Analyse


Retrait des antihypertenseurs chez la personne âgée : impacts sur la mortalité, sur la survenue d’événements cardiovasculaires, sur le contrôle de la tension et sur la qualité de vie


15 06 2021

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Reeve E, Jordan V, Thompson W, et al. Withdrawal of antihypertensive drugs in older people. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD012572.pub2


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse de la Cochrane montre chez des personnes âgées de 50 ans et plus sous traitement antihypertenseur prescrit pour traiter une hypertension artérielle ou en prévention primaire de maladies cardiovasculaires et présentant une pression artérielle contrôlée, une absence de différence statistiquement significative entre l’arrêt du traitement antihypertenseur et sa poursuite en termes de mortalité totale et de survenue d’infarctus du myocarde. La qualité des données probantes, jugée par les auteurs de faible à très faible, oblige à nuancer l’impact de cette étude sur la pratique. Les auteurs considèrent que l’on ne peut tirer de conclusion définitive.



Déjà en 2003, Minerva (1) se penchait sur la question de l’arrêt des antihypertenseurs en analysant une étude de cohorte (2) qui avait suivi le maintien d’une tension normale chez des personnes après l’arrêt de leur traitement médicamenteux antihypertenseur. Nous avions conclu à l’époque qu’il pouvait être opportun d’arrêter un tel traitement chez les personnes de moins de 75 ans et bien contrôlées sous médicament tout en assurant un suivi régulier. En 2008 (3), nous avons analysé une RCT (4) évaluant l’efficacité de l’indapamide avec éventuellement ajout de périndopril versus placebo en termes de prévention de la survenue d’événements cardiovasculaires chez des personnes âgées de 80 ans ou plus. Cette étude avait montré l’intérêt d’un traitement en termes de diminution de la mortalité globale et surtout de survenue d’insuffisance cardiaque. En 2013, la prolongation de cette étude (5), en ouvert pendant un an, également analysée (6) par nos soins, suggérait que la diminution de la mortalité totale et cardiovasculaire se maintenait lors de la prolongation du traitement. En 2014, une méta-analyse (7) a confirmé (8) qu’une diminution de la tension artérielle à l’aide d’un antihypertenseur chez des patients âgés de plus de 65 ans et hypertendus diminue la mortalité globale et cardiovasculaire ainsi que la survenue d’AVC et d’insuffisance cardiaque. A l’inverse, notre dernière analyse (9) sur le sujet, datant de 2015, a conclu que la valeur cible pour la pression systolique chez les personnes âgées de plus de 80 ans pouvait être légèrement relevée. Elle se basait sur une étude de cohorte prospective (10) montrant qu’une pression artérielle systolique moyenne < 130mmHg associée à l’utilisation de plus de 2 antihypertenseurs était associée à un risque de mortalité plus élevé.

Rappelons également qu’une relation entre faible pression artérielle et mortalité augmentée avait été observée dans une étude de cohorte rétrospective en 2007 (11) chez des personnes âgées de 80 ans et plus. Dans le même sens, une étude de cohorte datant de 2012 (12) avait observé une association entre pression artérielle plus haute et moindre déclin physique et cognitif chez les personnes de 85 ans et plus particulièrement chez celles ayant une incapacité physique préexistante.

Nous constatons donc que d’un côté, des données font apparaitre l’aspect protecteur des antihypertenseurs en termes de mortalité et morbidité tandis que d’un autre côté, d’autres données font ressortir des effets potentiellement néfastes des antihypertenseurs ou de chiffres tensionnels bas, particulièrement chez les personnes âgées.

 

Pour faire avancer le débat, la présente étude propose une revue systématique de la littérature afin d’évaluer la faisabilité du retrait d’un antihypertenseur et d’évaluer son effet sur la mortalité, les événements cardiovasculaires, les chiffres tensionnels et la qualité de vie des personnes âgées (13). Seules des études contrôlées randomisées comparant l’arrêt ou la diminution de la dose à la poursuite sans modification du traitement antihypertenseur ont été sélectionnées. Le traitement devait être utilisé pour l'hypertension artérielle ou la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez des personnes âgées de 50 ans et plus vivant dans la communauté, dans des maisons de soins pour personnes âgées ou hospitalisées. Les critères de jugement primaires sont la mortalité (générale et cardiovasculaire), la survenue d’infarctus du myocarde et la présence d’effets indésirables secondaires au traitement ou à son arrêt. 6 études ont ainsi été incluses, pour un total de 1073 patients. Le suivi s’étendait selon les études de 4 à 56 semaines. Les résultats de la méta-analyse montrent un OR de 2,08 (avec IC à 95% de 0,79 à 5,46) concernant la mortalité et un OR de 1,86 (avec IC à 95% de 0,19 à 17,98) concernant la survenue d’infarctus. Les effets indésirables n’ont pas pu faire l’objet d’une méta-analyse en raison de la variété des méthodes de collecte de cette donnée. L'arrêt n'a cependant pas semblé faire apparaitre d’effet indésirable et pourrait même conduire à la résolution des effets indésirables liés au traitement. Ces résultats sont considérés par les auteurs comme étant d’un niveau de preuve très faible.

