Revue d'Evidence-Based Medicine
FA et TEV : efficacité comparative des NAO et de la warfarine
Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone
Contexte
Nous avons actuellement au moins une étude pivotale (phase III) publiée pour chacun des Nouveaux Anticoagulants Oraux (NAOs) commercialisés pour le traitement de la Fibrillation Auriculaire (FA) non valvulaire avec risque d’AVC majoré. Pour l’anti facteur Xa rivaroxaban (étude ROCKET-FA (1)), pour l’anti facteur Xa apixaban (étude ARISTOTLE (2)) et pour l’anti-thrombine dabigatran (étude RE-LY (3)). Nous en avons présenté une méta-analyse dans la revue Minerva (4,5). Nous disposons aussi d’une étude pivotale pour le rivaroxaban (6,7) et pour le dabigatran (8,9) dans l’indication thromboembolie veineuse (TEV, traitement et prévention secondaire). Les très nombreuses synthèses et méta-analyses publiées ces derniers mois reprennent les résultats de ces RCTs. Pour les 2 indications, FA et TEV, une méta-analyse évalue l’efficacité de ces 3 médicaments versus warfarine dans les RCTs publiées mais aussi leur sécurité dans ces RCTs et également dans d’autres sources. Cette perspective rend mieux compte de l’utilité de ces NAOs versus warfarine dans ces deux indications et fait donc l’objet d’une analyse par nos soins.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse
Sources consultées
- bases de données MEDLINE, EMBASE, Cochrane Database of Systematic Reviews de janvier 2001 à juillet 2012
- base de données de la Food and Drug Administration (FDA) pour les effets indésirables des NAOs et de la warfarine.
Etudes sélectionnées
- RCTs comparant l’efficacité des NAOs et de la warfarine dans le traitement de la FA et de la TEV (6 RCTs mais 15 publications)
- études d’observation (10 études, 13 publications) et données de pharmacovigilance pour la sécurité
- liste de références des études isolées
- recherche d’études non publiées
- exclusion : études avec le ximélagatran.
Population étudiée
- 61 424 sujets dans les 6 RCTs, 3 RCTs par indication (FA 50 578 sujets, TEV 10 846 sujets)
- FA : moyenne d’âge >70 ans, 63% d’hommes, CHADS2 de 2,1 (dabigatran, apixaban) et 3,5 (rivaroxaban) ; TTR de 55 à 66% (médiane de 64%)
- TEV : moyenne d’âge de 50 à 55 ans, 55% d’hommes
- traitement par warfarine avec INR cible
- durée d’étude : 2 ans environ pour la FA, 6 à 12 mois pour la TEV.
Mesures des résultats
- pour la FA : incidence d’AVC, de décès, qualité de vie liée à la santé, expérience du patient avec son traitement
- pour la TEV : récidive de TEV, décès, qualité de vie liée à la santé, expérience du patient avec son traitement
- effets indésirables : nature et fréquence
- seuls critères communs à toutes les RCTs : mortalité de toute cause, hémorragie majeure
- analyse en modèle d’effets aléatoires.
Résultats
- critère de mortalité :
- pour la FA, les NAOs diminuent la mortalité versus warfarine : RR de 0,88 (IC à 95% de 0,82 à 0,96) (seule preuve de haut niveau) ; différence de risque : 8 décès en moins par 1 000 patients (IC à 95% de 3 à 11) traités pendant 2 ans
- pour la TEV : pas de différence entre NAOs et warfarine
- effets indésirables NAOs versus warfarine :
- hémorragie fatale : RR 0,60 (IC à 95% de 0,46 à 0,77)
- hémorragie majeure : RR 0,80 (IC à 95% de 0,63 à 1,01 , I2 77%)
- hémorragie gastro-intestinale : RR 1,30 (IC à 95% de 0,97 à 1,73 , I2 75%)
- arrêt de traitement pour effet indésirable : RR 1,23 (IC à 95% de 1,05 à 1,44 , I2 91%)
- analyses en sous-groupes (résultats hypothétiques) :
- davantage d’infarctus du myocarde sous dabigatran que sous rivaroxaban et apixaban
- risque accru d’hémorragie sous NAO si >75 ans
- risque accru d’hémorragie sous NAO pour les sujets auparavant bien équilibrés sous warfarine.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les nouveaux anticoagulants oraux constituent une option viable pour les patients recevant une anticoagulation à long terme. Les bénéfices d’un traitement avec ces médicaments versus warfarine sont faibles et fort dépendants du contrôle obtenu sous warfarine.
Financement de l’étude
Department of Veterans Affairs (VA Quality Enhancement Research Initiative) qui n’est intervenu à aucun stade de l’étude.
