Analyse


Après un AVC ischémique ou un AIT, quel est le meilleur moment pour instaurer un traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires et quelle est sa durée optimale ?


16 12 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Rahman H, Khan SU, Nasir F, et al. Optimal duration of aspirin plus clopidogrel after ischemic stroke or transient ischemic attack. Stroke 2019;50:947-53. DOI: 10.1161/STROKEAHA.118.023978


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses d’études randomisées contrôlées hétérogènes montre qu’un traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires pendant le premier mois après un AVC ischémique ou un AIT diminue le risque de récidive, avec un NNT de 28, sans augmentation du risque d’hémorragie majeure par comparaison avec l’aspirine en monothérapie. Une durée de traitement allant jusqu’à trois mois était également associée à une réduction du risque de récidive (NNT de 57), mais le risque d’hémorragie majeure était alors augmenté (NNH de 143). Une durée de traitement supérieure à trois mois ne réduisait pas le risque de récidive mais était associée à une importante augmentation du risque d’hémorragie majeure (NNH de 31).


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique clinique actuels recommandent, après un AIT ou un AVC ischémique, d’instaurer un traitement antithrombotique par association d’acide acétylsalicylique et de dipyridamole à libération contrôlée ou par clopidogrel à vie. Le dipyridamole à libération contrôlée n’est toutefois plus disponible en Belgique. Sur la base des synthèses méthodiques avec méta-analyse dont question plus haut, il est indiqué, les trois premières semaines après un AVC ischémique limité ou un AIT, d’associer aspirine et clopidogrel parce que la réduction du risque de récidive est importante (avec un NNT de 28) sans augmentation du risque d’hémorragie majeure. En outre, il ressort d’une autre méta-analyse avec les données des patients individuels que, pour que la réduction du risque soit optimale, il est essentiel que ce traitement soit instauré le plus tôt possible (dans les 24 heures) après l’événement ischémique.



L’utilité des antiagrégants plaquettaires en prévention secondaire après un AVC ischémique ou un AIT a été suffisamment montrée, mais ce traitement est également associé à une légère augmentation du risque d’hémorragie (1-3). Devant cet équilibre précaire, l’utilité d’associer des antiagrégants plaquettaires, le meilleur moment pour instaurer le traitement ainsi que sa durée optimale sont encore discutés. Dans la phase (sub-)aiguë après un AIT ou un AVC ischémique limité, il a été montré en 2013 (4) que l’association de clopidogrel et d’aspirine pendant 21 jours suivie du clopidogrel en monothérapie réduisait le risque de récidive, par comparaison avec l’aspirine en monothérapie, et ce sans augmentation du risque d’hémorragie. Pour différentes raisons, les résultats de cette étude menée dans une population asiatique n’étaient pas extrapolables à notre population occidentale (5). Une autre étude publiée en 2018 (6) et discutée dans Minerva (7) a confirmé l’avantage de l’association d’aspirine et de clopidogrel dans la phase aiguë et dans la phase subaiguë chez des patients occidentaux ayant fait un AIT et présentant un risque de récidive élevé ou ayant fait un AVC ischémique limité (score ABCD2 ≥ 4), par rapport à l’aspirine seule, mais au prix d’une augmentation du risque d’hémorragie majeure.

 

Une synthèse méthodique avec méta-analyses publiée en 2019 (8) a été menée en raison de l’incertitude concernant la durée optimale d’un traitement par association d’aspirine et de clopidogrel, par comparaison avec l’aspirine en monothérapie, chez des patients ayant fait un AVC ischémique ou un AIT. Dans trois bases de données en ligne (MEDLINE, EMBASE, CENTRAL), deux chercheurs, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné, en utilisant des critères d’inclusion prédéterminés, dix études randomisées contrôlées qui comparaient un traitement associant deux antiagrégants plaquettaires (aspirine et clopidogrel) et l’aspirine en monothérapie. Pour une étude, on ignore ce qu’il en est de la randomisation, et trois études ont été menées en ouvert. Au total, elles ont été menées chez 15434 patients de plus de 18 ans qui avaient fait un AVC ischémique ou un AIT. Les résultats des critères de jugement primaires « AIT ou AVC ischémique récidivant » et « hémorragie majeure » ont été stratifiés en trois fenêtres temporelles différentes en ce qui concerne la durée du traitement : courte (≤ 1 mois), intermédiaire (≤ 3 mois) et longue (> 3 mois).