 

Les auteurs font remarquer quelques remarques méthodologiques pertinentes pour interpréter au mieux les résultats observés. Toutes les études incluses avaient des critères d'inclusion qui imitent les situations dans lesquelles l'arrêt de l'antihypertenseur pouvait être envisagé, c'est-à-dire des personnes âgées ayant une pression artérielle contrôlée. Cependant, des situations où l'individu a une faible pression artérielle, une baisse posturale de la pression artérielle ou lorsqu'il souffre potentiellement de dommages tels que des chutes ne sont pas envisagées dans les études incluses. En outre, il y avait une variabilité significative dans les critères d'inclusion et d'exclusion quant à la définition d’une pression artérielle contrôlée. Par exemple, une étude a exclu les participants si leur pression artérielle systolique était supérieure à 180 mmHg, tandis qu’une autre a utilisé un critère d'exclusion de PAS supérieure à 140 mmHg. Les auteurs remarquent également que les études comportaient des critères de définition de la rechute de l'hypertension et du retrait de l'étude mais que ces critères n’étaient pas cohérents entre les études. Si l’arrêt des antihypertenseurs n’a pas fait apparaître d’effet indésirable, il faut quand même remarquer une reprise du traitement dans 10 à 30% des cas dans le groupe « arrêt de traitement. Seules trois des six études ont rapporté une diminution de la dose du médicament avant l'arrêt du médicament et la RCT la plus récente n'a nécessité que la réduction progressive des bêtabloquants et non des autres antihypertenseurs. La réduction progressive serait probablement effectuée dans la pratique clinique pour déterminer la dose efficace la plus faible du médicament. Nous devons aussi remarquer que la durée de suivi n’était que de 3 à 12 mois selon les études.

Les auteurs concluent en disant que les conditions des RCTs limitent l'applicabilité des résultats. Dans la pratique clinique, l'arrêt des antihypertenseurs résulterait d'une prise de décision partagée, en tenant compte des valeurs et des préférences du patient. De plus, après l'arrêt du traitement, la pression artérielle peut être surveillée et le médicament peut être repris si la pression artérielle devait dépasser un niveau acceptable pour le patient.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Un guide de pratique clinique belge (14) sur la prise en charge de l’hypertension artérielle indique que la valeur de tension cible chez une personne de plus de 80 ans en bonne santé et sans comorbidité importante est de 150/80 mmHg (GRADE 2B). Ce guide rappelle que chez cette population vulnérable, le médecin généraliste doit particulièrement évaluer la balance bénéfice/risque d’un traitement antihypertenseur. Si prescription il y a, un diurétique thiazidique faiblement dosé et éventuellement combiné avec des inhibiteurs de l'ECA en cas de contrôle insuffisant est recommandé (GRADE 2B).

 

Conclusion

Cette revue systématique avec méta-analyse de la Cochrane montre chez des personnes âgées de 50 ans et plus sous traitement antihypertenseur prescrit pour traiter une hypertension artérielle ou en prévention primaire de maladies cardiovasculaires et présentant une pression artérielle contrôlée, une absence de différence statistiquement significative entre l’arrêt du traitement antihypertenseur et sa poursuite en termes de mortalité totale et de survenue d’infarctus du myocarde. La qualité des données probantes, jugée par les auteurs de faible à très faible, oblige à nuancer l’impact de cette étude sur la pratique. Les auteurs considèrent que l’on ne peut tirer de conclusion définitive.

 

 

Références 

  1. Christiaens T. Quand peut-on arrêter un médicament antihypertenseur. MinervaF 2003;2(10):162-3.
  2. Nelson MR, Reidi CM, Krum H, et al. Predictors of normotension on withdrawal of antihypertensive drugs in elderly patients : prospective study in second Australian national blood pressure study cohort. BMJ 2002;325:815-9. DOI: 10.1136/bmj.325.7368.815
  3. De Cort P. Traitement de l’hypertension chez les personnes âgées d’au moins 80 ans. MinervaF 2008:7(9):130-1.
  4. Beckett NS, Peters R, Fletcher AE, et al; HYVET Study Group. Treatment of hypertension in patients 80 years of age or older. N Engl J Med 2008;358:1887-98. DOI: 10.1056/NEJMoa0801369
  5. Beckett N, Peters R, Tuomilehto J, et al. Immediate and late benefits of treating very elderly people with hypertension: results from active treatment extension to Hypertension in the Very Elderly randomised controlled trial. BMJ 2011;344:d7541. DOI: 10.1136/bmj.d7541
  6. De Cort P. Traitement de l’hypertension chez les plus âgés. Minerva bref 28/02/2013.
  7. Briasoulis A, Agarwal V, Tousoulis D, Stefanadis C. Effects of antihypertensive treatment in patients over 65 years of age: a meta-analysis of randomized controlled studies. Heart 2014;100:317-23. DOI: 10.1136/heartjnl-2013-304111
  8. De Cort P. Efficacité d’un traitement antihypertenseur chez des patients âgés de plus de 65 ans. MinervaF 2014;13(3):28-9.
  9. De Cort P. Antihypertenseurs chez les personnes très âgées vulnérables avec pression artérielle normalisée ? Minerva bref 17/12/2015.
  10. Benetos A, Labat C, Rossignol P, et al. Treatment with multiple blood pressure medications, achieved blood pressure, and mortality in older nursing home residents. The PARTAGE study. JAMA Intern Med 2015;175:989-95. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.8012
  11. Oates DJ, Berlowitz DR, Glickman ME, et al. Blood pressure and survival in the oldest old. J Am Geriatr Soc 2007;55:383 8. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2007.01069.x
  12. Sabayan B, Oleksik AM, Maier AB, et al. High blood pressure and resilience to physical and cognitive decline in the oldest old: the Leiden 85-plus Study. J Am Geriatr Soc 2012;60:2014 9. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2012.04203.x
  13. Reeve E, Jordan V, Thompson W, et al. Withdrawal of antihypertensive drugs in older people. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD012572.pub2
  14. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertension (Révision). SSMG 2009. Ou : Hypertension. Ebpracticenet 1/11/2009.

 

 

 




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