Analyse


La prostatectomie radicale améliore la survie à très long terme en cas de cancer prostatique diagnostiqué au stade précoce dans un contexte clinique


15 02 2020

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Bill-Axelson A, Holmberg L, Garmo H, et al. Radical prostatectomy or watchful waiting in prostate cancer - 29-year follow-up. N Engl J Med 2018;379:2319-29. DOI: 10.1056/NEJMoa1807801


Conclusion
Les patients atteints d'un cancer de la prostate bien ou modérément différencié, localisé et diagnostiqué en contexte clinique, avec une bonne espérance de vie au départ, bénéficient d'une prostatectomie radicale, avec en moyenne 2,9 années de vie gagnées à 23 ans post chirurgie.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Cette étude confirme l’analyse précédente rapportée dans Minerva. Lorsque le diagnostic de cancer localisé de la prostate se pose dans un contexte clinique (patients symptomatiques, dépistage à la demande, TURP, incidentalomes ou autres), la prostatectomie radicale est associée à un gain de survie de près de 3 années à 23 ans post chirurgie. Par contre lorsqu’un cancer de la prostate localisé à faible risque est diagnostiqué chez l’homme de moins de 75 ans dans un contexte de dépistage à l’aide du dosage du PSA, la prostatectomie radicale ne conduit pas à une diminution significative des mortalités totale et spécifique du cancer de la prostate. Ces nouvelles données clarifient les recommandations du KCE et sont en accord avec les recommandations de l’ESMO (European Society of Medical Oncology).



Nous avons déjà conclu dans Minerva (1,2) que différentes études de cohorte suggéraient qu’une stratégie de temporisation face à un cancer de prostate localisé (score de Gleason ≤ 7 et stades T1 ou T2) était une attitude défendable par rapport à un traitement à visée curative immédiate (prostatectomie ou radiothérapie radicale). Il existe trois grandes études randomisées ayant comparé prostatectomie d’emblée ou expectative armée, respectivement appelées ProtecT, PIVOT et SPCG-4. Ces études ont toutes été déjà commentées dans Minerva. Les deux premières ont été réalisées dans un contexte strict de dépistage par le dosage du PSA et la troisième dans un contexte dit clinique, plus proche de la pratique de terrain, avec un mixte de détection par dépistage, fortuit et clinique.

Dans l’étude britannique ProtecT comparant suivi actif, chirurgie ou radiothérapie pour un cancer de la prostate localisé avec un risque faible à intermédiaire détecté par un PSA entre 3 et 20 µg/l chez des hommes de moins de 70 ans (3), les résultats à 10 ans (4,5) ne montrent pas de différence quant à la mortalité spécifique par cancer de la prostate ni quant à la mortalité globale. L’impact négatif sur les fonctions urinaire, sexuelle et intestinale était plus faible avec la surveillance active, et ce de manière statistiquement significative.

L’étude américaine PIVOT (pour « Prostate Cancer Intervention versus Observation Trial ») a recruté entre 1990 et 2002 des hommes âgés de moins de 75 ans avec un cancer prostatique bien localisé et dépisté par dosage du PSA (mais avec un taux < 50 ng/ml), avec une espérance de vie d’au moins dix ans et aptes à subir une prostatectomie radicale (6). L’analyse à long terme récemment publiée (7,8) a conforté les conclusions précédentes, à savoir qu’en cas de cancer de la prostate localisé à faible risque chez l’homme de moins de 75 ans, la prostatectomie radicale ne conduit pas à une diminution significative des mortalités totale et spécifique du cancer de la prostate. Elle est par contre associée à plus d’incontinence urinaire et de troubles sexuels.

La troisième étude scandinave dite SPCG-4 pour « Scandinavian Prostate Cancer Group Study Number 4 » a inclus des hommes âgés de moins de 75 ans, avec une espérance de vie > 10 ans, un cancer prostatique bien ou modérément différencié avec un taux de PSA < 50 ng/ml et dont le risque chirurgical était non augmenté. Ce cancer a été diagnostiqué dans un contexte clinique (avec près de 40% de patients symptomatiques au moment du diagnostic, 5% lors d’une demande de dépistage, 20% comme incidentalome, 11,5% au cours d’un TURP et près de 15% décrits comme « autres ») et non de dépistage systématique (9). Minerva (10,11) a analysé les résultats à 12,8 ans de suivi médian avec des résultats plus favorables à 15 ans en faveur de la prostatectomie radicale. Une mise à jour de cette étude avec un suivi de 29 ans a été récemment publiée (12).

 

L’analyse récemment rapportée se base sur un suivi jusqu'en 2017, soit un maximum de 29 ans. Dans cette étude, entre octobre 1989 et février 1999, 695 hommes atteints d'un cancer de la prostate localisé ont été randomisés entre attente ou prostatectomie radicale. Les auteurs ont estimé l'incidence cumulée et les risques relatifs de décès de toute cause ou par cancer de la prostate et de métastases en analyses en intention de traiter et per protocole, ainsi que le nombre d'années de vie gagnées. Ils ont aussi évalué la valeur pronostique des caractéristiques histopathologiques de la tumeur. Au moment de l’analyse, un total de 261 des 347 patients du groupe de prostatectomie radicale et de 292 des 348 hommes du groupe d'attente étaient décédés ; 71 décès dans le groupe de prostatectomie radicale et 110 dans le groupe d'attente étaient dus au cancer de la prostate (RR de 0,55 avec IC à 95% de 0,41 à 0,74 ; p < 0,001 ; différence absolue du risque à 23 ans de 11,7% avec IC à 95% de 5,2 à 18,2). Le nombre de patients à traiter pour éviter un décès, quelle qu'en soit la cause, était de 8,6 (avec IC à 95% de 5,5 à 19,3). La prostatectomie radicale faisait gagner en moyenne 2,9 années supplémentaires de vie à 23 ans. Les différences sont moins marquées dans le sous-groupe des patients ≥ 65 ans. Chez les patients ayant subi une prostatectomie radicale, l'extension extracapsulaire et un score de Gleason supérieur à 7 étaient respectivement associés à un risque de décès par cancer de la prostate 5 et 10 fois supérieur.

