Analyse
Risque persistant à 20 ans de récidive à distance et mortel du cancer du sein à récepteur hormonal positif traité par hormonothérapie pendant 5 ans
En 2013, le KCE (1) recommande dans le cancer du sein invasif précoce un traitement systémique adjuvant guidé par la sensibilité hormonale, le profil de risque de la tumeur, l’âge de la patiente, son statut ménopausique et ses comorbidités. En cas de cancer du sein à récepteur hormonal positif, les patientes pré-ménopausées doivent recevoir un traitement hormonal adjuvant par tamoxifène pendant 5 ans avec ou sans analogue de la LHRH et les patientes post-ménopausées un traitement hormonal adjuvant avec soit un modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes, le tamoxifène, pendant 5 ans, soit un inhibiteur de l’aromatase, l’anastrozolou le letrozol, pendant 5 ans, soit le tamoxifène (pendant 2 - 3 ans) suivi d’un inhibiteur de l’aromatase pour un total de 5 ans de thérapie hormonale ou encore avec un inhibiteur de l’aromatase pendant 2 ans suivi du tamoxifène pour un total de 5 ans de thérapie hormonale. Chez ces patientes post-ménopausées après 5 années de traitement adjuvant par tamoxifène, une prolongation de traitement avec un inhibiteur de l’aromatase (d’une durée pouvant atteindre 5 ans) doit être envisagée en cas de ganglion lymphatique positif ou de ganglion négatif à haut risque (pT2 ou grade III). Dans leurs recommandations de pratique clinique, l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) en 2014 (2) recommande une durée totale de 10 ans - tamoxifène et/ou inhibiteur d’aromatase - et l’ESMO (European Society of Medical Oncology) en 2015 (3) également. Une analyse brève de Minerva, en 2017 (4,5), d’une étude de suivi randomisée, contrôlée par placebo, rapporte une survie sans maladie significativement meilleure après un traitement par inhibiteur de l’aromatase administré pendant une durée prolongée à 10 ans chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein primaire avec récepteurs hormonaux positifs, sans cependant de différence de survie. Cette analyse suggère que la prolongation du traitement hormonal peut donc être envisagée sans que les données concernant la balance risque-bénéfice soient suffisantes pour considérer cette approche comme un traitement standard.
Une méta-analyse parue en 2017 a repris les résultats de 88 études randomisées issues du Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG) (6) comprenant 62923 femmes de moins de 75 ans au moment du diagnostic d’un cancer mammaire invasif au stade précoce (moins de 5 cm de diamètre), avec 9 ganglions axillaires envahis maximum, sans métastase (M0), et avec récepteurs à l’œstrogène (ER-positif). Ces patientes ont été traitées pendant 5 ans par hormonothérapie adjuvante. Les patientes qui à la fin des 5 ans ne présentaient pas de récidive étaient incluses dans le suivi. L’objectif de la méta-analyse était de déterminer les taux de récidive et de la mortalité dans les 5 à 20 ans post-traitement initial. Les résultats peuvent se résumer de la façon suivante :
Tableau. Résultats en terme de survie chez les femmes présentant un cancer du sein invasif précoce non métastasé traitées pendant 5 ans par hormonothérapie adjuvante sans récidive à 5 ans ni développement d’un autre cancer du sein. T : dimension de la tumeur, N : statut nodal (ganglion).
