Revue d'Evidence-Based Medicine



Poids idéal, surpoids, obésité : quel impact clinique du syndrome métabolique ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 9 Page 108 - 109

Professions de santé


Analyse de
Kramer CK, Zinman B, Retnakaran R. Are metabolically healthy overweight and obesity benign conditions? : A systematic review and meta-analysis Ann Intern Med 2013;159:758-69.


Question clinique
Etre en surpoids ou être obèse avec un statut métabolique normal, est-ce « bénin », c’est-à-dire sans augmentation de la morbidité et de la mortalité ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, présente des faiblesses méthodologiques qui s’additionnent aux difficultés de définition et de choix des critères diagnostiques du syndrome métabolique, montre que l’obésité comparée à un poids normal est associée à un risque accru de mortalité et/ou d’incidents cardiovasculaires à long terme même si le statut métabolique est normal. Le « syndrome métabolique » est à ce jour plus un défi d’identification de mécanismes physiopathologiques qui pourrait permettre de mettre au point des molécules novatrices pour les firmes pharmaceutiques qu’un concept clinique utile à la prise en charge des patients.


Que disent les guides de pratique clinique ?
A notre connaissance, il n’existe pas de recommandation de bonne pratique spécifique à la prise en charge du « syndrome métabolique ». Les nombreuses combinaisons de critères et définitions existantes ne permettent pas d’utiliser ce concept d’un point de vue clinique. Il n’existe pas de prise en charge spécifique du syndrome métabolique, médicamenteuse ou autre, ayant démontré un avantage clinique pour les patients au-delà de la prise en charge de chacune de ses composantes.


Poids idéal, surpoids, obésité : quel impact clinique du syndrome métabolique ?

 

Contexte

L’augmentation de l’IMC est associée à un risque accru de mortalité (1). Or certaines études montrent que le surpoids (Indice de Masse Corporelle ou IMC de 25-30 kg/m²) est associé avec un risque moindre de mortalité que pour les personnes de poids normal (2). Malgré l’augmentation du tissu adipeux, certains patients en surpoids ou obèses ont un statut métabolique normal contrairement à certains patients de poids normal. A ce jour, on ignore dans quelle mesure les phénotypes métaboliques modifient la mortalité et la morbidité associées à l’augmentation de l’IMC. Cette synthèse méthodique tente d’y répondre.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • bases de données Embase, PubMed, résumés d’articles et de réunions (2011-2012) de l’Endocrine Society et de l’European Society of Endocrinology
  • recherche manuelle dans la littérature de langue anglaise selon références d’articles avec mots clés.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études prospectives d’observation, études d’observation transversales avec patients répartis en 3 catégories d’IMC (normal : IMC ≥ 18 et < 25 kg/m², surpoids : IMC ≥ 25 et < 30kg/m², obèse : IMC ≥ 30kg/m²), selon statut métabolique (sain/non sain) avec pour critère de jugement ‘toutes causes de mortalité’ et/ou ‘événement cardiovasculaire fatal’ et ‘événement cardiovasculaire non fatal’
  • critère d’exclusion : études rétrospectives, avec critères différents de catégories d’IMC et/ou qui ne fournissent aucune donnée sur le nombre d’incidents cardiovasculaires par groupe
  • 12 études sélectionnées (N = 12 dont 8 prospectives et 4 transversales) sur les 1 455 identifiées.

 

Population étudiée

  • 67 127 patients adultes (780 à 17 544 par étude), 11 à 51% de fumeurs ; avec activité physique modérée (N = 5) ; sans maladie cardiovasculaire (N = 6) ; avec prévalence de maladie cardiovasculaire de 37 et 20% (N = 2)
  • statut métabolique défini selon critères de l’Adult treatment Panel III (N = 8) ou de l’International Diabetes Federation (N = 2), avec recherche de résistance à l’insuline et/ou marqueurs inflammatoires (N = 2)
  • patients répartis en 6 groupes : poids normal - statut métabolique sain (NS, groupe contrôle), surpoids - métabolique sain (SS), obèse - métabolique sain (OS), poids normal - status métabolique non sain (NnS), surpoids - métabolique non sain (SnS) et obèse -métabolique non sain (OnS).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : mortalité de toute cause, incidents cardiovasculaires (ICV) fatal ou non comparés entre les 6 groupes (infarctus de myocarde, syndrome coronarien aigu, hospitalisation pour angor instable ou coronarographie menant à une angioplastie ou pontage coronarien, insuffisance cardiaque congestive, AVC, AIT, claudication)
  • critères de jugement secondaires : comparaison des données cliniques selon les catégories d’IMC (pression artérielle systolique et diastolique, circonférence abdominale, HDL cholestérol, triglycérides, glucose et LDL cholestérol), résistance à l’insuline
  • mesure de l’hétérogénéité statistique entre résultats d’études par un Test I2 de Higgins, et recours à un modèle d’effets aléatoires si nécessaire
  • analyse de méta-régression et analyse de la variance.

  

Résultats

  • critères de jugement primaires (voir tableau):
    • les résultats montrent que les patients avec un IMC ≥ 30 kg/m2 ont un risque de mortalité et un risque de présenter un événement cardiovasculaire augmenté par rapport aux patients dont l’IMC ≥ 18 et < 25 kg/m², quel que soit le statut métabolique
    • les patients présentant un statut métabolique non sain ont un risque de mortalité et un risque cardiovasculaire augmenté, quel que soit leur poids par rapport à des patients dont l’IMC ≥ 18 et < 25 kg/m² et sain
  • critères de jugement secondaires : la pression artérielle systolique et diastolique, la circonférence abdominale, la résistance à l’insuline augmentent significativement avec l’IMC, tant pour les groupes avec statuts métaboliques sains que non sains. Le HDL cholestérol diminue significativement avec l’augmentation de l’IMC. Pas de relation évidente entre l’IMC et les taux de triglycérides, de glucose et de LDL.

 

 

Tableau. RR des incidents cardiovasculaires et/ou mortalité versus groupe contrôle (NS).

 

Groupe

RR avec IC à 95%

RR avec IC à 95%

après 10 ans (1)

RR avec IC à 95% après analyse de sensibilité (2)                    

Surpoids sain (SS)

1,10 (0,90 à 1,24)

1,21 (0,91 à 1,61)

 

Obèse sain (OS)

1,19 (0,98 à 1,38)

1,24 (1,02 à 1,55)

 

Normal non sain (NnS)

3,14 (2,36 à 3,93)  

 

3,79 (3,19 à 4,34)

Surpoids non sain (SnS)

2,70 (2,08 à 3,30)  

 

3,09 (2,80 à 3,25)

Obèse non sain (OnS)

2,65 (2,18 à 3,12)  

 

2,79 (2,56 à 3,01)

 

(1) : analyse répétée avec études dont suivi de minimum 10 ans

(2) : analyse de sensibilité pour réduire l’hétérogénéité

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les patients obèses ont un risque accru de mortalité et/ou d’incidents cardiovasculaires à long terme même si leur statut métabolique est normal comparé aux patients de poids normal suggérant que le surpoids et l’obésité ne sont pas des conditions de santé bénignes.

 

Financement de l’étude 

Fonds intramuros de Leadership Sinai Centre for Diabetes

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Aucun n’est déclaré

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques

Les auteurs n’ont parcouru que 2 bases de données. Le choix de se limiter aux ‘textes’ de l’Endocrine Society et de l’European Society of Endocrinology pour compléter la revue systématique est étonnant. La recherche dans les bases de données ne s’est pas limitée à la langue anglaise. Les termes de recherche (MeSH) sont très bien décrits. Les critères d’inclusion et d’exclusion des études sont bien décrits. 2 chercheurs indépendants l’un de l’autre ont effectué la revue systématique et un troisième chercheur a eu pour rôle de statuer en cas d’avis différents. La qualité des études de cohorte incluses dans la méta-analyse a été évaluée grâce à The Newcastle-Ottawa Scale (NOS), alors que la fiabilité inter-évaluateurs a été jugée importante à pauvre selon les items et que la note globale pour la fiabilité de l’outil a été jugée faible (3). L’analyse statistique est correctement décrite et les analyses sont multiples pour parvenir à bien identifier les variables importantes pour expliquer les résultats observés. Un funnel plot a été effectué à la recherche d’un biais de publication.

 

Interprétation des résultats 

La première difficulté à laquelle nous sommes confrontés est la définition du syndrome métabolique (4). Des critères +/- bien définis sont retrouvés pour décrire ce concept : résistance à l’insuline (la manière de la définir est différente selon les groupes de spécialistes), troubles de la glycémie (intolérance au glucose ou glycémie postprandiale anormalement élevée ou diabète de type 2), troubles morphologiques (obésité avec IMC ≥ 25 kg/m2 ou augmentation du tour de taille (avec des valeurs différentes selon les groupes de spécialistes)), augmentation de la pression artérielle (dont les valeurs varient entre ≥ 130/85 mmHg à ≥ 140/90 mm Hg), dyslipidémie (dont les valeurs varient également selon les groupes de spécialistes définissant les critères), présence d’une microalbuminurie ou non. La définition du syndrome métabolique est donc hétérogène et associe des anomalies morphologiques, et biochimiques objectivables, qui évoluent en fonction du temps, et qui prédisposeraient le sujet atteint à l’athérosclérose et/ou au diabète de type 2 (dans ce cas il faudrait l’exclure des critères de définition !) et à leurs complications cardiovasculaires.

