Analyse


Quelles sont les interventions psychologiques efficaces pour les lombalgies chroniques aspécifiques ? Une analyse par méta-analyse en réseau


21 11 2022

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Ho E, Ferreira M, Chen L, Simic M, et al. Psychological interventions for chronic non-specific low back pain: protocol of a systematic review with network meta-analysis. BMJ Open 2020;10:e034996. DOI: 10.1136/bmjopen-2019-034996


Question clinique
Chez les patients souffrant de lombalgies chroniques non spécifiques, quelles interventions psychologiques ont montré la meilleure efficacité quant à la douleur et à la fonction ?


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau montre que pour les patients souffrant de lombalgies chroniques non spécifiques, les interventions psychologiques combinées à la kinésithérapie sont plus efficaces que la kinésithérapie seule. Les programmes de formation à la douleur et les thérapies (cognitivo-) comportementales montrent les résultats les plus durables (au moins jusqu’à 12 mois post intervention) sur le fonctionnement physique et l’intensité de la douleur. Même si les données manquent quant à la compliance des patients par rapport à ce type d’intervention, en pratique l’accessibilité et la standardisation de ces thérapies en combinaison avec la kinésithérapie devrait être encouragée pour tous les patients lombalgiques à risque de chronicisation. Cette synthèse méthodique a cependant inclus quasi en totalité des essais avec des limites méthodologiques jugées préoccupantes. Cette méta-analyse en réseau n’échappe pas aux limites liées à sa conception.



 

Contexte 

Dans le traitement des lombalgies chroniques aspécifiques, Minerva a de longue date analysé de nombreuses options thérapeutiques (1-24), qu’elles soient d’ordre physique, médicamenteux, voire chirurgical, aucune n’ayant montré une efficacité telle qu’elle se permette de se suffire à elle-même et d’exclure les autres. La littérature à propos de la lombalgie chronique insiste donc sur une approche globale, incluant aussi une intervention psychologique. Pour preuve l’importance de dépister précocement les patients à risque de chronicisation de douleur à l’aide d’outils spécifiques donnant une part importante à la composante psychologique (25,26). Cependant les différentes approches psychologiques n’avaient jusqu’à présent pas été comparées entre elles en termes d’efficacité sur la douleur et la fonction, ni sur quelle durée (27).

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Méta-analyse en réseau (NMA, Network Meta-Analysis) où les essais randomisés sélectionnés devaient avoir inclus des patients adultes souffrant de lombalgie chronique.

 

Sources consultées

  • les essais ont été sélectionnés à partir des bases de données Medline, Embase, PsycINFO, Cochrane Central Register of Controlled Trials, Web of Science, SCOPUS, et CINAHL, à deux étapes différentes (1/titre + abstract et 2/ texte complet).

 

Etudes sélectionnées

  • la lombalgie chronique non spécifique a été définie selon les directives du NICE
  • ces essais devaient comparer au moins une intervention psychologique, seule ou en combinaison, avec d’autres interventions ; l’analyse a inclus les approches suivantes : thérapies cognitivo-comportementales, réduction du stress par technique de pleine conscience, thérapie par acceptation et engagement, thérapie cognitivo-fonctionnelle, coaching de santé, biofeedback, formation à la douleur, et conseil utilisant des principes de théorie psychologique ; il n’y avait pas de restriction quant aux interventions étudiées en tant que comparateur
    • ont été inclus des essais contrôlés randomisés en parallèle et en grappes, ainsi que la première phase d'essais contrôlés randomisés croisés, qui avaient été publiés dans des revues à comité de lecture ; les auteurs n’ont pas limité les études à la durée du suivi
    • la recherche a exclu les études observationnelles, les essais non randomisés, les rapports courts, les lettres de recherche, les résumés de conférences ou les études qui n'avaient pas été publiées sous forme d'articles complets dans des revues scientifiques à comité de lecture
    • ont également été incluses des études portant sur une combinaison de populations souffrant de lombalgie aiguë, subaiguë ou chronique, à condition que plus de 50% des participants souffrent de lombalgie chronique et que les résultats aient été rapportés séparément pour le sous-groupe de lombalgie chronique ; l'analyse comprenait également des études de participants souffrant de lombalgie chronique associée à d'autres conditions de douleur chronique, à condition que plus de 50% des participants aient signalé un diagnostic de lombalgie chronique et que les résultats aient été rapportés séparément pour le sous-groupe de lombalgie chronique.

 

Population étudiée

  • ont été inclus : patients âgés de 18 ans et plus, souffrant de lombalgie chronique non spécifique (> 12 semaines), sans cause spécifique identifiée, avec ou sans sciatalgie
  • avec ou sans présence de douleur aux jambes
  • ont été exclus : participants atteints de pathologies graves (par exemple : sténose vertébrale, malignité, traumatisme, fracture vertébrale, infection et troubles inflammatoires)
  • les auteurs ont finalement sélectionné 97 études incluant un total de 13136 patients, pour 17 types d’interventions.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : le fonctionnement physique (échelles d’Oswestry, de Roland Morris, de Quebec) et l’intensité de la douleur dans le bas du dos (échelles numériques, visuelles analogiques, de McGill) ; pour ces critères primaires les données continues ont été comparées par différences moyennes standardisées (DMS)
  • critères de jugement secondaires : l’évitement par crainte de la douleur, la qualité de vie en rapport avec la santé, la compliance aux interventions, et la sécurité (effets indésirables)
  • les résultats ont été classés par phases chronologiques : post intervention (à la fin de l’intervention jusqu’à < 2 mois), à court terme (2 à 6 mois post intervention), à moyen terme (6 à 12 mois post intervention) et à long terme (> 12 mois) ; la sécurité des interventions a été évaluée par la fréquence des effets indésirables considérés au sens large.

 

Résultats

  • pour le fonctionnement physique, versus kinésithérapie seule, la thérapie cognitivo-comportementale (DMS de 1,01 avec IC à 95% de 0,58 à 1,44 ; N = 11 ; n = 657) et la formation à la douleur (DMS de 0,62 avec IC à 95% de 0,08 à 1,17), toutes deux fournies avec la kinésithérapie, ont montré une amélioration cliniquement significative en phase post intervention ;  le résultat le plus durable sur le fonctionnement a été montré avec la formation à la douleur combinée à la kinésithérapie, en tout cas en phase moyen terme (DMS de 0,63 avec IC à 95% de 0,25 à 1,00 ; niveau de certitude faible)
  • pour l’intensité de la douleur, versus kinésithérapie seule, la thérapie comportementale (DMS de 1,08 avec IC à 95% de 0,22 à 1,94 ; niveau de certitude faible), la thérapie cognitivo-comportementale (DMS de 0,92 avec IC à 95% de 0,43 à 1,42 ; niveau de certitude modéré) et la formation à la douleur (DMS de 0,91 avec IC à 95% de 0,37 à 1,45 ; niveau de certitude modéré), toutes procurées avec la kinésithérapie, ont montré un effet cliniquement significatif en post intervention ; seule la thérapie comportementale combinée avec la kinésithérapie montre un effet maintenu au moins à moyen terme sur la douleur (DMS de 1,01 avec IC à 95% de 0,41 à 1,60 ; niveau de certitude élevé)
  • les critères de jugement de sécurité n’ont été évalués que par 20 essais ; 12 d’entre eux ne rapportent aucun effet indésirable ; seules 4 études rapportent des effets indésirables liées à la thérapie comportementale et cela ne concernent que 1 ou 2 patients par études, toujours en rapport avec la douleur ou son vécu ; cependant, aucun des effets indésirables relatés n’a été jugé comme important cliniquement.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que pour les patients souffrant de lombalgies chroniques non spécifiques, les interventions psychologiques sont plus efficaces lorsqu’elles sont combinées à la kinésithérapie. Les programmes de formation à la douleur et les thérapies (cognitivo-) comportementales donnent les résultats les plus durables (au moins jusqu’à 12 mois post intervention). Les données manquent quant à l’efficacité à long terme (> 12 moins).

 

Financement de l’étude

Cette étude n'a reçu aucune subvention spécifique d'un organisme de financement des secteurs public, commercial ou à but non lucratif.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Tous les auteurs ont rempli le formulaire de divulgation uniforme de l'ICMJE et déclarent

aucun soutien de la part d'une quelconque organisation pour le travail soumis

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Les recommandations PRISMA ont été suivies pour rendre compte de la revue systématique et de la méta-analyse. Une recherche approfondie dans la littérature a été effectuée. La sélection des articles a été effectuée par deux chercheurs indépendants sur la base de critères d’inclusion et d’exclusion clairement définis. Les auteurs ont réalisé un funnel plot. La qualité méthodologique des RCTs incluses a été réalisée avec l’outil Cochrane « risque de biais » et la variante du même outil pour les RCTs en grappe, qui évalue un domaine supplémentaire : le biais résultant de l'identification ou du recrutement de participants individuels au sein des grappes. Relevons que pour la fonction physique, sur 61 études uniques incluses dans la NMA, 58 ont été jugées comme présentant des préoccupations et trois ont été jugées comme présentant un risque élevé de biais. Pour l'intensité de la douleur, sur 66 études, 62 ont été jugées comme ayant des préoccupations et quatre ont été jugées comme ayant un risque élevé de biais. La force d’une méta-analyse en réseau est de pouvoir considérer et comparer en un seul temps un large panel d’interventions différentes toutes focalisées sur une même population, ce qui ne serait pas possible avec une méta-analyse classique. La nécessité de regrouper de façon pragmatique les traitements par nœuds (17 dans cette étude) et d’utiliser des outils statistiques relativement sophistiqués (network plots) pour comparer de façon indirecte la taille d’effet de chaque intervention constituent ses faiblesses. Le manque de données dans les essais inclus quant à l’adhérence des patients aux différentes interventions psychologiques n’a pas permis d’évaluer de façon fiable la compliance pour ce type d’intervention, qui de plus varie fortement en fonction de l’interaction humaine entre le patient et son thérapeute. Le manque de données quant à l’effet à long terme a abouti à des intervalles de confiance très larges pour cette phase. Les risques de biais et les niveaux de preuve ont cependant été bien rapportés. 

