Analyse


Aspirine en prévention cardiovasculaire primaire : du nouveau ?


17 11 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Zheng SL, Roddick AJ, et al. Association of aspirin use for primary prevention with cardiovascular events and bleeding events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;321:277-87. DOI: 10.1001/jama.2018.20578


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre que les informations apportées par les trois nouvelles études ne donnent pas d’argument nouveau pour étayer l’utilisation d’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique clinique ainsi que le CBIP ont un avis identique sur la question. Le CBIP, tout comme le SIGN et Domus Medica n’accordent pas de place à l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire, y compris chez le patient diabétique, le faible bénéfice sur la morbidité ne surpassant pas le risque d'hémorragie majeure La European Guideline n’accorde pas non plus de place à l’aspirine en prévention primaire, estimant que le taux de décès de cause cardiovasculaire à 5 ans n’est pas significativement différent dans le groupe traité par rapport au groupe contrôle. De plus, l’aspirine augmente le risque d’hémorragie intracrânienne. L’étude de Zheng et Roddick ne modifie pas les recommandations actuelles relatives à l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire.



La place de l’aspirine en prévention cardiovasculaire secondaire est bien établie (1,2). La question de son intérêt en prévention primaire a été discutée à plusieurs reprises dans Minerva, sans en démontrer le bénéfice, même chez les diabétiques de type 2 (3-8). Une méta-analyse de bonne qualité rapportée en 2012 dans Minerva (3,4), avait démontré un intérêt limité pour la prévention de l’infarctus du myocarde uniquement, mais pas pour les autres facteurs de risque cardiovasculaire, comme déjà documenté dans le guide de pratique clinique (GPC) relatif à la prise en charge des risques cardiovasculaires de Domus Medica publié en 2007 (9). Cet intérêt est contrebalancé par une augmentation du risque hémorragique. L’US Prevention Services Task Force (10) nuance cependant quelque peu les recommandations en identifiant une population sélectionnée de patients âgés de 50 à 59 ans avec risque cardiovasculaire > ou = à 10%, une espérance de vie supérieure à 10 ans et un faible risque hémorragique chez qui la prescription d’aspirine peut être discutée, cette nuance se basant sur la réduction du risque de cancer colorectal rapporté par les auteurs de cette recommandation.

 

Dans une nouvelle méta-analyse menée en 2018, Zheng et Roddick (11) ont combiné les résultats de trois essais récents (ASCEND, incluant des patients diabétiques, ASPREE, incluant des patients de plus de 65 ans et ARRIVE, incluant des patients à risque cardiovasculaire modéré) à ceux de 10 études précédentes menées de 1988 à 2014, incluant un total de 164225 participants. PubMed et Embase ont été consultées, et seules des RCTs publiées en anglais d’au moins 1000 sujets sans maladie cardiovasculaire connue, avec un suivi d’au moins 12 mois, étudiant l’aspirine (toutes doses confondues) versus placebo et donnant toutes les informations sur la survenue des événements vasculaires, hémorragiques et des cancers, ont été incluses. Les bibliographies des articles retrouvés ont été consultées pour trouver d’éventuelles références additionnelles. Au total, 13 RCTs ont ainsi été incluses dans cette méta-analyse. Parmi la population étudiée, 47% étaient des hommes et l’âge moyen était de 62 ans (intervalle de 53 à 74 ans). Trois des études incluaient uniquement des patients diabétiques, portant à 18,5% la proportion globale de patients diabétiques. Les doses journalières d’aspirine variaient de 75 à 100mg, sauf pour deux RCTs de 1988 et 1989, où les doses variaient de 300 à 500mg par jour. Le risque de base cardiovasculaire global estimé à 10 ans était de 9,2% (intervalle de 2,6 à 15,9%).

Les résultats montrent que l’administration d’aspirine est associée à une diminution de la survenue d’événements cardiovasculaires (évaluée par un critère de jugement composite : infarctus du myocarde et accident ischémique non fatals, mortalité cardiovasculaire globale) avec un rapport de hasard (hazard ratio ou HR) de 0,89 (avec IC à 95% de 0,84 à 0,95) ; réduction de risque absolu (RRA) de 0,38% (avec IC à 95% de 0,20% à 0,55%) ; nombre de sujets à traiter très élevé (NNT) de 265 ; mais elle augmente aussi le risque de saignement majeur : HR de 1,43 (avec IC à 95% de 1,30 à 1,56) ; augmentation de risque absolu de 0,47% (avec IC à 95% de 0,34% à 0,62%) ; nombre de sujets nécessaire pour nuire (NNH) de 210.