Méthodologiquement, les auteurs font remarquer que les examens complémentaires disponibles aujourd’hui (IRM, biopsies guidées, etc.) sont très différents de ce qui a été réalisé dans l’étude ici présentée. La sensibilité de la détection des cancers à haut grade est également bien meilleure actuellement. Ces constats demandent donc de nouvelles études observationnelles de bonne qualité méthodologique pour orienter au mieux les patients.

 

Conclusion

Les patients atteints d'un cancer de la prostate bien ou modérément différencié, localisé et diagnostiqué en contexte clinique, avec une bonne espérance de vie au départ, bénéficient d'une prostatectomie radicale, avec en moyenne 2,9 années de vie gagnées à 23 ans post chirurgie.

 

Pour la pratique

Cette étude confirme l’analyse précédente rapportée dans Minerva (10,11). Lorsque le diagnostic de cancer localisé de la prostate se pose dans un contexte clinique (patients symptomatiques, dépistage à la demande, TURP, incidentalomes ou autres), la prostatectomie radicale est associée à un gain de survie de près de 3 années à 23 ans post chirurgie. Par contre lorsqu’un cancer de la prostate localisé à faible risque est diagnostiqué chez l’homme de moins de 75 ans dans un contexte de dépistage à l’aide du dosage du PSA, la prostatectomie radicale ne conduit pas à une diminution significative des mortalités totale et spécifique du cancer de la prostate (7,8). Ces nouvelles données clarifient les recommandations du KCE (13) et sont en accord avec les recommandations de l’ESMO (European Society of Medical Oncology) (14).

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Traitement conservateur versus traitement immédiat du cancer de la prostate. Minerva bref 28/01/2011.
  2. Stattin P, Holmberg E, Johansson JE, et al; National Prostate Cancer Register (NPCR) of Sweden. Outcomes in localized prostate cancer in the National Prostate Cancer Register of Sweden follow-up study. J Natl Cancer Inst 2010;102:950-8. DOI: 10.1093/jnci/djq154
  3. Lane JA, Donovan JL, Davis M, et al. Active monitoring, radical prostatectomy, or radiotherapy for localised prostate cancer: study design and diagnostic and baseline results of the ProtecT randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2014;15:1109-18. DOI: 10.1016/S1470-2045(14)70361-4
  4. Moris L, Van den Broeck T, Claessens F, Joniau S. Cancer de la prostate localisé : suivi actif, chirurgie ou radiothérapie ? Minerva bref 15/03/2017.
  5. Hamdy FC, Donovan JL, Lane JA, et al. 10-year outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for localized prostate cancer. N Eng J Med 2016;375:1415-24. DOI: 10.1056/NEJMoa1606220
  6. Wilt TJ, Brawer MK, Barry MJ, et al. The Prostate cancer Intervention Versus Observation Trial: VA/NCI/AHRQ Cooperative Studies Program #407 (PIVOT): design and baseline results of a randomized controlled trial comparing radical prostatectomy to watchful waiting for men with clinically localized prostate cancer. Contemp Clin Trials 2009;30:81-7. DOI: 10.1016/j.cct.2008.08.002
  7. Sculier JP. Prostatectomie ou surveillance active pour un cancer localisé de la prostate à faible risque ? Minerva bref 15/09/2018.
  8. Wilt TJ, Jones KM, Barry MJ, et al. Follow-up of prostatectomy versus observation for early prostate cancer. N Engl J Med 2017;377:132-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1615869
  9. Holmberg L, Bill-Axelson A, Helgesen F, et al. A randomized trial comparing radical prostatectomy with watchful waiting in early prostate cancer. N Engl J Med 2002;347:781-9. DOI: 10.1056/NEJMoa012794
  10. Chevalier P. Prostatectomie radicale versus temporisation (traitement conservateur). Minerva bref 28/01/2012.
  11. Bill-Axelson A, Holmberg L, Ruutu M, et al; SPCG-4 Investigators. Radical prostatectomy versus watchful waiting in early prostate cancer. N Engl J Med 2011;364:1708-17. DOI: 10.1056/NEJMoa1011967
  12. Bill-Axelson A, Holmberg L, Garmo H, et al. Radical prostatectomy or watchful waiting in prostate cancer - 29-year follow-up. N Engl J Med 2018;379:2319–29. DOI: 10.1056/NEJMoa1807801
  13. Tombal B, Desomer A, Jonckheer P, et al. Recommandations nationales de bonne pratique pour la prise en charge du cancer localisé de la prostate : seconde partie – Résumé. Good Clinical Practice (GCP) Bruxelles : Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) 2014. KCE Reports 226Bs. D/2014/10.273/51.
  14. Horwich A, Parker C, de Reijke T, Kataja V; ESMO Guidelines Working Group. Prostate cancer: ESMO clinical practice guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2013;24(Suppl 6):vi106-14. DOI: 10.1093/annonc/mdt208

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires