Analyse
Un petit rôle pour un traitement psychosocial dans la prise en charge de la douleur chronique dans un contexte d’addiction aux opioïdes : à confirmer
Les opioïdes sur ordonnance sont couramment utilisés aux États-Unis pour traiter la douleur non liée au cancer et y constituent un problème majeur de santé publique. Leur utilisation est controversée en raison du risque de mauvaise utilisation et de conséquences indésirables comme rapporté dans Minerva (1-4). Pour le sevrage aux opioïdes, le traitement repose sur la méthadone voire la buprénorphine (5,6). Une revue systématique de la collaboration Cochrane (7) suggère avec un faible niveau de preuve que les traitements psychosociaux proposés en complément des traitements de désintoxication pharmacologique sont efficaces en termes d'achèvement du traitement et de contrôle de la consommation d'opiacés. Il n’existe cependant pas beaucoup d’études randomisées de qualité sur le sujet. Après en avoir conduite une chez des vétérans (8), des auteurs en ont rapporté une nouvelle réalisée dans une population générale de patients et de plus grande taille (9).
Cette étude randomisée unicentrique conduite par l’Université du Michigan a pour but d’examiner l'efficacité d'une intervention de gestion de la douleur comportementale intégrée (ImPAT pour « Improving Pain During Addiction Treatment ») chez des hommes et femmes avec addictions en termes de traitement de la douleur, de fonctionnement et de consommation de substances addictives de tout type (dont l’alcool et le tabac). L’intervention ImPAT visait à mettre en évidence le lien entre la douleur et un mauvais fonctionnement ainsi que l'utilisation potentielle de substances comme stratégie d'adaptation inadaptée à la douleur pour fournir des compétences afin de la gérer. Huit séances d'ImPAT ont été comparées à 8 séances d'une condition de contrôle psychoéducatif de soutien (SPC pour « supportive psychoeducational control ») dans des groupes de douze adultes traités dans un grand programme de traitement résidentiel pour addiction. Le SPC impliquait des discussions sur des sujets tels que la nutrition et l'évolution de la dépendance, qui étaient censés être pertinents pour la population de patients et avoir une validité apparente, mais être distincts du contenu de l’ImPAT. Les principaux critères de jugement (sans considérations statistiques rapportées) étaient l'intensité de la douleur, le fonctionnement lié à la douleur et la tolérance comportementale à la douleur à 12 mois. Les critères de jugement secondaires étaient la fréquence de la consommation d'alcool et de drogues sur 12 mois. Ces évaluations ont été réalisées à 3, 6 et 12 mois et comprenaient des entretiens, un questionnaire d'auto-évaluation, un dépistage volontaire des drogues urinaires et la réalisation d'une tâche de tolérance à la douleur : le test d’ischémie.
Un total de 510 adultes de 35 ans d’âge moyen ont été randomisés, dont 264 hommes et 246 femmes. 92,2% ont effectué au moins une évaluation de suivi. Sur 12 mois de suivi, la randomisation de l'intervention ImPAT a été associée chez les hommes à une tolérance plus élevée à la douleur (test d’ischémie réalisé avec le brassard d’un tensiomètre) avec score moyen meilleur de 0,11 (avec IC à 95% de 0,03 à 0,18) à 3 mois et de 0,07 à 12 mois (avec IC à 95% de −0,01 à 0,19). Chez les femmes, l'intervention ImPAT a été associée à une réduction de l'intensité de la douleur, entraînant une diminution du score moyen de 0,58 (avec IC à 95% de −0,07 à 1,22) à 12 mois. Aucune différence n'a été trouvée entre les deux interventions sur la consommation d'alcool ou de drogues.
Si séparer la prise en charge de la douleur chronique de celle de l’addiction est souvent voué à un échec thérapeutique et si une approche intégrée est souhaitée (10), il faut se rappeler que les psychothérapies de soutien dans cette situation reposent essentiellement sur l’empirisme. C’est ce qui donne tout son intérêt à l’étude présentement réalisée dans une population particulièrement précaire (la moitié des participants ont été incarcérés pendant l’étude). Dans un autre contexte, chez des patients adultes douloureux chroniques, sans addiction, à bas revenus et à bas niveau de littératie en santé, des séances de thérapie cognitive comportementale ainsi que les séances éducatives, de groupe et simplifiées pour tenir compte du niveau de littératie en santé des participants, dispensées dans des centres de santé, améliorent significativement la douleur et le fonctionnement physique par rapport aux soins usuels (11,12).
Il est important de rappeler que le traitement de la douleur chronique non cancéreuse ne repose pas sur les opiacés (13,14). Ils ne sont pas plus efficaces que les autres traitements mais exposent à des risques d’addiction majeure comme celle vécue par les participants à l’étude de l’Université de Michigan.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique belge actuel en matière de douleur chronique recommande d’envisager la thérapie cognitive comportementale (15). Ce guide concerne les patients souffrant de douleur chronique à l’exclusion des patients pédiatriques, cancéreux ou suivis en soins palliatifs. Il n’aborde pas spécifiquement des syndromes douloureux chroniques propres à une localisation anatomique particulière ou à une situation particulière comme les douleurs chroniques chez des patients avec des addictions.
Conclusion
Cette étude randomisée, unicentrique, indique que chez des hommes et femmes avec addictions, une intervention de gestion comportementale de la douleur, généralement pas incluse dans le traitement de la toxicomanie, était associée à de meilleurs résultats liés au contrôle de la douleur, en termes de tolérance chez les hommes et d’intensité chez les femmes. Aucune amélioration des résultats liés à l'usage de substances addictives au-delà de ceux obtenus par le traitement habituel n'a été observée. Pour les auteurs, les programmes de traitement devraient envisager de fournir des services de gestion de la douleur psychosociale pour améliorer le traitement standard de la toxicomanie.
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- Sculier J-P, Peeters-Asdourian C. Effets indésirables des opioïdes utilisés dans la douleur chronique non liée au cancer. Minerva bref 15/02/2019.
- Els C, Jackson TD, Kunyk D, et al. Adverse events associated with medium- and long-term use of opioids for chronic non-cancer pain: an overview of Cochrane Reviews. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012509.pub2
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- Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Guide de pratique clinique belge. Ebpracticenet 2017.
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
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