Caractéristique classification TNM0 initiale |
n |
Survie sans récidive à distance à |
Mortalité par cancer du sein à |
||||
|
|
10 ans |
15 ans |
20 ans |
10 ans |
15 ans |
20 ans |
Tumeur T1 (≤ 2 cm) |
|||||||
T1 N0 |
19402 |
96% |
92% |
87% |
2% |
5% |
7% |
T1 N1-3 |
14342 |
93% |
86% |
80% |
4% |
9% |
13% |
T1 N4-9 |
3832 |
85% |
75% |
66% |
8% |
15% |
22% |
Tumeur T1 (> 2 cm et ≤ 5 cm) |
|||||||
T2 N0 |
9445 |
93% |
86% |
81% |
4% |
10% |
13% |
T2 N1-3 |
10950 |
89% |
81% |
74% |
6% |
14% |
20% |
T2 N4-9 |
4952 |
81% |
69% |
59% |
11% |
20% |
29% |
Les auteurs ont essayé d’identifier d’autres facteurs pronostics de récidive. Même les tumeurs de petite taille (> 1 cm) sont associées à des taux non négligeables de récidive. Le statut TN est le facteur le plus fortement corrélé au risque de récidive à distance. Sous réserve de beaucoup de données manquantes, le grade de différenciation tumorale et le statut Ki67 (marqueur anatomopathologique de prolifération cellulaire) ont un impact prédictif modéré sur la récidive à distance après 5 ans. L’expression des récepteurs à la progestérone ou des récepteurs du facteur de croissance épidermique de type 2 (HER2) n’en a pas. Notons également pour cette période des taux de récidive mammaire locale de 5 à 9% à 20 ans lié au statut TN. Par contre, le risque d’apparition de cancer du sein controlatéral est de l’ordre de 0,3% par an (6% à 20 ans) et n’est lié à aucun des facteurs prédictifs de l’autre cancer du sein.
Conclusion
Malgré 5 ans d’hormonothérapie adjuvante, un cancer du sein à récepteur hormonal positif peut récidiver avec un risque non négligeable jusqu’à 20 ans au moins après le début du premier traitement. Ce risque associé à une mortalité notable est essentiellement dépendant du statut T et N de la tumeur initiale.
Pour la pratique
Cette analyse poolée d’un grand nombre d’études randomisées d’un groupe coopérateur montre que même après 5 ans d’une hormonothérapie adjuvante pour un cancer du sein hormonodépendant de stade invasif précoce sans métastase, le taux de récidive à distance et la mortalité par ce cancer restent significatifs au cours des 15 années suivant la fin de ce traitement, ce qui suggère l’insuffisance du traitement ou de sa durée. Cette étude plaide indirectement en faveur d’un traitement hormonal au-delà de 5 ans. Cette analyse n’a cependant pas pris en considération les effets indésirables des traitements, ni les comparaisons de stratégie thérapeutique. Elle ne permet donc pas de changer les recommandations actuellement disponibles en Belgique du KCE (1) ou d’en suivre d’autres comme celles de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) ou de l’ESMO (European Society of Medical Oncology) (2,3).
- Wildiers H, Stordeur S, Vlayen J, et al. Cancer du sein chez la femme : diagnostic, prise en charge et suivi - Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2013. KCE Reports 143Bs - 3ème édition. D/2013/10.273/36.
- Burstein HJ, Temin S, Anderson H, et al. Adjuvant endocrine therapy for women with hormone receptor-positive breast cancer: American society of clinical oncology clinical practice guideline focused update. J Clin Oncol 2014;32:2255‑69. DOI: 10.1200/JCO.2013.54.2258
- Senkus E, Kyriakides S, Ohno S, et al; ESMO Guidelines Committee. Primary breast cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2015;26 (suppl 5):v8-30. DOI: 10.1093/annonc/mdv298
- De Bock M, Cocquyt V. Prolongation à 10 ans d’une thérapie adjuvante avec inhibiteurs de l’aromatase chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs ? Minerva bref 15/03/2017.
- Goss PE, Ingle JN, Pritchard KI, et al. Extending aromatase-inhibitor adjuvant therapy to 10 years. N Engl J Med 2016;375:209-19. DOI: 10.1056/NEJMoa1604700
- Pan H, Gray R, Braybrooke J, et al. 20-year risks of breast-cancer recurrence after stopping endocrine therapy at 5 years. N Engl J Med 2017;377:1836-46. DOI: 10.1056/NEJMoa1701830
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
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