Analyse


Quelle est la place du ticagrélor, seul ou en association avec l’aspirine, dans la prévention des AVC ischémiques chez le patient présentant un risque élevé de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire ?


23 02 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Bálint A, Tornyos D, El Alaoui El Abdallaouiv O, et al. Network meta-analysis of ticagrelor for troke prevention in patients at high risk for cardiovascular or cerebrovascular events. Stroke 2021;52:2809-16. DOI: 10.1161/STROKEAHA.120.032670


Question clinique
Quelle sont l’efficacité et la sécurité du ticagrélor, seul ou en association avec l’aspirine, dans la prévention des accidents vasculaires cérébraux ischémiques chez le patient présentant un risque élevé de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire, versus autres antiagrégants plaquettaires ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau, de bonne qualité méthodologique, montre que chez le patient présentant un risque élevé de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire (ce risque incluant la maladie coronarienne, le syndrome coronarien aigu, l’AIT, l’AVC et l’artériopathie périphérique), le ticagrélor associé à l’aspirine présente un avantage par rapport à l’aspirine utilisée en monothérapie en termes de prévention des AVC ischémiques, mais ce bénéfice va de pair avec une augmentation importante du risque de saignement, notamment intracrânien. La balance bénéfice-risque ne penche actuellement pas en faveur d’une utilisation systématique du ticagrélor en association à l’aspirine.



Contexte

Les antithrombotiques sont utilisés dans le traitement et la prévention primaire et/ou secondaire de diverses pathologies cardiovasculaires. Les antiagrégants interfèrent avec l’agrégation plaquettaire. Le clopidogrel et le prasugrel sont des inhibiteurs irréversibles du récepteur P2Y12 qui interfèrent avec l’activation plaquettaire. De plus, ce sont des prodrogues qui sont métabolisées dans le foie en un métabolite actif. Le ticagrélor est un antiagrégant chimiquement apparenté à l'adénosine. Il s’agit d’un inhibiteur direct (et n’est pas une prodrogue) et est réversible du récepteur P2Y12. (1). Les anticoagulants ne sont pas abordés dans cette analyse.

En 2017, Minerva concluait que le ticagrélor n’est pas supérieur au clopidogrel en monothérapie dans le cadre de la prévention cardiovasculaire chez le patient atteint d’artériopathie des membres inférieurs (2,3).

Dans un article de 2020, nous avons conclu qu’après une angioplastie coronaire percutanée (ICP), après 3 mois de traitement associant aspirine et ticagrélor, la poursuite du traitement par du ticagrélor en monothérapie était associée à une diminution de l’incidence des saignements cliniquement pertinents, sans augmenter le risque de survenue d’un critère composite comprenant mortalité globale, infarctus du myocarde et AVC (4,5). Cependant, l’étude manquait de puissance.

Plus récemment, l’étude THALES (6) suggère que le ticagrélor, associé à l’aspirine, présente un bénéfice potentiel dans la prévention des AVC chez le patient à haut risque cardiovasculaire. L’utilisation du ticagrélor associé à l’aspirine pendant 30 jours semble diminuer le risque de survenue d’AVC (recurrent stroke rate de 5% versus 6,3% ; p = 0,004), mais est associé à une augmentation de la survenue d’événements hémorragiques, notamment intracrâniens. Actuellement, le ticagrélor est principalement positionné dans la prévention de l’agrégation plaquettaire lors d’insuffisance coronarienne avec pose de stent.

La place exacte du ticagrélor dans l’arsenal thérapeutique est donc toujours sujette à débat.

 

Résumé

Méthodologie

une méta-analyse en réseau

 

Sources consultées

 

Etudes sélectionnées

  • les auteurs ont inclus des études qui évaluent l’efficacité et la sécurité du ticagrélor en monothérapie ou en association avec l’aspirine, par rapport au clopidogrel ou au prasugrel, administrés seuls ou en bithérapie avec l’aspirine dans la prévention des AVC chez le patient présentant un risque élevé de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire, ce risque incluant la maladie coronarienne, le syndrome coronarien aigu, l’AIT, l’AVC et l’artériopathie périphérique
  • les études ont été incluses si les critères suivants étaient remplis : essais contrôlés randomisés, évaluant l'efficacité ou l'innocuité clinique d'un régime antiplaquettaire comprenant du ticagrélor seul ou dans le cadre d'une stratégie de double traitement antiplaquettaire avec du ticagrélor plus de l'aspirine, et ayant rapporté la survenue d'un AVC avec une durée minimale de traitement de 30 jours chez les patients atteints de maladie cérébrovasculaire, coronarienne ou artérielle périphérique
  • les études ont été exclues si l'un des critères suivants était retrouvé : étude non randomisée, étude à un seul bras, critères de jugement d'intérêt non rapportés ou impossibles à extraire ou à calculer à partir des résultats publiés, étude comparant simplement l'efficacité biologique du traitement antiplaquettaire, ou publications en double.