Avec l’association d’aspirine et de clopidogrel, par comparaison avec l’aspirine en monothérapie, une réduction statistiquement significative du risque de nouvel AVC ischémique ou AIT est observée, tant après un traitement de courte durée (6,4% versus 10,0% ; RR de 0,53 avec IC à 95% de 0,37 à 0,78 ; I2 = 21%) qu’après un traitement de durée intermédiaire (4,8% versus 6,7% ; RR de 0,72 avec IC à 95% de 0,58 à 0,90 ; I2 = 0%), mais pas après un traitement de longue durée (6,3% contre 7,7% ; RR de 0,81 avec IC à 95% de 0,36 à 1,04 ; I2 = 0%).

En ce qui concerne la survenue des hémorragies majeures, avec une courte durée de traitement, un risque comparable est observé (0,4% versus 0,2% ; RR de 1,82 avec IC à 95% de 0,91 à 3,62 ; I2 = 0%). Le risque d’hémorragie majeure avec l’association d’aspirine et de clopidogrel est plus important qu’avec l’aspirine seule lorsque la durée de traitement était intermédiaire (1,1% versus 0,4% ; RR de 2,58 avec IC à 95% de 1,19 à 5,60 ; I2 = 2,1%) ou longue (6,6% versus 3,4% ; RR de 1,87 avec IC à 95% de 1,36 à 2,56 ; I2 = 0%).

La principale limite de cette méta-analyse est l’hétérogénéité de la population de l’étude, l’inclusion n’ayant pas été limitée aux patients présentant un AVC limité ou un AIT avec risque élevé de récidive. En outre, le moment de l’instauration du traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires après l’AIT ou l’AVC était souvent différent. Les chercheurs ne disposaient pas des données des patients individuels pour connaître l’influence de cette hétérogénéité sur les résultats.

 

Une autre méta-analyse a inclus une population d’étude plus homogène ne comptant que des patients ayant fait un AVC ischémique limité (NIHSS ≤ 3) et des patients ayant fait un AIT et présentant (essentiellement) un risque élevé de récidive (9). Dans ce groupe, il faut s’attendre à ce que le risque de complications du traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires instauré précocement soit plus faible. Les chercheurs disposaient en outre des données des patients individuels au lieu des données à l’échelon de l’étude. Cette étude a pu montrer que le traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires instauré dans les 24 heures après l’événement de référence réduisait le risque absolu et le risque relatif de nouvel AVC respectivement de 1,9% et de 30% et n’était associé qu’à une augmentation négligeable du risque absolu d’hémorragie modérée ou grave (0,2%). La réduction du risque était la plus importante les dix premiers jours, et elle était quasi nulle à partir de 21 jours après l’événement de référence.

Ces résultats font ressortir le fait que non seulement la durée du traitement est importante, mais aussi que le moment de son instauration est tout aussi crucial. Le risque de récidive est le plus élevé peu de temps après l’événement ischémique. Dans la méta-analyse de Hao et al., presque chaque récidive est survenue dans les dix jours qui ont suivi le premier événement. L’absence d’efficacité dans le groupe recevant le traitement pendant une longue durée dans la méta-analyse de Rahman et al. pourrait donc s’expliquer par le fait que le traitement n’a pu débuter au plus tôt que deux semaines à 180 jours après l’événement de référence (10). De plus, la question se pose de savoir s’il est vraiment plus avantageux que la durée de traitement soit intermédiaire (≤ 3 mois) plutôt que courte (≤ 1 mois). Tout comme dans le groupe recevant le traitement pendant une courte durée, le traitement a également été instauré précocement chez tous les patients pour qui la durée de traitement était intermédiaire. Il est donc possible que l’efficacité soit principalement due à l’instauration précoce du traitement plutôt qu’à sa durée plus longue, supérieure à un mois. La méta-analyse de Hao et al. a également constaté qu’une durée de traitement de plus de 21 jours après l’événement de référence n’apporte pas une (importante) réduction du risque supplémentaire.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses d’études randomisées contrôlées hétérogènes montre qu’un traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires pendant le premier mois après un AVC ischémique ou un AIT diminue le risque de récidive, avec un NNT de 28, sans augmentation du risque d’hémorragie majeure par comparaison avec l’aspirine en monothérapie. Une durée de traitement allant jusqu’à trois mois était également associée à une réduction du risque de récidive (NNT de 57), mais le risque d’hémorragie majeure était alors augmenté (NNH de 143). Une durée de traitement supérieure à trois mois ne réduisait pas le risque de récidive mais était associée à une importante augmentation du risque d’hémorragie majeure (NNH de 31).