La deuxième difficulté est dès lors l’appréciation de l’augmentation de ce risque. La calibration est la capacité à prédire un nombre d’évènements. Par exemple, dans une étude sur une petite cohorte aux Pays-Bas, la table de risque SCORE dont le but est d’estimer le risque de survenue d’un premier événement cardiovasculaire, est celle qui s’est montrée la plus précise chez les sujets à tolérance glucidique normale tandis que la table UKPDS a montré les meilleurs résultats pour les patients avec hyperglycémie intermédiaire (5-6). Le syndrome métabolique étant défini par plusieurs combinaisons de critères possibles, nous ignorons si toutes ces combinaisons sont associées à un niveau similaire de risque, et donc, la calibration de ces outils est difficile à appréhender.

Une troisième remarque est que si l’objectif de l’entité « syndrome métabolique » est de parvenir à déterminer un profil de patients à risque élevé de développer des complications cardiovasculaires, il ne prend pas en compte d’autres facteurs de risque cardiovasculaire reconnus comme le tabagisme, le sexe, les antécédents cardiovasculaires familiaux précoces. Les résultats de cette étude montrent cependant que, même sans inclure ces critères reconnus de risque cardiovasculaire augmenté, l’objectif est atteint.

Enfin, et il s’agit du point le plus important, dépister un syndrome métabolique n’aurait de sens que si des mesures spécifiques, médicamenteuses ou non, devaient être débutées et suivies afin d’améliorer le devenir clinique des patients, au-delà de la prise en charge habituelle de chacune des composantes (6). Vu les difficultés énoncées ci-dessus, nous ne pouvons pas répondre à cette question.

 

Conclusion de Minerva 

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, présente des faiblesses méthodologiques qui s’additionnent aux difficultés de définition et de choix des critères diagnostiques du syndrome métabolique, montre que l’obésité comparée à un poids normal est associée à un risque accru de mortalité et/ou d’incidents cardiovasculaires à long terme même si le statut métabolique est normal. Le « syndrome métabolique » est à ce jour plus un défi d’identification de mécanismes physiopathologiques qui pourrait permettre de mettre au point des molécules novatrices pour les firmes pharmaceutiques qu’un concept clinique utile à la prise en charge des patients.

 

Pour la pratique 

A notre connaissance, il n’existe pas de recommandation de bonne pratique spécifique à la prise en charge du « syndrome métabolique ». Les nombreuses combinaisons de critères et définitions existantes ne permettent pas d’utiliser ce concept d’un point de vue clinique. Il n’existe pas de prise en charge spécifique du syndrome métabolique, médicamenteuse ou autre, ayant démontré un avantage clinique pour les patients au-delà de la prise en charge de chacune de ses composantes.

 

 

Références

  1. Berrington de Gonzalez A, Hartge P, Cerhan JR, et al. Body-mass index and mortality among 1.46 million white adults. N Engl J Med 2010;363:2211-9.
  2. Flegal KM, Kit BK, Orpana H, Graubard BI. Association of all-cause mortality with overweight and obesity using standard body mass index categories: a systematic review and meta-analysis. JAMA. 2013;309:71-82.
  3. Hartling L, Milne A, Hamm MP, et al. Testing the Newcastle Ottawa Scale showed low reliability between individual reviewers. J Clin Epidemiol 2013;66:982-93.
  4. Prescrire Rédaction. Le syndrome métabolique : une construction artificielle inutile aux soins. Rev Prescrire 2006;26:444-7.
  5. van der Heijden AA, Ortegon MM, Niessen LW, et al. Prediction of coronary heart disease risk in a general, pre-diabetic, and diabetic population during 10 years of follow-up: accuracy of the Framingham, SCORE, and UKPDS risk functions: the Hoorn study. Diabetes Care 2009;32:2094-8.
  6. Chevalier P. Risque coronarien : quelle table de risque utiliser ? Minerva online 27/05/2010.

 

 

 


Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Fraipont B.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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