Analyse


Association de deux antiagrégants plaquettaires dans la phase aiguë après un AVC ischémique mineur ou un AIT ?


15 03 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Johnston SC, Easton JD, Farrant M, et al; Clinical Research Collaboration, Neurological Emergencies Treatment Trials Network, and the POINT Investigators. Clopidogrel and aspirin in acute ischemic stroke and high-risk TIA. N Engl J Med 2018;379:215-25. DOI: 10.1056/NEJMoa1800410


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique, multinationale nous permet de conclure que, chez les patients présentant un AIT avec risque élevé de récidive (score ABCD2 ≥ 4) ou un AVC ischémique mineur (score NIHSS ≤ 3), l’instauration précoce d’un traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires, à savoir aspirine et clopidogrel, versus aspirine seule, dans la phase aiguë ou subaiguë, réduit le risque de récidive d’AVC, mais est aussi associée à un risque accru d’hémorragies majeures.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Un traitement à vie avec 75 à 100 mg d’acide acétylsalicylique par jour ou (en cas d’intolérance à l’aspirine) avec 75 mg de clopidogrel est recommandé après un AIT ou un AVC. L’étude décrite ci-dessus montre que, dans la phase aiguë ou subaiguë après un AIT ou un AVC, l’association de deux antiagrégants plaquettaires, à savoir acide acétylsalicylique et clopidogrel, peut être envisagée chez des patients sélectionnés qui ont fait un AIT et présentent un risque élevé de récidive ou qui ont fait un AVC mineur sans risque accru d’hémorragie. Il ressort de cette étude qu’il faut traiter 67 patients pendant environ 90 jours avec de l’acide acétylsalicylique plus clopidogrel au lieu d’aspirine seule pour éviter un événement ischémique (surtout l’AVC ischémique). Le nombre nécessaire pour nuire (NNH) est de 200 pour le développement d’une hémorragie majeure. Une précédente synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité sur le plan méthodologique, n’a montré aucun avantage d’un traitement de longue durée (12 à 24 mois) par une association de deux antiagrégants plaquettaires.



Après un AIT ou un AVC ischémique, le risque de récidive est accru ; il peut être réduit par l’utilisation d’antiagrégants plaquettaires (1,2). L’aspirine et le clopidogrel inhibent l’agrégation des plaquettes de manière synergique (3). À la suite de l’étude CHANCE, nous avons conclu dans Minerva que l’association d’aspirine et de clopidogrel, versus aspirine seule, durant les trois premières semaines après un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique mineur ou un accident ischémique transitoire (AIT), était associée à une diminution du risque relatif d’AVC de 32% (4,5). Pour diverses raisons, cette étude ne pouvait pas simplement être mise en pratique. Le mode d’apparition et l’évolution naturelle de l’AIT et de l’AVC dans la population asiatique étudiée ne sont pas les mêmes que dans la population occidentale, et le clopidogrel est moins efficace chez un nombre proportionnellement plus important de patients asiatiques. De ce fait, le risque de récidive et de complications est faussé.

 

L’essai portant sur l’inhibition plaquettaire initiée suite à un nouvel AIT ou AVC ischémique mineur (Platelet-Oriented Inhibition in New TIA and Minor Ischemic Stroke, POINT) est un essai prospectif, en double aveugle, randomisé, multicentrique comparant l’effet de l’association d’aspirine et de clopidogrel (n = 2432) versus aspirine seule (n = 2449) après un AIT avec risque élevé de récidive (score ABCD2 ≥ 4) ou un AVC ischémique mineur (score NIHSS ≤ 3) (6). Les patients avec un AVC grave et les candidats à une endartériectomie carotidienne en urgence ont été exclus. Le traitement a débuté dans les 12 heures après l’AVC/AIT et a été poursuivi pendant 90 jours. La dose de charge du clopidogrel était de 600 mg, puis il était poursuivi à raison de 75 mg/jour. La dose d’aspirine était de 50 à 325 mg/jour, au choix de l’investigateur. Le principal critère de jugement qui a été choisi était un critère composite combinant AVC ischémique, infarctus aigu du myocarde et décès de cause vasculaire ischémique. Les hémorragies majeures (hémorragie intracrânienne symptomatique, hémorragie intraoculaire avec perte de la vision, transfusion de deux unités de globules rouges, hospitalisation ou prolongation d’une hospitalisation, décès par hémorragie) ont été choisies comme principal critère de jugement de sécurité. En raison du dépassement de la limite tant pour l’efficacité que pour la sécurité, les investigateurs ont arrêté l’étude prématurément (après l’inclusion de 84% du nombre prévu de patients).

