Revue d'Evidence-Based Medicine
Anticoagulant au long cours en cas de thromboembolie veineuse : D-dimères pour décider ?
Résumé
Contexte
L’administration d’un médicament antivitamine K (AVK) est très efficace dans la prévention de récidive d’un premier épisode de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) idiopathique (1). La durée optimale de son administration n’est cependant pas bien définie. Le risque de récidive est le plus grand dans les 6 à 12 mois qui suivent l’épisode initial et diminue ensuite (2) ; une possible prolongation de la thérapie doit donc être mise en balance avec un risque hémorragique majoré.
Population étudiée
- 624 patients âgés de 18 à 85 ans, 55,3% > 65 ans ; 47,9% de femmes ; présentant un premier épisode de MTEV idiopathique symptomatique; MTEV = thrombose veineuse proximale profonde, embolie pulmonaire, ou les deux
- TVP diagnostiquée par écho de compression ou veinographie ; embolie pulponaire (EP) par algorithme regroupant probabilités cliniques, scintigraphie ventilation-perfusion ou CT-Scan pulmonaire, écho-doppler et D-dimères
- thérapie antivitamine K (AVK, warfarine ou acénocoumarol) pendant au moins 3 mois (INR : 2,5 (2,0-3,0))
- exclusion : maladie hépatique sévère, insuffisance rénale sévère, autre indication ou contre-indication aux anticoagulants, espérance de vie faible.
Protocole d’étude
- étude prospective d’observation, multicentrique avec adjudication centrale, internationale
- arrêt de toute anticoagulation pour une durée de 30 jours (20-40) après un bilan veineux pour évaluer les séquelles post-thrombotiques
- mesure des D-dimères : technique qualitative, rapide, non ELISA (Clearview Simplify D-dimer asay, Inverness Medical Professional Diagnostics) (3), et recherche d’une éventuelle thrombophilie
- groupe contrôle : arrêt maintenu des anticoagulants si le taux de D-dimères est normal (n=385)
- randomisation des patients ayant un taux de D-dimères anormal dans 2 groupes : aucun anticoagulant (n=120) ou reprise d’une AVK (INR 2-3) (n=103) pendant en moyenne 1,4 ans
- suivi tous les 3 à 6 mois
- analyse en intention de traiter.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : récidive de MTEV ou hémorragie sévère.
Résultats
- taux de récidive (données ajustées pour : âge, sexe, durée du traitement anticoagulant) :
- significativement supérieur pour les patients ayant un taux de D-dimères anormal et n’ayant repris aucun traitement, par rapport à ceux qui ont repris un anticoagulant (RR : 4,26 ; IC à 95% de 1,23 à 14,6 ; p=0,02) et par rapport à ceux qui avaient un taux de D-dimères normal (RR : 2,27 ; IC à 95% de 1,15 à 4,46 ; p=0,02)
- pas de différence significative entre le groupe D-dimères normal et le groupe D-dimères anormal + AVK (RR : 2,46 ; IC à 95% de 0,71 à 8,46 ; p=0,15)
- événement hémorragique majeur : 1 patient parmi ceux qui reprennent un anticoagulant
- 25 patients changent de traitement en cours d’étude.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les patients ayant présenté un épisode de maladie thromboembolique veineuse idiopathique et présentant un taux de D-dimères anormal 1 mois après l’arrêt du traitement par AVK ont un risque de récidive significativement plus élevé, lequel est diminué par la reprise de l’anticoagulant. La durée optimale d’un traitement en cas de taux de D-dimères normal n’est pas déterminée.
Financement
Italian Federation of Anticoagulation Clinics et Department of Angiology and Blood Coagulation de l’hôpital universitaire de Bologne (Italie).
Conflits d’intérêt
Six auteurs mentionnent avoir reçu des honoraires du laboratoire qui a fourni les instruments de mesure ; aucun autre conflit d’intérêt n’est mentionné.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
L’étude, bien que conduite uniquement en hôpital, est transposable à la médecine générale. La question clinique est pertinente et complète une étude précédemment analysée dans Minerva (4). L’étude est bien construite : critères d’inclusion et d’exclusion bien définis, population correctement décrite, critère de jugement primaire correctement défini, résultats bien présentés, patients informés clairement au moment de leur enrôlement. Certaines limites sont cependant à souligner. Le test de laboratoire choisi dans cette étude est un test qualitatif, non quantitatif. Les auteurs expliquent leur choix pour faciliter la classification des D-dimères normaux et anormaux dans tous les centres participant à l’étude. Ce choix ne permet donc pas une comparaison avec des études prônant une approche quantitative et ne permet pas de répondre à la question du seuil au-delà duquel le traitement anticoagulant doit être débuté. Nous n’avons pas trouvé d’étude de validité de ce test. L’étude est ouverte mais bénéficie d’une adjudication centrale, dépendante du taux d’événements réellement signalés. Les auteurs ne font aucune mention des autres médications ou de la mobilité des patients.
Considérations sur les résultats
Le taux de D-dimères n’est calculé qu’un mois après l’arrêt de l’AVK. Au cours de cette période d’un mois, 5 patients vont développer une récidive de MTEV. Cette étude n’est donc pas construite pour évaluer un risque de récidive de MTEV immédiat. Les D-dimères ne sont évalués qu’une seule fois. Une modification de ce taux n’a pas été évaluée au cours du suivi des patients, ce qui ne permet pas de savoir si les patients ayant présenté une récidive de MTEV ont eu une élévation ou non du taux de D-dimères, argument qui aurait pu permettre d’instaurer un traitement et de prévenir les événements thromboemboliques. Cette évaluation reste à étudier. Enfin, cette étude manque de puissance pour évaluer de façon définitive le risque relatif d’hémorragie, considéré seul, avec un traitement continu d’anticoagulants.
Les auteurs signalent eux-mêmes les limites énoncées.
Mise en perspective
Snow et coll. mentionnent dans leur guide de pratique que bien que la durée optimale de l’anticoagulothérapie dans le cas d’un premier épisode de MTEV idiopathique ne soit pas connue, il y aurait un bénéfice à maintenir un traitement prolongé. La durée des études prises en compte dans leur recherche varie entre 12 mois et 4 ans. Les auteurs ne disposent cependant pas des OR indispensables pour l’affirmer avec certitude, si bien qu’ils recommandent aux généralistes de discuter avec les patients des bénéfices et risques reconnus afin d’identifier leurs préférences (5).
Si l’on aborde le versant quantitatif des D-dimères (également non abordé dans cette étude), les auteurs eux-mêmes avaient déjà montré qu’un taux de D-dimères <500 ng/ml, mesuré 3 mois après l’arrêt du traitement anticoagulant, avait une très bonne valeur prédictive négative de récidive thrombotique (95,6%) (6). Eischinger et coll . avaient également montré que les patients de plus de 18 ans présentant un premier épisode spontané de TEV et un taux de D-dimères <250 ng/ml un mois après l’arrêt d’un traitement anticoagulant d’une durée d’au moins 3 mois, ont un risque faible de récidive thrombotique (4).
Pour la pratique
Cette étude concerne les événements thromboemboliques idiopathiques, définis comme un épisode non associé à une grossesse, fracture de jambe récente (≤3 mois), immobilisation au lit de 3 jours au moins, anesthésie générale d’au moins 30 minutes, cancer, syndrome des antiphospholipides ou une déficience en anti-thrombine. Le traitement par anticoagulant peut être arrêté, sans risque important, chez les patients de plus de 18 ans ayant présenté un premier épisode de MTEV idiopathique, traités pendant au moins 3 mois par AVK et présentant un taux normal de D-dimères un mois après l’arrêt du traitement. En effet, les résultats de cette étude confirment la haute valeur prédictive négative du test par rapport au risque de récidive. Les patients présentant un taux de D-dimères anormal élevé 1 mois après l’arrêt de l’AVK ont un risque de récidive diminué par la reprise de l’anticoagulant. La durée optimale de la poursuite du traitement n’est cependant pas déterminée dans cette étude. Le risque d’hémorragie majeure sous AVK semble également limité dans cette étude mais demande à être confirmé dans la pratique clinique.
Conclusion
Cette étude montre que les patients ayant présenté un épisode de maladie thromboembolique veineuse idiopathique et présentant des D-dimères anormaux 1 mois après l’arrêt du traitement anticoagulant oral d’au moins 3 mois, ont un risque de récidive significativement plus élevé, lequel est diminué par la reprise de l’anticoagulothérapie. La durée optimale du traitement en cas de taux de D-dimères normal n’est cependant pas déterminée par cette étude.
Références
- Agnelli G, Prandoni P, Santamaria MG, et al; Warfarin Optimal Duration Italian Trial Investigators. Three months versus one year of oral anticoagulant therapy for idiopathic deep venous thrombosis. N Engl J Med 2001;345:165-9.
- Heit JA, Mohr DN, Silverstein MD, et al. Predictors of recurrence after deep vein thrombosis and pulmonary embolism: a population-based cohort study. Arch Intern Med 2000;160:761-8.
- Inverness Medical. A rapid test to aid the safe rule out of venous thromboembolism. http://www.clearview.com/d-dimer_thrombosis.aspx
- De Jonghe M, Roland M. Les D-dimères pour déterminer le risque de récidive d’une thrombo-embolie veineuse. MinervaF 2005;4(4):56-8.
- Snow V, Qaseem A, Barry P, et al. Management of venous thromboembolism: a clinical practice guideline from the American College of Physicians and the American Academy of Family Physicians. Ann Fam Med 2007;5:74-80.
- Palareti G, Legnani C, Cosmi B, et al. Risk of venous thromboembolism recurrence: high negative predictive value of D-dimer performed after oral anticoagulation is stopped. Thromb Haemost 2002;87:7-12.
Auteurs
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
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