Analyse
Efficacité de la thérapie manuelle vertébrale dans la cervicalgie aiguë ?
Contexte
La douleur cervicale est la quatrième cause de handicap dans le monde, avec une prévalence annuelle dépassant 30% (1). Environ la moitié des patients développent des douleurs chroniques ou récurrentes (1-3). Certaines recommandations, comme celles de l’Association chiropractique canadienne et de l’Autorité sanitaire danoise, incluent les manipulations vertébrales parmi les options thérapeutiques (2,4,5). Une méta-analyse de 2019 s’est penchée sur leur efficacité dans la cervicalgie chronique, mais a peu exploré les formes aiguës non spécifiques (6). Minerva a analysé en 2003 (7) une RCT (8) qui a montré que, chez les patients souffrant de cervicalgie aspécifique aiguë ou subaiguë, la thérapie manuelle était plus efficace à court terme (6 semaines) que la kinésithérapie conventionnelle ou la prise en charge médicale générale. Une RCT de 2012 (9) analysée par Minerva (10) a montré qu’un traitement par manipulations vertébrales sur 12 semaines donne également de meilleurs résultats qu’un traitement médicamenteux, à court et à long terme, mais la différence était trop faible pour être considérée comme cliniquement pertinente.
Bien que la manipulation vertébrale soit considérée comme sûre et utilisée pour soulager les douleurs cervicales, son efficacité réelle sur la douleur (11), l’invalidité et la fonction reste encore mal définie, justifiant des recherches plus rigoureuses pour mieux cerner son potentiel thérapeutique.
Résumé
Méthodologie
Revue systématique et méta-analyse des RCTs (12).
Sources consultées
- bases de données: PubMed, Embase, Web of Science, PEDro, Cochrane Library
- depuis leur création jusqu’au 20 mars 2023.
Etudes sélectionnées
- critère d’inclusion :
- RCTs visant à améliorer l’amplitude des mouvements cervicaux, à réduire la douleur et à minimiser l'invalidité chez les patients atteints de douleurs cervicales aiguës
- interventions : manipulations au niveau du cou, du dos ou d'autres parties de la colonne vertébrale. Ces traitements pouvaient être utilisés seuls ou combinés à d'autres approches (traitement multimodal)
- groupe témoin : exercices, kinésithérapie ou placebo
- critères d’exclusion : études non RCTs, textes intégraux indisponibles ou données manquantes, publications en double, recherches de mauvaise qualité, littérature non anglophone, éditoriaux, lettres, commentaires ou résumés de conférences
- au total, sélection de 8 articles ; les manipulations appliquées sont : sur toutes la colonne (1 RCT), en thoracique (3 RCTs), en cervical (3 RCTs) ou sur la 1ère cote (1 RCT) ; période de 4 semaines maximum, de 1 à 15 séances de manipulations ; les tailles d'échantillon allaient de 3 à 323 patients.
Population étudiée
- critère d’inclusion :
- adultes (≥ 18 ans) présentant un coup du lapin ou une douleur cervicale aiguë diagnostiquée cliniquement, définie par des symptômes durant moins de 3 mois,
- avec ou sans douleur irradiante
- au total : 965 adultes ont été inclus ; 3 RCTs ont impliqué des patients souffrant de blessures de coup du lapin, les 5 études restantes ont impliqué des patients atteints de douleurs cervicales aiguës.
Mesure des résultats
- mesures des résultats primaires :
- intensité de la douleur a été évaluée à l'aide d'échelles analogiques visuelles (VAS - visual analogue scales) et d'échelles numériques d'évaluation de la douleur (NPRS - numeric pain rating scales)
- mesures des résultats secondaires :
- impact des douleurs cervicales aiguës sur la vie quotidienne des patients mesurée par :
- amplitude de mouvement cervicale afin d'évaluer l'activité du rachis cervical
- invalidité évaluée par le score d'invalidité Neck Disability Index (NDI) et le Northwick Park Neck Pain Questionnaire (NPQ).