 

Interprétation des résultats de l’étude

Une approche de division, validée, a été utilisée pour séparer différents types d'interventions psychologiques en catégories distinctes. En outre, les interventions psychologiques réalisées avec ou sans co-interventions ont été délimitées. Les revues précédentes ont généralement regroupé différents types d'interventions psychologiques ou regroupé des interventions psychologiques avec ou sans co-interventions, dans une seule comparaison, ce qui pouvait conduire à des comparaisons hétérogènes et à des estimations inexactes des effets du traitement. Cela dit, les auteurs ont dû également privilégier une approche pragmatique en regroupant quand même certaines approches psychologiques afin de gagner en puissance. Mais ils ont vite été confrontés à une augmentation de l’hétérogénéité. Au global, cette méta-analyse en réseau a permis de distinguer, parmi les très nombreuses interventions psychologiques qui peuvent être proposées aux patients lombalgiques chroniques, celles qui ont démontré une certaine efficacité sur le fonctionnement physique et l’intensité de la douleur, à savoir les thérapies (cognitivo-) comportementales et la formation à la douleur, mais toujours en combinaison avec la kinésithérapie. L’efficacité de ces 2 approches est surtout démontrée en phase post-traitement et à moyen terme. Les données manquent quant au long terme et à la compliance. Les auteurs affirment également que des analyses en sous-groupe ont été réalisées en cas d’hétérogénéité mais que les résultats n’ont pas été modifiés. Rappelons cependant que, dans une méta-analyse, ce genre d’analyse est réalisée en post-hoc et que les patients répartis ainsi dans les différents groupes échappent à une randomisation bien construite (28).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En ce qui concerne les douleurs chroniques (pas seulement les lombalgies) l’approche bio-psycho-sociale n’est guère remise en question dans la littérature. Une revue Cochrane (29) de 2014 montre le bénéfice d’une approche pluridisciplinaire par rapport aux « soins usuels ». Encore faut-il préciser de façon plus concrète ce qu’implique ce modèle. Ebpracticenet (30) se base sur le guide de pratique clinique du KCE (31) pour situer l’indication des interventions psychologiques (essentiellement de type cognitivo-comportementales) « qui peuvent constituer un volet important de la prise en charge multimodale chez certains patients à un moment donné de leur parcours (en fonction du niveau de risque) et ne devraient jamais être obligatoires ». NICE (32) et une recommandation de la HAS (33) de 2019 recommandent de toujours combiner l’approche psychologique (formation à la neurophysiologie de la douleur, TCC) avec la thérapie physique, ce qui est en totale cohérence avec les résultats de cette méta-analyse. La recommandation de la HAS précise que cette combinaison doit être proposée en traitement de seconde intention.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse en réseau montre que pour les patients souffrant de lombalgies chroniques non spécifiques, les interventions psychologiques combinées à la kinésithérapie sont plus efficaces que la kinésithérapie seule. Les programmes de formation à la douleur et les thérapies (cognitivo-) comportementales montrent les résultats les plus durables (au moins jusqu’à 12 mois post intervention) sur le fonctionnement physique et l’intensité de la douleur. Même si les données manquent quant à la compliance des patients par rapport à ce type d’intervention, en pratique l’accessibilité et la standardisation de ces thérapies en combinaison avec la kinésithérapie devrait être encouragée pour tous les patients lombalgiques à risque de chronicisation. Cette synthèse méthodique a cependant inclus quasi en totalité des essais avec des limites méthodologiques jugées préoccupantes. Cette méta-analyse en réseau n’échappe pas aux limites liées à sa conception.

 

 

Références 

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  2. Rubinstein SM, de Zoete A, van Middelkoop M, et al. Benefits and harms of spinal manipulative therapy for the treatment of chronic low back pain: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2019;364:l689. DOI: 10.1136/bmj.l689
  3. Sabbe N, de Caluwé J-R. Manipulation et mobilisation pour le traitement des lombalgies chroniques. Minerva Analyse 15/07/2019.
  4. Coulter ID, Crawford C, Hurwitz EL, et al.Manipulation and mobilization for treating chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis. Spine J 2018;18:866-79. DOI: 10.1016/j.spinee.2018.01.013
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  6. Shanthanna H, Gilron I, Rajarathinam M, et al. Benefits and safety of gabapentinoids in chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med 2017;14:e1002369. DOI: 10.1371/journal.pmed.1002369
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