Analyse


Prolongation à 10 ans d’une thérapie adjuvante avec inhibiteurs de l’aromatase chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs ?


15 03 2017

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Goss PE, Ingle JN, Pritchard KI, et al. Extending aromatase-inhibitor adjuvant therapy to 10 years. N Engl J Med 2016;375:209-19. DOI: 10.1056/NEJMoa1604700


Conclusion
Cette étude de suivi randomisée, contrôlée par placebo montre une survie sans maladie significativement meilleure après un traitement par inhibiteur de l’aromatase pendant une durée prolongée à 10 ans chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein primaire avec récepteurs hormonaux positifs. On n’a cependant pas constaté de différence en termes de survie. Par ailleurs, le létrozole est associé à un plus grand nombre d’effets indésirables osseux (ostéoporose et fractures). La prolongation du traitement hormonal par inhibiteur de l’aromatase peut donc être envisagée, mais, à ce jour, les données concernant la balance risque-bénéfice sont insuffisantes pour le considérer comme le traitement standard.



 

Sur la base d’une étude randomisée contrôlée, menée en double aveugle, nous avons précédemment conclu dans Minerva qu’une monothérapie adjuvante avec létrozole (inhibiteurs de l’aromatase) était supérieure au tamoxifène chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs. En outre, une thérapie séquentielle avec tamoxifène et létrozole n’a pas donné de meilleur résultat que le létrozole administré en monothérapie (1,2). Le tamoxifène administré durant 5 ou 10 ans, les inhibiteurs de l’aromatase administrés durant 5 ans ou une thérapie séquentielle avec tamoxifène et létrozole sont des options thérapeutiques valables, mais la durée optimale de traitement n’est pas encore connue avec certitude (3).

 

Une étude randomisée contrôlée a examiné l’effet de la prolongation d’une thérapie adjuvante avec létrozole chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein (4). L’étude a inclus 1918 femmes ménopausées qui étaient en traitement pour un cancer du sein depuis une durée médiane de 10,6 ans. Toutes les patientes étaient déjà sous traitement adjuvant par inhibiteurs de l’aromatase depuis 4,5 à 6 ans. 68,5% d’entre elles avaient reçu pendant 4,5 à 5,5 ans un traitement par tamoxifène avant ce traitement par inhibiteurs de l’aromatase. Toutes les patientes ont été correctement randomisées dans un groupe placebo ou un groupe recevant 2,5 mg de létrozole par jour pendant encore 5 ans.

Après un suivi d’une durée moyenne de 6,3 ans, on a constaté 165 récidives de la maladie ou tumeurs controlatérales : 67 dans le groupe létrozole versus 98 dans le groupe placebo. La survie à 5 ans sans maladie était de 95% (IC à 95% de 93% à 96%) dans le groupe létrozole versus 91% (IC à 95% de 89% à 93%) dans le groupe placebo, ce qui revenait à un rapport de hasards (hazard ratio, HR) de 0,66 (IC à 95% de 0,48 à 0,91 ; p = 0,01). La survie totale n’était cependant pas significativement différente entre les 2 groupes (p = 0,83). Cela peut-il s’expliquer par un suivi trop court, ou bien faut-il l’attribuer à un biais de sélection ? Premièrement, la population était principalement constituée de patientes à un stade relativement peu avancé de la maladie, avec des tumeurs de petite taille et un statut ganglionnaire négatif. Peut-être l’effet aurait-il donc été plus net si un groupe de patientes présentant un risque élevé avait été inclus. Deuxièmement, il n’y a pas de données concernant le statut HER2-neu, qui est un facteur de risque important. Troisièmement, il est à noter que la plupart des patientes avaient reçu un traitement hormonal adjuvant pendant une durée relativement longue avant le début de l’étude.

En ce qui concerne les effets indésirables, nous remarquons la présence de différences significatives entre les 2 groupes uniquement pour l’ostéoporose, les douleurs osseuses et les fractures. Dans le groupe létrozole, 133 fractures ont été enregistrées versus 88 dans le groupe placebo (p = 0,001). De nouveaux cas d’ostéoporose ont été observés chez respectivement 109 (11%) et 54 (6%) patientes (p < 0,001). Pour les autres effets indésirables, on n’a pas pu constater de différence significative entre les 2 groupes. Il est probable que les patientes qui avaient déjà présenté de nombreux effets indésirables avec un inhibiteur de l’aromatase durant les 5 premières années de traitement avaient abandonné avant le début de l’étude de suivi.

Les avantages et les inconvénients d’un traitement prolongé avec un inhibiteur de l’aromatase devront donc être envisagés au cas par cas et faire l’objet d’une concertation avec la patiente. Il faudra aussi tenir compte du risque de récidive de la maladie et des autres comorbidités des patientes. Les critères de remboursement actuels ne permettent un traitement par inhibiteur de l’aromatase que durant 5 ans chez la plupart des patientes. 

 

Conclusion

Cette étude de suivi randomisée, contrôlée par placebo montre une survie sans maladie significativement meilleure après un traitement par inhibiteur de l’aromatase pendant une durée prolongée à 10 ans chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein primaire avec récepteurs hormonaux positifs. On n’a cependant pas constaté de différence en termes de survie. Par ailleurs, le létrozole est associé à un plus grand nombre d’effets indésirables osseux (ostéoporose et fractures). La prolongation du traitement hormonal par inhibiteur de l’aromatase peut donc être envisagée, mais, à ce jour, les données concernant la balance risque-bénéfice sont insuffisantes pour le considérer comme le traitement standard.

 

 

Références 

  1. Strijbos M, Cocquyt V. Une monothérapie adjuvante avec le létrozole est plus efficace que le tamoxifène chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein hormonosensible. Minerva bref 28/11/2012.
  2. Regan MM, Neven P, Giobbie-Hurder A, et al; BIG 1-98 Collaborative Group; International Breast Cancer Study Group (IBCSG). Assessment of letrozole and tamoxifen alone and in sequence for postmenopausal women with steroid hormone receptor-positive breast cancer: the BIG 1-98 randomised clinical trial at 8·1 years median follow-up. Lancet Oncol 2011;12:1101-8. DOI: 10.1016/S1470-2045(11)70270-4
  3. Senkus E, Kyriakides S, Ohno S, et al; ESMO Guidelines Committee. Primary breast cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2015;26 (suppl 5):v8-30. DOI: 10.1093/annonc/mdv298
  4. Goss PE, Ingle JN, Pritchard KI, et al. Extending aromatase-inhibitor adjuvant therapy to 10 years. N Engl J Med 2016;375:209-19. DOI: 10.1056/NEJMoa1604700

 

 


Auteurs

De Bock M.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

Cocquyt V.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

Glossaire

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