- impact des douleurs cervicales aiguës sur la vie quotidienne des patients mesurée par :
Résultats
- mesures des résultats primaires
- la manipulation vertébrale a réduit significativement l'intensité de la douleur par rapport aux traitements témoins, avec une DM de -1,53 avec IC à 95% de -2,22 à -0,83 ; p < 0,001 (VAS = 4 RCTs et NPRS = 3 RCTs ; n = 821 participants et hétérogénéité (I²) = 95%)
- mesures des résultats secondaires
- la manipulation vertébrale a significativement, par rapport aux traitements témoins :
- améliorer l’amplitude cervicale (3 RCTs) ; n = 271 participants
- flexion du cou : DM de 11,01 avec IC à 95% de 9,10 à 12,93 ; I2 à 0%, p < 0,001
- extension du cou : DM de 10, 23 avec IC à 95% de 7,77 à 12,69 ; I2 à 0%, p < 0,001
- inclinaison gauche : DM de 7,31 avec IC à 95% de 3,08 à 11,54 ; I2 = 81% ; p= 0,0007
- inclinaison droite : DM de 8,14 avec IC à 95% de 6,34 à 9,95 ; I2 = 76% ; p < 0,001
- rotation à gauche : DM de 8,34 avec IC à 95% de 4,56 à 12,12 ; I2 = 65% ; p < 0,001
- rotation à droite : DM de 8,95 avec IC à 95% de 4,33 à 13,56 ; I2 = 70% ; p= 0,0001
- diminuer l’invalidité :
- DM de -6,20 avec IC à 95% de -9,81 à -2,59 ; p= 0,0008 (évaluée via NPQ (2 RCTs) et NDI (2 RCTs) ; n = 295 participants ; I² = 89%)
- améliorer l’amplitude cervicale (3 RCTs) ; n = 271 participants
- évènements indésirables : 1 RCT rapporte une réaction indésirable légère sans besoin d'intervention ; rien dans les 7 autres études.
- la manipulation vertébrale a significativement, par rapport aux traitements témoins :
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que « Les données probantes soutiennent l'utilisation de la manipulation vertébrale comme intervention efficace et sûre pour réduire la douleur, améliorer les mouvements d’amplitude de la nuque et diminuer l'invalidité chez les patients atteints de douleurs cervicales aiguës. Ces résultats apportent des éclairages précieux aux cliniciens et soulignent le potentiel de la manipulation vertébrale comme option thérapeutique viable dans la prise en charge des cervicalgies aiguës ».
Financement de l’étude
Programme de développement social et scientifique de Dongguan et la Fondation pour le développement des talents du premier hôpital affilié de Dongguan à l'Université de médecine du Guangdong.
Conflit d’intérêts des auteurs
Pas de conflit d'intérêt déclaré.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les recommandations PRISMA ont été suivies et le protocole de l’étude a été enregistré dans la base de données PROSPERO, ce qui garantit une transparence méthodologique. La recherche, la sélection, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité des preuves ont été réalisées à chaque fois par deux évaluateurs indépendants, selon des standards reconnus tels que PEDro et GRADE, garantissant la rigueur méthodologique.
La qualité méthodologique des études incluses varie de 4 à 9 sur l’échelle PEDro, c’est-à-dire de modérée à bonne. Quatre études présentent un niveau de preuve élevé (niveau 1) et quatre un niveau intermédiaire (niveau 2). Toutefois, la certitude globale des preuves est jugée faible à très faible, en raison de plusieurs limites méthodologiques : une hétérogénéité importante (I² = 95%) - qui reflète des différences méthodologiques majeures entre les études, ce qui nuit à la cohérence des résultats-, des échantillons de petites tailles, du caractère indirect de certaines populations ou interventions — c’est-à-dire lorsque les participants ou les traitements évalués ne correspondent pas exactement à la question clinique posée —, et de l’imprécision des résultats. L’absence d’insu relevée dans plusieurs études originales est un facteur de risque de biais de performance et de mesure.