Le critère de jugement composite primaire est survenu moins souvent, et ce de manière statistiquement significative, chez les patients traités par aspirine plus clopidogrel que chez ceux qui recevaient seulement de l’aspirine : 5% versus 6,5% ; HR de 0,75 (avec IC à 95% de 0,59 à 0,95 ; p = 0,02). Une analyse secondaire montre que c’est principalement le nombre d’AVC ischémiques qui a diminué de manière statistiquement significative : 4,6% versus 6,3% ; HR de 0,72 (avec IC à 95% de 0,56 à 0,92 ; p = 0,01). L’association de deux antiagrégants plaquettaires s’accompagne toutefois aussi d’un risque accru d’hémorragies majeures, et ce de manière statistiquement significative : 0,9% versus 0,4% ; HR de 2,32 (avec IC à 95% de 1,10 à 4,87 ; p = 0,02).

Dans l’étude CHANCE, on n’avait pas pu constater de risque accru d’hémorragie avec l’association de deux antiagrégants plaquettaires (4,5). Cette différence pourrait peut-être s’expliquer par le fait que, dans l’étude CHANCE, la dose de charge était plus faible et que le traitement n’avait été poursuivi que pendant 21 jours. Pour confirmer cette hypothèse, nous pouvons indiquer le fait qu’une analyse secondaire de l’étude POINT a permis de constater que la diminution de la récidive avec l’association de deux antiagrégants plaquettaires s’observait surtout pendant le premier mois, tandis que le risque d’hémorragie majeure ne variait pas au cours de l’étude. En outre, une précédente étude avait déjà montré qu’en cas de traitement plus tardif avec une association de deux antiagrégants plaquettaires, le risque d’hémorragie avait plus de poids que l’effet sur la récidive (7). On sait aussi qu’environ 30% de la population asiatique incluse dans l’étude CHANCE était insensible à l’effet du clopidogrel à cause d’une plus faible métabolisation, génétiquement déterminée, de la molécule en sa forme active (8). Le risque de récidive d’événements ischémiques était nettement plus faible dans l’étude POINT que dans l’étude CHANCE (respectivement 5% et 8,2% pour le groupe recevant une association de deux antiagrégants plaquettaires et respectivement 6,5% et 11,7% pour le groupe recevant de l’aspirine), peut-être en conséquence d’un plus grand nombre d’AIT dans l’étude POINT (43,2% contre 27,9%). En outre, dans une analyse de sous-groupe de l’étude POINT (contrairement à l’étude CHANCE), aucun avantage statistiquement significatif de l’utilisation d’une association de deux antiagrégants plaquettaires n’a été observé chez les patients qui avaient fait un AIT (HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,57 à 1,28) et chez les patients sans lésion ischémique à l’imagerie (HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,62 à 1,17), ce qui indique peut-être un plus grand nombre de personnes ayant fait un pseudo-épisode vasculaire cérébral (stroke like). Chez les patients présentant un pseudo-AVC, aucun avantage supplémentaire de l’association de deux antiagrégants plaquettaires n’est attendu, alors que ces patients sont pourtant bien exposés à un risque d’hémorragie du fait de leur traitement. Par ailleurs, on connaît des différences entre la population occidentale et la population asiatique qui pourraient avoir influencé le risque de récidive (8).