 

Population étudiée

  • la méta-analyse inclut 26 RCTs et 124495 patients.

 

Mesure des résultats

  • le critère de jugement primaire est la survenue d’un AVC ischémique ou hémorragique
  • les critères de sécurité sont le saignement majeur et le décès
  • les critères secondaires incluent tout événement ischémique ou hémorragique (majeur ou mineur), l’infarctus du myocarde, l’hémorragie intracrânienne et le décès d’origine cardiovasculaire
  • le risque de biais a été évalué à l'aide de l'outil d'évaluation de la Cochrane Collaboration
  • si une hétérogénéité statistique était montrée entre différentes études, un modèle d’effets aléatoires a été utilisé pour l’analyse des résultats
  • les résultats sont présentés sous forme de risque relatif avec des IC à 95%.

 

Résultats

Les résultats montrent :

  • en termes de critère de jugement primaire, 3035 (2,43%) accidents vasculaires cérébraux sont rapportés (N=26)
  • comparé à l’aspirine en monothérapie : 
    • le risque d’AVC ischémique est réduit de 20% chez les patients traités par aspirine-ticagrélor : RR de 0,8 avec IC à 95% de 0,72 à 0,89 ; I2 = 0%
    • le risque d’AVC ischémique est réduit de 23% avec l’association aspirine-clopidogrel : RR de 0,77 avec IC à 95% de 0,62 à 0,96
    • le risque d’AVC ischémique n’est pas réduit avec le ticagrélor seul : RR de 0,88 (avec IC à 95% de 0,77 à 1,00 ; p = 0,05)  
  • en termes de sécurité :
    • l’association aspirine-ticagrélor augmente le risque de saignement intracrânien de 53% (RR de 1,53 avec IC à 95% de 1,16 à 2,03 ; p = 0,05)
    • 23 essais rapportent 5194 décès (4,2%) ; le critère de jugement mortalité est supérieur de 20% dans le groupe traité par l’association aspirine-clopidogrel avec un RR à 1,20 (avec IC à 95% de 1,04 à 1,37) par rapport au groupe traité par l’aspirine seule
    • la comparaison avec les autres options de traitement (prasugrel-aspirine, ticagrélor seul ou associé à l’aspirine, clopidogrel seul), n’atteint pas la signification statistique.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le ticagrélor, seul ou associé à l’aspirine, pourrait présenter un avantage par apport à l’aspirine en termes de prévention secondaire chez le patient à haut risque cardiovasculaire, mais ce bénéfice semble aller de pair avec une augmentation du risque de saignement, notamment intracrânien. Les auteurs plaident pour une évaluation et une stratification du risque hémorragique qui permettrait d’intensifier le traitement antiagrégant plaquettaire chez les patients dont le risque hémorragique est faible.

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie (validité interne)

Cette méta-analyse a été menée selon les critères PRISMA. La recherche dans la littérature a été correctement effectuée par deux investigateurs indépendants, 3 bases de données ont été consultées, sans restriction de langue. Le risque de biais a été évalué à l’aide du Cochrane Collaboration Bias Assessment Tool. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont décrits explicitement.

Comme les traitements comparateurs diffèrent en termes de posologie et de durée de traitement d’une étude à l’autre, la modélisation en réseau de la méta-analyse a été préspécifiée. Comme il s’agit d’une méta-analyse en réseau, combinant comparaisons directes et indirectes (on parle de comparaison mixte), les données concernant chaque traitement potentiel (mono- ou bithérapie) ont été intégrées individuellement comme un bras de l’étude, et ensuite poolées en tenant compte des traitements multiples. L’hétérogénéité entre les études a été calculée via le test de Higgins (I2) et un modèle à effet aléatoire a été appliqué afin de combiner les estimations de risques entre les essais. En effet, les différentes études incluses sont hétérogènes du point de vue de la durée (souvent courte) et des indications de traitement. Les auteurs décrivent très bien les différentes étapes méthodologiques et statistiques mises en place pour assurer homogénéité, similarité et cohérence pour permettre des comparaisons valides (7).