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique actuels recommandent, après un AIT ou un AVC ischémique, d’instaurer un traitement antithrombotique par association d’acide acétylsalicylique et de dipyridamole à libération contrôlée ou par clopidogrel à vie (1-3). Le dipyridamole à libération contrôlée n’est toutefois plus disponible en Belgique (3). Sur la base des synthèses méthodiques avec méta-analyse dont question plus haut, il est indiqué, les trois premières semaines après un AVC ischémique limité ou un AIT, d’associer aspirine et clopidogrel parce que la réduction du risque de récidive est importante (avec un NNT de 28) sans augmentation du risque d’hémorragie majeure. En outre, il ressort d’une autre méta-analyse avec les données des patients individuels (9) que, pour que la réduction du risque soit optimale, il est essentiel que ce traitement soit instauré le plus tôt possible (dans les 24 heures) après l’événement ischémique.

 

 

Références 

  1. NHG-werkgroep Beroerte. NHG-standaard Beroerte (Actualisering 2018: (partieel) herzien t.o.v. de versie van 2013).
  2. Accident ischémique transitoire (AIT). Duodecim Medical Publications. Ebpracticenet 1/01/2000. Dernière mise à jour: 21/05/2014.
  3. Infarctus cérébral (AVC ischémique). Duodecim Medical Publications. Ebpracticenet 1/01/2000. Dernière mise à jour: 28/08/2017. Dernière révision contextuelle: 13/07/2019.
  4. Wang Y, Wang Y, Zhao X, et al; CHANCE Investigators. Clopidogrel with aspirin in acute minor stroke or transient ischemic attack. N Engl J Med 2013;369:11-9. DOI: 10.1056/NEJMoa1215340
  5. Demeestere J, Thijs V. Aspirine plus clopidogrel dans la phase aiguë d’un AIT ou d’un AVC mineur ? MinervaF 2014;13(4):49-50.
  6. Johnston SC, Easton JD, Farrant M, et al; Clinical Research Collaboration, Neurological Emergencies Treatment Trials Network, and the POINT Investigators. Clopidogrel and aspirin in acute ischemic stroke and high-risk TIA. N Engl J Med 2018;379:215-25. DOI: 10.1056/NEJMoa1800410
  7. Scheldeman L, Michiels L, Demeestere J. Association de deux antiagrégants plaquettaires dans la phase aiguë après un AVC ischémique mineur ou un AIT ? Minerva bref 15/03/2019.
  8. Rahman H, Khan SU, Nasir F, et al. Optimal duration of aspirin plus clopidogrel after ischemic stroke or transient ischemic attack. Stroke 2019;50:947-53. DOI: 10.1161/STROKEAHA.118.023978
  9. Hao Q, Tampi M, O’Donnell M, et al. Clopidogrel plus aspirin versus aspirin alone for acute minor ischaemic stroke or high risk transient ischaemic attack: systematic review and meta-analysis. BMJ 2018;363:k5108. DOI: 10.1136/bmj.k5108
  10. SPS3 Investigators; Benavente OR, Hart RG, McClure LA, et al. Effects of clopidogrel added to aspirin in patients with recent lacunar stroke. N Engl J Med 2012;367:817-825. DOI: 10.1056/NEJMoa1204133

 

 


Auteurs

Scheldeman L.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

Michiels L.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

Demeestere J.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

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