À remarquer que dans cette étude, le bénéfice clinique potentiel de l’aspirine dans la prévention du cancer colorectal n’est pas étudié, et les résultats ne viennent donc pas contrebalancer (ou non) les résultats relatifs à la prévention cardiovasculaire. Cette étude ne permet donc pas de confirmer ou d’infirmer l’approche de l’US Prevention Services Task Force.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre que les informations apportées par les trois nouvelles études ne donnent pas d’argument nouveau pour étayer l’utilisation d’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique ainsi que le CBIP ont un avis identique sur la question. Le CBIP (12,13), tout comme le SIGN (14) et Domus Medica (9) n’accordent pas de place à l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire, y compris chez le patient diabétique, le faible bénéfice sur la morbidité ne surpassant pas le risque d'hémorragie majeure.

La European Guideline (15) n’accorde pas non plus de place à l’aspirine en prévention primaire, estimant que le taux de décès de cause cardiovasculaire à 5 ans n’est pas significativement différent dans le groupe traité par rapport au groupe contrôle. De plus, l’aspirine augmente le risque d’hémorragie intracrânienne.

L’étude de Zheng et Roddick ne modifie pas les recommandations actuelles relatives à l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire.

 

 

Références  

  1. Skinner JS, Cooper A. Secondary prevention of ischaemic cardiac events. BMJ Clin Evid 2011;2011:0206.
  2. Lip GY, Kalra L. Stroke: secondary prevention. BMJ Clin Evid 2010;2010:0207.
  3. Chevalier P. Aucun intérêt de l’aspirine en prévention primaire ? MinervaF 2012;11(3):28-9.
  4. Seshasai SK, Wijesuriya S, Sivakumaran R, et al. Effect of aspirin on vascular and non vascular outcomes. Meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2012;172:209-16. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.628
  5. Chevalier P. Aspirine en prévention primaire chez les patients soouffrant de diabète ? Minerva bref 15/09/2017.
  6. Kunutsor SK, Seidu S, Khunti K. Aspirin for primary prevention of cardiovascular and all-cause mortality events in diabetes: updated meta-analysis of randomized controlled trials. Diabet Med 2016;34:316-27. DOI: 10.1111/dme.13133
  7. Chevalier P. Aspirine et diabète : pas en prévention primaire. MinervaF 2009;8(5):67.
  8. Ogawa H, Nakayama M, Morimoto T, et al; Japanese Primary Prevention of Atherosclerosis With Aspirin for Diabetes (JPAD) Trial Investigators. Low-dose aspirin for primary prevention of atherosclerotic events in patients with type 2 diabetes: a randomized controlled trial. JAMA 2008;300:2134-41. DOI: 10.1001/jama.2008.623
  9. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Domus Medica 2007 (in herziening). (uniquement disponible en Néerlandais)
  10. U.S. Preventive Services Task Force. Aspirin use to prevent cardiovascular disease and colorectal cancer: preventive medication. USPSTF Recommendation. URL: https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/Page/Document/RecommendationStatementFinal/aspirin-to-prevent-cardiovascular-disease-and-cancer (site consulté le 15/08/2019).
  11. Zheng SL, Roddick AJ, et al. Association of aspirin use for primary prevention with cardiovascular events and bleeding events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;321:277-87. DOI: 10.1001/jama.2018.20578
  12. CBIP. Trois études majeures le confirment: l’acide acétylsalicylique n’a pas sa place dans la prévention cardiovasculaire primaire. Folia Pharmacotherapeutica, avril 2019.
  13. CBIP. Acide acétylsalicylique en prévention primaire des accidents cardio-vasculaires et du cancer. Folia Pharmacotherapeutica, septembre 2012.
  14. Scottish Intercollegiate Guidelines Network. Risk estimation and the prevention of cardiovascular disease. SIGN; 2017. (SIGN publication no. 149). Disponible sur: http://www.sign.ac.uk
  15. Piepoli MF, Hoes AW, Agewall S, et al; ESC Scientific Document Group. 2016 European guidelines on cardiovascular disease prevention on clinical practice (constituted by representatives of 10 societies and by invited experts) Developed with the special contribution of the European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Eur Heart J 2016;37:2315-81. DOI: 10.1093/eurheartj/ehw106

 

 

 




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