Analyse
Que penser de l’ajout de mirtazapine à un traitement par inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) ou par inhibiteur sélectif de la recapture de la noradrénaline (ISRN) en cas de résistance au traitement chez des patients dépressifs
Différentes études ont montré que 30 à 60% des patients présentant une dépression majeure ne répondent pas ou insuffisamment à un traitement de première intention par un antidépresseur (1-4). Plusieurs guides de pratique clinique recommandent donc d’adapter le traitement lorsque la réponse à un antidépresseur est insuffisante après 4 à 6 semaines (5-7). Minerva a déjà traité de l’ajout de neuroleptiques atypiques au traitement par antidépresseur (8-11). L’ajout d’aripiprazole à un traitement existant chez les patients (ayant plus de 60 ans) atteints de dépression résistante au traitement a augmenté la probabilité de rémission à court terme, au prix d’une augmentation des effets indésirables extrapyramidaux tels que l’akathisie et le parkinsonisme (10,11). L’effet de l’ajout d’un deuxième antidépresseur chez les patients ayant une dépression résistante au traitement n’est pas bien connu en raison du petit nombre d’études, qui présentent souvent des limitations sur le plan méthodologique (12-14).
La mirtazapine est considérée comme un antidépresseur atypique ; c’est un antagoniste des récepteurs alpha-2 présynaptiques de la noradrénaline et des récepteurs sérotoninergiques et histaminiques H1 post-synaptiques (15). De ce fait, la mirtazapine pourrait peut-être avoir une action synergique lorsqu’elle est ajoutée à un traitement existant par inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) ou par inhibiteur sélectif de la recapture de la noradrénaline (ISRN). Différentes études cliniques ont donné des résultats contradictoires (16-19). La plus récente étude chez des patients ayant une dépression modérée à grave n’a pas pu montrer la supériorité de la venlafaxine (ISRN) associée à la mirtazapine par rapport à l’escitalopram (ISRS) en monothérapie. En outre, le risque d’effets indésirables est plus élevé avec l’association ISRN-mirtazapine (19).
L’étude MIR, une récente étude multicentrique (106 cabinets de médecine générale au Royaume-Uni), pragmatique, contrôlée par placebo, randomisée, a inclus 480 patients, 70% étant des femmes et ayant en moyenne 50 ans (ET 13 ans) (20). Le tableau était celui de dépression résistante au traitement (Beck Depression Inventory-II (BDI-II) ≥ 14/63) après au moins 6 semaines de traitement par un ISRN ou un ISRS classique. Les participants ont été randomisés dans un groupe intervention de 241 patients, à qui de la mirtazapine a été ajoutée (15 mg par jour pendant les deux premières semaines, puis 30 mg par jour durant les 50 semaines suivantes) au traitement existant, et un groupe contrôle de 239 patients, qui ont reçu un placebo. La gravité de la dépression a été surveillée à l’aide du BDI-II après 12, 24 et 52 semaines de suivi. La randomisation a été effectuée à l’aide d’un ordinateur, et le secret de l’attribution (concealment of allocation) a été garanti. L’insu a été assuré tant pour les patients et les personnes appliquant le traitement que pour les évaluateurs jusqu’à 12 semaines de traitement. Après cette période, 83 patients du groupe mirtazapine et 103 du groupe placebo ont choisi la levée de l’insu.
Après 12 semaines (principal critère de jugement), aucune amélioration statistiquement significative du score BDI-II dans le groupe mirtazapine n’a été observée par rapport au groupe placebo : différence moyenne ajustée de -1,83 point (avec IC à 95% de -3,92 à 0,27 ; p = 0,09). Après correction pour tenir compte des petites différences dans les caractéristiques de base (telles que le fait qu’il y avait plus de patients avec un BDI-II ≥ 35 dans le groupe intervention), aucune différence statistiquement significative n’a pu être observée. Pendant les 12 premières semaines, il y avait 10% de sorties d’étude, ce dont il avait été tenu compte au préalable pour le calcul de la taille de l’échantillon.
Il était prévu de recruter 200 patients par groupe, ce qui correspondait à une puissance de 91% qui devait permettre de détecter une différence de 3 ou 4 points sur l’échelle BDI-II entre les deux groupes, différence reconnue comme cliniquement pertinente. Il est important de mentionner qu’un plus grand nombre de patients a arrêté la mirtazapine dans le groupe intervention en raison d’effets indésirables non graves (effets anticholinergiques tels que sécheresse buccale, vision trouble et difficultés urinaires ; vertiges, céphalées, cauchemars ; appétit augmenté et prise de poids ; anxiété). De plus, après 24 et 52 semaines, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant au score BDI-II. Une analyse de sensibilité tenant compte des patients pour qui l’insu a été levé n’a pas donné d’autres résultats.
Conclusion
Cette étude randomisée pragmatique, multicentrique, contrôlée par placebo, de bonne qualité méthodologique, permet de conclure que l’ajout de mirtazapine à un traitement déjà existant (ISRS ou un ISRN) chez des patients atteints de dépression résistante au traitement, en pratique de médecine générale, n’apporte pas de plus-value clinique. En outre, nombreux sont les patients qui ont arrêté de prendre la mirtazapine à cause d’un effet indésirable.
Pour la pratique
Pour le traitement médicamenteux d’une dépression majeure modérée à sévère en première intention, il est recommandé de débuter avec un antidépresseur en monothérapie, combiné à un accompagnement non médicamenteux tel qu’une structure de jour, une planification des activités et de la motivation pour accroître l’activité physique. En cas de dépression majeure sévère, un traitement psychologique intensif est également recommandé (6,7). Si la situation ne s’améliore pas suffisamment après quatre à six semaines, il est important de rechercher des facteurs qui entretiendraient la maladie, comme une comorbidité et des circonstances sociales défavorables, et d’examiner aussi dans quelle mesure le patient est motivé et respecte le traitement et si un soutien supplémentaire est souhaitable (7). Si les symptômes de dépression se maintiennent malgré le traitement médicamenteux, il est judicieux de passer à l’étape suivante en recourant à la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) (6), comme nous l’avons déjà montré également dans une discussion de Minerva (21,22). Si, après quatre à six semaines sous ISRS, l’état ne s’améliore pas suffisamment, on peut aussi passer à un autre ISRS ou à un antidépresseur tricyclique (ATC) (7). Actuellement, on ne dispose pas d’arguments étayant l’ajout d’un neuroleptique atypique ou de mirtazapine à un ISRS ou un ISRN en cas de résistance au traitement.
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Auteurs
Catthoor K.
psychiater psychosezorg ZNA PZ Stuivenberg, voorzitter Vlaamse Vereniging voor Psychiatrie
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