,7). Une autre étude d’observation a évalué les risques de récidive de TVE non provoquée après arrêt de l’anticoagulation pour un premier épisode (8,9). Pour les hommes, aucune association de facteurs prédictifs cliniques n’a permis d’identifier un sous-groupe à risque faible. Pour les femmes, différents facteurs de risque ont été identifiés : hyperpigmentation, œdème ou rougeur à l’une ou l’autre des jambes, taux de D-dimères ≥ 250 ng/ml pendant le traitement par AVK, IMC ≥ 30 kg/m² ou âge ≥ 65 ans. Si les femmes présentaient 0 ou 1 de ces signes, elles avaient un risque de récidive annuel de 1,6% versus 14,1% en présence de 2 ou plus de ces signes.

 

La règle, sur laquelle se base ce score appelé HERDOO2 (10), a fait l’objet d’une étude de validation prospective multicentrique internationale dans 44 centres (de seconde et troisième ligne) dans 7 pays différents. L’objectif primaire de l’étude était de déterminer si en cas de risque faible (femme avec un score HERDOO2 de 0 ou 1), le taux de récidive de TVE à un an après arrêt de l’anticoagulation était inférieur à celui admis par l’International Society on Thrombosis and Haemostasis (< 5%). Sur base de considérations statistiques ad hoc, une cohorte de 2785 patients traités pour un premier épisode de TVE non provoquée ont été suivis avec comme règle d’arrêter l’anticoagulation orale, en cas de score HERDOO2 de 0 ou 1, après 5 à 12 mois d’anticoagulation. Les patients avec une affection cardiaque requérant une anticoagulation, une histoire de cancer ou une thrombophilie établie ont été exclus de l’étude.

Sur les 1213 femmes incluses, 631 (51,3%) étaient à risque faible et l’anticoagulation a été arrêtée chez 591 ; 17 ont eu une récidive de TVE correspondant à un taux de 3,0% par année-patient (IC à 95% de 1,8% à 4,8%).  Chez les 323 femmes à risque élevé et hommes qui ont arrêté l’anticoagulation, on a observé 25 TVE, soit un taux de 8,1% (IC à 95% de 5,2% à 11,9%), tandis que pour les 1802 patients à haut risque qui ont poursuivi les anticoagulants, on a documenté 28 TVE correspondant à un taux de 1,6% (avec IC à 95% de 1,1% à 2,3%). Un total de 22 hémorragies majeures sous anticoagulant a été observé, soit un risque de 1,2 % par année-patient (avec IC à 95% de 0,8% à 1,9%) versus 0,3 % (avec IC à 95 % de 0,1 % à 1,0%) pour ceux qui avaient arrêté l’anticoagulation.

Il faut cependant garder à l’esprit qu’en termes de niveau de preuve, cette étude de cohorte non contrôlée n’est pas à l’abri de certains biais qui ne peuvent être contrôlés au mieux que par une étude randomisée de bonne qualité. Nous souhaiterions également une validation de l’outil en première ligne de soins. 

 

Conclusion 

Cette étude de cohorte non contrôlée bien conduite valide les observations faites antérieurement, à savoir qu’en cas de TVE non provoquée et sans contexte particulier (thrombophilie, cancer, etc.), on peut arrêter l’anticoagulation orale après 5 à 12 mois de traitement pour les malades de sexe féminin ayant un score HERDOO2 bas (0 ou 1) en leur faisant courir un risque de récidive considéré comme acceptable selon les standards actuels.

 

Pour la pratique 

Pour les patients ayant présenté un premier épisode de thromboembolie veineuse (TVE) provoquée (avec facteurs de risque identifiés et réversibles), une anticoagulation de 3 mois est recommandée (1). Pour ceux qui gardent à 3 mois un risque élevé de récidive (TVE non provoquée) après l’arrêt de l’anticoagulant, un traitement au long cours est recommandé (1). L’étude de cohorte non contrôlée analysée ici, dont le but était une validation prospective multicentrique internationale des décisions basées sur le score HERDOO2 montre que pour les malades de sexe féminin présentant un premier épisode de TVE non provoquée et ayant un score HERDOO2 bas (0 ou 1), l’arrêt de l’anticoagulation orale après 5 à 12 mois de traitement peut être envisagé sans augmenter le risque de récidive de façon inacceptable.

 

 

Références  

  1. Kearon C, AkL EA, Comerota AJ, et al; American College of Chest Physicians. Antithrombotic therapy for VTE disease: antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians evidence-based clinical practice guidelines. Chest 2012;141(2 Suppl):e419S-494S. DOI: 10.1378/chest.11-2301
  2. Chevalier P. Quel traitement antithrombotique en prévention secondaire post thromboembolie veineuse? MinervaF 2014;13(5):56-7.
  3. Castellucci LA, Cameron C, Le Gal G, et al. Efficacy and safety outcomes of oral anticoagulants and antiplatelet drugs in the secondary prevention of venous thromboembolism: systematic review and network meta-analysis. BMJ 2013;347:f5133. DOI: 10.1136/bmj.f5133
  4. Chevalier P. Prévention secondaire post embolie pulmonaire non provoquée : plus de 6 mois sous anticoagulants oraux? Minerva bref 15/04/2016.
  5. Couturaud F, Sanchez O, Pernod G, et al; PADIS-PE Investigators. Six months vs extended oral anticoagulation after a first episode of pulmonary embolism. The PADIS-PE randomized clinical trial. JAMA 2015;314:31-40. DOI: 10.1001/jama.2015.7046
  6. De Jonghe M. Anticoagulant au long cours en cas de thromboembolie veineuse : D-dimères pour décider ? MinervaF 2008;7(2):24-5.
  7. Palareti G, Cosmi B, Legnani C, et al; PROLONG Investigators. D-Dimer testing to determine the duration of anticoagulation therapy. N Engl J Med 2006;355:1780-9. DOI: 10.1056/NEJMoa054444
  8. De Jonghe M. Durée de l’anticoagulothérapie. MinervaF 2009;8(5):66.
  9. Rodger MA, Kahn SR, Wells PS, et al. Identifying unprovoked thromboembolism patients at low risk for recurrence who can discontinue anticoagulant therapy. CMAJ 2008;179:417-26. DOI: 10.1503/cmaj.080493
  10. Rodger MA, Le Gal G, Anderson DR, et al. Validating the HERDOO2 rule to guide treatment duration for women with unprovoked venous thrombosis: multinational prospective cohort management study. BMJ 2017;356:j1065. DOI: 10.1136/bmj.j1065

 

 




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