 

Conclusion

Cette étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique, multinationale nous permet de conclure que, chez les patients présentant un AIT avec risque élevé de récidive (score ABCD2 ≥ 4) ou un AVC ischémique mineur (score NIHSS ≤ 3), l’instauration précoce d’un traitement par association de deux antiagrégants plaquettaires, à savoir aspirine et clopidogrel, versus aspirine seule, dans la phase aiguë ou subaiguë, réduit le risque de récidive d’AVC, mais est aussi associée à un risque accru d’hémorragies majeures.

 

Pour la pratique

Un traitement à vie avec 75 à 100 mg d’acide acétylsalicylique par jour ou (en cas d’intolérance à l’aspirine) avec 75 mg de clopidogrel est recommandé après un AIT ou un AVC (9). L’étude décrite ci-dessus montre que, dans la phase aiguë ou subaiguë après un AIT ou un AVC, l’association de deux antiagrégants plaquettaires, à savoir acide acétylsalicylique et clopidogrel, peut être envisagée chez des patients sélectionnés qui ont fait un AIT et présentent un risque élevé de récidive ou qui ont fait un AVC mineur sans risque accru d’hémorragie. Il ressort de cette étude qu’il faut traiter 67 patients pendant environ 90 jours avec de l’acide acétylsalicylique plus clopidogrel au lieu d’aspirine seule pour éviter un événement ischémique (surtout l’AVC ischémique). Le nombre nécessaire pour nuire (NNH) est de 200 pour le développement d’une hémorragie majeure. Une précédente synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité sur le plan méthodologique, n’a montré aucun avantage d’un traitement de longue durée (12 à 24 mois) par une association de deux antiagrégants plaquettaires (10,11).

 

 

Références  

  1. NHG-werkgroep Beroerte. NHG-standaard Beroerte (Actualisering 2018: (partieel) herzien t.o.v. de versie van 2013).
  2. Accident ischémique transitoire (AIT). Duodecim Medical Publications. Ebpracticenet 1/01/2000. Dernière mise à jour: 21/05/2014.
  3. Herbert JM, Dol F, Bernat A, et al. The antiaggregating and antithrombotic activity of clopidogrel is potentiated by aspirin in several experimental models in the rabbit. Thromb Heamost 1998;80:512-8.
  4. Demeestere J, Thijs V. Aspirine plus clopidogrel dans la phase aiguë d’un AIT ou d’un AVC mineur ? MinervaF 2014;13(4):49-50.
  5. Wang Y, Wang Y, Zhao X, et al; CHANCE Investigators. Clopidogrel with aspirin in acute minor stroke or transient ischemic attack. N Engl J Med 2013;369:11-9. DOI: 10.1056/NEJMoa1215340
  6. Johnston SC, Easton JD, Farrant M, et al; Clinical Research Collaboration, Neurological Emergencies Treatment Trials Network, and the POINT Investigators. Clopidogrel and aspirin in acute ischemic stroke and high-risk TIA. N Engl J Med 2018;379:215-25. DOI: 10.1056/NEJMoa1800410
  7. Diener HC, Bogousslavsky J, Brass LM, et al; MATCH investigators. Aspirin and clopidogrel compared with clopidogrel alone after recent ischaemic stroke or transient ischaemic attack in high-risk patients (MATCH): randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2004;364:331-7. DOI: 10.1016/S0140-6736(04)16721-4
  8. Nguyen TA, Diodati JG, Pharand C. Resistance to clopidogrel: a review of the evidence. J Am Coll Cardiol 2005;45:1157-64. DIO: 10.1016/j.jacc.2005.01.034
  9. Prise en charge médicamenteuse: Traitement antithrombotique. CBIP Fiche de Transparence.  Dernière mise à jour: 23-07-2018.
  10. Chevalier P. Traitement antiagrégant prolongé associant clopidogrel et aspirine : mortalité accrue ? MinervaF 2015;14(5):61-2.
  11. Elmariah S, Mauri L, Doros G, et al. Extended duration dual antiplatelet therapy and mortality: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2015;385:79-8. DOI: 10.1016/S0140-6736(14)62052-3

 


Auteurs

Scheldeman L.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

Michiels L.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

Demeestere J.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

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