Analyse
Risque accru de cancer du sein en cas de faux positif à la mammographie de dépistage, avec des facteurs à prendre en considération.
Contexte
En 2014, Minerva a analysé une synthèse méthodique de la Collaboration Cochrane (1,2) montrant que le dépistage systématique du cancer du sein chez les femmes en bonne santé âgées de 39 à 74 ans a plus d’inconvénients que d’avantages. Une révision s’imposait donc en matière de politique de dépistage du cancer du sein par mammographie. Une étude randomisée analysée confortait cette synthèse (3,4). À l’époque, l’auteur considérait que tant que le programme restait d’actualité en Belgique même si son utilité devenait discutable (5), le médecin devait présenter aux patientes une information détaillée et claire de la balance bénéfice-risque du dépistage du cancer du sein par mammographie afin qu’elles puissent prendre une décision éclairée. En 2015, une analyse de Minerva (6,7) d’une étude, aux limites méthodologiques certaines, ne montrait pas de différence statistiquement significative en termes d’anxiété générale et de qualité de vie, un an après l’annonce des résultats de dépistage entre les patientes ayant reçu un résultat faussement positif et celles ayant reçu un résultat négatif. En Europe, le taux de faux positifs à une mammographie de dépistage est estimé à 2,5% pour le premier test et à 20% lors du dixième. En 2024, une étude suédoise, en utilisant les données du programme de dépistage mammographique de Stockholm et les liens avec les registres nationaux suédois, a étudié les résultats à long terme après un résultat de mammographie faussement positif (8).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : femmes âgées de 40 à 74 ans ayant déjà subi une mammographie de dépistage dans la région de Stockholm entre 1991 et 2017
- critère d’exclusion : diagnostic de cancer du sein avant 1991
- population totale de 593 886 femmes avec 2 635 668 dossiers de dépistage. 45 213 femmes sans cancer du sein ont reçu un premier résultat faussement positif ; elles ont été comparées à 10 contrôles par cas (452 130 femmes) ; l’âge médian était de 52 ans (IQR, 42-59 ans) ; à la mammographie de référence, la plupart des femmes incluses dans cette étude avaient plus de 50 ans (64,6%), étaient nées en Suède (77,1%) et n’avaient pas d’antécédents familiaux de cancer du sein (92,3%).
Protocole d’étude
- étude de cohorte comparative basée sur la population en Suède, menée du 1er janvier 1991 au 31 mars 2020, où les cas et les contrôles ont été appariés selon l'âge, l'année civile de la mammographie et les antécédents de dépistage (aucun résultat faussement positif antérieur)
- les femmes de 50 à 69 ans étaient invitées à passer une mammographie tous les 2 ans ; de 2005 à 2012, les femmes de 40 à 49 étaient invitées tous les 18 mois puis, après 2012, tous les 2 ans ; après 2012 également, les femmes de 70 à 74 ans ont également été invitées à participer au dépistage
- tous les clichés ont été lus par 2 radiologues qui s’accordaient sur le fait de devoir rappeler les patientes ou non ; les résultats ont été classés par le score BI-RADS (Breast Imaging Reporting and Data System)
- toutes les femmes rappelées recevaient un courrier dans la semaine
- un suivi était organisé : 99,3% des femmes contactée ont répondu au rappel, dont 90,0% dans les 27 jours suivant la première mammographie ; 25% ont bénéficié d’une biopsie de contrôle.
Mesure des résultats
- critères de jugement : incidence et mortalité du cancer du sein.
Résultats
- incidence cumulée du cancer du sein sur 20 ans : 11,3% (avec IC à 95% de 10,7% à 11,9%) chez les femmes présentant un résultat faussement positif, contre 7,3% (avec IC à 95% de 7,2% à 7,%) chez les contrôles
- HR ajusté de 1,61 (avec IC à 95% de 1,54 à 1,68) pour les femmes avec un résultat faussement positif (variables d’ajustement : âge et année civile sur les mammographies, antécédents familiaux de cancer du sein, niveau d'éducation)
- analyses d'interaction : en faveur d’un risque accru de cancer du sein
- âge : HR de 2,02 (avec IC à 95% de 1,80 à 2,26) chez les femmes âgées de 60 à 75 ans lors de l'examen
- densité mammaire plus faible : HR de 4,65 (avec IC à 95% de 2,61 à 8,29)
- biopsie lors d’un rappel : HR de 1,77 (avec IC à 95% de 1,63 à 1,92) contre 1,51 (avec IC à 95% de 1,43 à 1,60)
- côté ipsilatéral du faux positif : 1,92 (avec IC à 95% de 1,81 à 2,04)
- durée du suivi : risque accru au cours des 4 premières années de suivi (HR de 2,57 avec IC à 95% de 2,33 à 2,85 au cours des 2 premières années ; HR de 1,93 avec IC à 95% de 1,76 à 2,12 à > 2 à 4 ans)
- grosseur de la tumeur : risque accru si ≥ 20 mm avec un HR de 1,78 avec IC à 95% de 1,64 à 1,93, par rapport à 1,47 avec IC à 95% de 1,38 à 1,56
- mortalité : risque accru de mortalité globale et de décès par cancer du sein par rapport aux contrôles, avec des HR de 1,07 (avec IC à 95% de 1,04 à 1,11) et 1,84 (avec IC à 95% de 1,57 à 2,15), respectivement.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les femmes ayant obtenu un résultat de mammographie faussement positif présentaient une incidence élevée de cancer du sein et une mortalité élevée jusqu'à 20 ans ; le risque accru de cancer du sein variait selon l'âge, la densité mammaire et la réalisation ou non d'une biopsie lors du suivi. De plus, le risque de cancer du sein était plus prononcé au cours des premières années suivant le résultat de mammographie faussement positif.