 

Interprétation des résultats de l’étude (validité externe)

Les auteurs ont réalisé une analyse complète d'essais randomisés testant le ticagrélor dans un large éventail de situations cliniques. Ils ont constaté que, par rapport à l'aspirine seule, l’association ticagrélor/aspirine était associée à une réduction significative du risque d'AVC ischémique (20%). Cependant, pour les cliniciens, un compromis important entre la prévention des AVC ischémique et le risque de saignement doit être recherché. Selon les auteurs, les données de cette analyse montrent que lorsque le risque d'hémorragie majeure était pris en compte, l'aspirine en monothérapie avait la probabilité d'être le meilleur choix de traitement, alors pour l'association aspirine/ticagrélor, elle était la plus faible, cette combinaison augmentant significativement le risque d'hémorragie intracrânienne.

Les résultats montrent clairement un regroupement important des critères de jugement entre les monothérapies (plus sûres) et les combinaisons antiplaquettaires (plus efficace au prix d’un risque plus important). L’analyse n’a pas permis de mettre en évidence un avantage important de l’association aspirine/ticagrélor versus aspirine/clopidogrel.

Les données ont été regroupées par molécule et non pas par dosage. Cette étude ne nous permet donc pas de savoir quel est le dosage le plus adéquat pour chaque molécule.

À noter que les auteurs avouent avoir rencontré des difficultés à identifier précisément les événements hémorragiques parce que ceux-ci n’étaient pas clairement définis dans les études originales.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En 2021, l’AHA (8) considère qu’en cas d’AVC récent (moins de 24h) ou un AIT à haut risque et une sténose concomitante ipsilatérale d’une artère intracrânienne majeure > 30%, l’adjonction de ticagrélor, administré à la dose de 90 mg deux fois par jour jusqu’à 30 jours, à l’aspirine, pourrait être envisagé pour réduire le risque d'AVC récurrent (selon GRADE, force de recommandation 2B, issue d’études non randomisées). Chez les patients ayant subi un AVC ou un AIT attribuable à une sténose de 50% à 99% d'une artère intracrânienne majeure, l'utilité du clopidogrel seul, de l'association d'aspirine et de dipyridamole ou du ticagrélor seul pour la prévention secondaire des AVC n'est pas bien établie (niveau de certitude modéré, basé sur des études non randomisées). Par contre, les patients victimes d'un accident vasculaire cérébral par thrombose de source incertaine ne doivent pas être traités empiriquement avec des anticoagulants ou du ticagrélor, car il s'est avéré qu'ils n'apportaient aucun bénéfice.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau, de bonne qualité méthodologique, montre que chez le patient présentant un risque élevé de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire (ce risque incluant la maladie coronarienne, le syndrome coronarien aigu, l’AIT, l’AVC et l’artériopathie périphérique), le ticagrélor associé à l’aspirine présente un avantage par rapport à l’aspirine utilisée en monothérapie en termes de prévention des AVC ischémiques, mais ce bénéfice va de pair avec une augmentation importante du risque de saignement, notamment intracrânien.

La balance bénéfice-risque ne penche actuellement pas en faveur d’une utilisation systématique du ticagrélor en association à l’aspirine.

 

 

Références 

  1. Les antithrombotiques. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP, février 2022.
  2. De Backer T. Antiagrégant plaquettaire dans l’artériopathie symptomatique des membres inférieurs ticagrélor ou clopidogrel ? Minerva bref 15/10/2017.
  3. Hiatt WR, Fowkes FG, Heizer G, et al; EUCLID Trial Steering Committee and Investigators. Ticagrelor 3. versus clopidogrel in symptomatic peripheral artery disease. N Engl J Med 2017;376:32-40. DOI: 10.1056/NEJMoa1611688
  4. De Backer T. Faut-il administrer le ticagrélor avec ou sans aspirine chez les patients à haut risque après une angioplastie coronaire percutanée ? Minerva bref. 17/12/2020.
  5. Mehran R, Baber U, Sharma SK, et al. Ticagrelor with or without aspirin in high-risk ptients after PCI. N Engl J Med 2019;381:2032-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1908419
  6. Johnston SC, Amarenco P, Denison H, et al. Ticagrelor and aspirin or aspirin alone in acute ischemic stroke or TIA. N Engl J Med 2020;3833:207-17. DOI: 10.1056/NEJMoa1916870
  7. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  8. Kleindorfer DO, Towfighi A, Chaturvedi S, et al. 2021 Guideline for the prevention of stroke in patients with stroke and transient ischemic attack: a guideline from the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke 2021;52. DOI: 10.1161/STR.0000000000000375

 

 




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