Évaluation des résultats
Cette étude montre que, chez les patients atteints de douleurs cervicales aiguës aspécifiques, l’utilisation de la manipulation vertébrale est une intervention efficace et sûre pour réduire la douleur, améliorer les mouvements d’amplitude de la nuque et diminuer l'invalidité. Cependant, cette revue inclut huit essais contrôlés randomisés présentant une hétérogénéité clinique notable en termes de types d’interventions, ce qui empêche de recommander une modalité précise de manipulation (cervicale, thoracique, etc.). L’hétérogénéité clinique en termes de groupes témoins, de critères d’évaluation et de durées de suivi entre les études rend difficile la généralisation des résultats et affaiblit la robustesse des conclusions. Par ailleurs, l’absence d’insu dans plusieurs RCTs soulève des préoccupations quant à la validité des résultats, en raison du risque accru de biais de performance et de mesure. Cela peut amplifier artificiellement les effets observés, notamment en raison d’un effet placebo ou d’une évaluation influencée par les attentes des participants. De plus, l’interprétation des effets à long terme des interventions est limitée par la brièveté et la variabilité des périodes de suivi rapportées. Cette lacune compromet l’évaluation des bénéfices durables ou des effets indésirables potentiels de la manipulation vertébrale dans le traitement des douleurs cervicales non spécifiques. La certitude globale des preuves est jugée faible à très faible, ce qui signifie que les résultats doivent être interprétés avec prudence.
En pratique, cela limite la capacité à recommander la manipulation vertébrale comme traitement de première intention sans confirmation par des études plus robustes.
Les études antérieures ne distinguaient pas toujours les douleurs cervicales aiguës des formes chroniques (13). Or, cette distinction est essentielle pour une prise en charge adaptée.
Bien que rares, des effets indésirables graves peuvent survenir à la suite de manipulations cervicales, tels qu’un accident ischémique transitoire, un accident vasculaire cérébral, une fracture, une perte de contrôle intestinal ou vésical, voire un coma (14,15). De manière plus fréquentes, des effets indésirables bénins — fatigue, nausées, maux de tête ou douleurs transitoires — sont rapportés de manière similaire dans les groupes traités et placebo (16).
Pour limiter les risques liés à des pathologies vasculaires sous-jacentes, le Cadre Cervical International de l’IFOMPT (International Federation of Manual and Musculoskeletal Physical Therapists) a développé un guide clinique visant à aider les cliniciens dans leur raisonnement clinique face aux manifestations impliquant la tête et le cou (17). Il encourage aussi l’utilisation d’outils de diagnostic différentiel pour une évaluation sûre et éclairée de la colonne cervicale car une identification précoce des signaux d’alerte (infection, cancer, atteinte cardiaque, insuffisance artérielle, insuffisance ligamentaire cervicale supérieure, dysfonctionnement ou lésion inexpliquée des nerfs crâniens (2) permet de prévenir de nombreux effets indésirables.
En pratique, les manipulations cervicales sont rarement utilisées seules. Une approche combinée, intégrant différentes techniques de thérapie manuelle et de l’exercice, semble plus efficace que chacune de ces modalités prise isolément (18). Cette stratégie intégrée est d’ailleurs soutenue par les recommandations cliniques actuelles (2).
Ainsi, bien que la manipulation cervicale puisse représenter une option thérapeutique intéressante dans le cadre de la cervicalgie aiguë aspécifique, des recherches complémentaires sont nécessaires pour mieux définir son efficacité spécifique et son rôle optimal en pratique.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Selon le KCE, les manipulations ou mobilisations isolées n’apporteraient pas de bénéfice clinique significatif dans le traitement des cervicalgies aiguës (niveau de preuve modéré, recommandation faible contre) (19).
Pourtant, les dernières recommandations du JOSPT en 2017 intègrent les manipulations cervicales parmi les options thérapeutiques pour la cervicalgie aiguë (2). Toutefois, elles insistent sur l’importance de classifier les patients en fonction du type de cervicalgie :
- avec perte de mobilité,
- avec troubles du contrôle sensorimoteur,
- associée à des céphalées,
- ou à des symptômes neurogènes.
Il est essentiel de rappeler que les manipulations comportent certains risques, bien que ceux-ci puissent être réduits par un raisonnement clinique rigoureux, comme le précise le Grieve’s Modern Musculoskeletal Physiotherapy, l’un des ouvrages de référence internationale en kinésithérapie musculosquelettique (20,21).
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique avec méta-analyses suggèrent que la manipulation vertébrale est efficace pour réduire l'intensité de la douleur et l'invalidité, et pour améliorer l'amplitude des mouvements cervicaux chez les patients souffrant de cervicalgies aiguës aspécifiques. Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique mais est basée sur des études originales présentant une trop grande hétérogénéité clinique. De futures études, avec une meilleure standardisation des interventions et des comparateurs, sont nécessaires pour tirer des conclusions plus définitives sur l'efficacité de la manipulation vertébrale dans le traitement des cervicalgies aiguës.
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