Financement de l’étude
Fonds venant des agences de l'État, des universités et des centres de cancérologie participants.
Conflit d’intérêts des auteurs
Liens d’intérêt rapporté avec l’industrie pour un des auteurs.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les auteurs ont étudié le risque de faux positifs à la mammographie dans la cohorte du Stockholm Mammography Screening program, en appliquant les guidelines STROBE (Strengthening the Reporting of Observational Studies in Epidemiology) pour études de cohorte. Ils ont pris l’ensemble des femmes avec un faux positif de la mammographie et les ont appariées avec des contrôles (mammographies négatives) dans le rapport 1/10. A noter l’absence de protocole rapporté pour cette étude secondaire et une définition sommaire des objectifs sans considérations statistiques. Une série de données ont été récupérées dans les registres régionaux comme l’histoire familiale. L’étude a donc un caractère exploratoire.
Évaluation des résultats
L’étude montre un risque accru de diagnostic de cancer du sein dans le suivi d’un faux positif à la mammographie de dépistage et de mortalité globale et spécifique par rapport à une mammographie considérée comme normale. En pratique, en se basant sur ces données suédoises en accordance avec d’autres antérieures et le programme de Stockholm bien rôdé, le praticien peut motiver les patientes, en particulier en cas de facteurs de risque identifiés : âge de 60 à 75 ans, biopsie lors d'un rappel et faible densité mammaire.
Notons que le taux de faux positifs n’est pas le même partout : 2,5% au premier examen en Suède et en Europe mais plus de 10% aux Etats-Unis. Il faut donc être prudent dans l’extrapolation des résultats de l’étude pour des populations qui n’ont pas un taux similaire de faux positifs. Le terme faux positif doit être compris comme une suspicion de cancer non confirmée mais il peut couvrir d’autres anomalies bénignes qui peuvent peut-être être des lésions prolifératives qui peuvent dégénérer. Ces aspects ne sont pas étudiés dans l’article.
Les aspects liés à l’anxiété que peut entraîner un faux positif ne sont pas non plus analysés. Il est intéressant de noter que le taux de convocation pour les mammographies de rappel est de 99,3%, ce qui est excellent. L’anxiété ne semble donc pas être une source significative d’abandon du dépistage.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations ne portent pas spécifiquement sur le problème des faux positifs à la mammographie. L’US Preventive Services Task Force souligne dans sa publication récente l’importance du problème, source d’anxiété chez les femmes dépistées (9). L’Union Européenne a pris l’initiative de créer un groupe de travail (European Commission Initiative on Breast Cancer) pour établir des recommandations qui se construisent en ligne (10). Un document est attendu pour la fin 2025. Le site procure une liste des lignes directrices internationales sur les soins du cancer du sein sans en rapporter sur le dépistage.
Conclusion de Minerva
Les auteurs notent trois résultats de leur étude de cohorte aux implications cliniques claires. Premièrement, outre la biopsie, l'âge au moment d'une mammographie faussement positive et la densité mammaire mammographique doivent être pris en compte dans l'individualisation des programmes de surveillance chez les femmes présentant un résultat faussement positif. Deuxièmement, une surveillance étroite et intensive lors des deux prochaines campagnes de dépistage peut être particulièrement utile. Troisièmement, une sensibilisation à long terme à la maladie doit être encouragée auprès des femmes présentant un résultat faussement positif afin de contribuer à réduire le risque accru d'incidence et de mortalité du cancer du sein chez ces femmes. Les femmes qui ont été l’objet d’un faux positif à la mammographie de dépistage constitue un groupe plus à risque de présenter un cancer du sein et d’en mourir. Il faut donc lui accorder une attention particulière.
- Michiels B. Dépistage du cancer du sein par mammographie. Minerva Analyse 15/03/2014.
- Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD001877.pub5
- Lemiengre M. Incertitude croissante quant à l’utilité du dépistage du cancer du sein. Minerva Analyse 15/07/2014.
- Miller AB, Wall C, Baines CJ, et al. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014;348:g366. DOI: 10.1136/bmj.g366
- Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial.] MinervaF 2014;13(6):66.
- Henrard G. A quel point les résultats « faux positifs » aux mammographies de dépistage sont-ils anxiogènes ? MinervaF 2015;14(1):4‑5.
- Tosteson AN, Fryback DG, Hammond CS, et al. Consequences of false-positive screening mammograms. JAMA Intern Med 2014;174:954-61. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.981
- Mao X, He W, Humphreys K, et al. breast cancer incidence after a false-positive mammography result. JAMA Oncol 2024;10:63-70. DOI: 10.1001/jamaoncol.2023.4519
- US Preventive Services Task Force, Nicholson WK, Silverstein M, Wong JB, et al. Screening for breast cancer: US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA 2024;331(22):1918-30. DOI: 10.1001/jama.2024.5534
- European guidelines on breast cancer screening and diagnosis. European Commission, Issued on 11/2017. Disponible sur: https://cancer-screening-and-care.jrc.ec.europa.eu/en/ecibc/european-breast-cancer-guidelines
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
faux positifCode
C50
X76
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