Conflits d’intérêt des auteurs
1 auteur déclare avoir reçu des honoraires de consultance de 2 firmes et d’autres subventions ; 1 auteur déclare que son institution a reçu des subventions d’une firme.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Deux chercheurs ont indépendamment l’un de l’autre résumé les données des études, évalué leur qualité méthodologique et le niveau de preuve. La validité méthodologique des études originales est qualifiée de bonne, acceptable ou pauvre selon des critères établis par l’Agency for Healthcare Research and Quality pour la randomisation est un processus consistant à sélectionner et à répartir au hasard les sujets d’un échantillon. Dans une étude randomisée contrôlée (RCT), les sujets doivent être attribués au hasard dans les différents bras de traitement, par exemple un nouveau traitement médicamenteux versus son placebo. La séquence de randomisation est la suite ordonnée prévue dans le dessin d’étude pour attribuer les sujets inclus dans une étude dans un des bras d’étude. Pour être méthodologiquement valide, une étude doit avoir une séquence d’attribution non prévisible pour les chercheurs.">séquence et le étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret d’attribution, la similitude des caractéristiques initiales entre bras d’étude, l’insu, le suivi complet, l’attrition, les différences entre groupes, l’imputation des données manquantes, la validité des critères de jugement, les conflits d’intérêt. Les études d’observation retenues ne sont que des rapports de cas, sans évaluation de leur qualité méthodologique. L’hétérogénéité est évaluée avec un test I2. Le niveau de preuve est évalué selon le système GRADE. Un biais de publication ne semble pas présent (après recherche sur www.clinicaltrials.gov).
Les auteurs soulignent l’absence de comparaison directe entre les NAOs et les données limitées concernant les effets indésirables.
Mise en perspective des résultats
Rappelons que le premier anticoagulant oral antithrombine, le ximélagatran, a rapidement été retiré du marché pour hépatotoxicité.
Cette nouvelle méta-analyse s’intéresse plus au critère mortalité globale qu’aux critères primaires des RCTs, effectivement différents selon l’indication. Si la mortalité est significativement diminuée pour les NAOs versus warfarine dans la méta-analyse des 3 études, dans aucune des 3 études dans la FA ce n’est franchement le cas (2 études avec un résultat à la limite de la signification, la troisième sans différence significative).
Une autre méta-analyse, de Dentali et coll. (10) pour la FA et incluant l’édoxaban (non encore commercialisé en Belgique), montre des résultats quasi identiques: mortalité globale avec RR de 0,89 (IC à 95% de 0,83 à 0,96). Pour le critère primaire de ces études dans la FA, AVC et embolie systémique, cette méta-analyse donne un RR de 0,77 (IC à 95% de 0,70 à 0,86) et conclut aussi à un bénéfice clinique des NAOs versus AVK, tout en insistant sur la nécessité de confirmer ces données dans la pratique.
La méta-analyse d’Adam et coll. ici présentée nous permet d’aborder et d’évaluer cet aspect d’efficacité/sécurité dans la pratique. Elle montre la survenue d’AVC malgré un traitement par NAO bien suivi, risque diminué sans l’annuler. Elle confirme une probabilité d’augmentation du risque d’infarctus du myocarde avec le dabigatran, que nous avions déjà soulignée (11). Elle mentionne aussi avec les NAOs des cas d’hémorragies avec issue fatale faute d’antidote, surtout chez des personnes âgées de plus de 75 ans, en insuffisance rénale. Une insuffisance rénale non sévère peut le devenir dans certaines situations de déshydratation, sous l’influence de certains médicaments ou d’examens radiologiques avec produits de contraste, particulièrement chez les personnes âgées… population la plus concernée par la FA. Cette méta-analyse donne aussi les résultats des déclarations d’effets indésirables avec les anticoagulants en 2011 aux USA. Pour le dabigatran : 2 367 hémorragies, 291 insuffisances rénales aiguës, 644 AVC, 542 décès, 15 suspicions d’insuffisance hépatique. Sur la même période 2011, pour la warfarine : 1 106 effets indésirables déclarés, dont 72 décès.
La variabilité entre les résultats des études (tests I2) pour les hémorragies majeures, les saignements gastro-intestinaux et les arrêts de traitement pour effets indésirables suggèrent des différences importantes entre les 3 médicaments… et confirme ainsi l’intérêt douteux pour le praticien d’une telle méta-analyse de 3 médicaments semblant bien différents dans la pratique.
Un groupe d’experts italiens (12) analyse les données des 3 études pivotales dans la FA (ROCKET-FA pour le rivaroxaban, RE-LY pour le dabigatran, ARISTOTLE pour l’apixaban) et compare les points forts et les points faibles des 3 médicaments. Suivant le score CHADS2, le (grand) âge du patient, les interactions médicamenteuses possibles, la fonction rénale, une préférence pourrait, sur base théorique, être accordée à l’un des trois médicaments, selon les critères choisis.
Dans une ré-analyse des résultats de l’étude ARISTOTLE, Lopes et coll. (13) recherchent si l’efficacité de l’apixaban varie en fonction du risque d’AVC (score CHADS2 et CHA2DS2-VASc) et du risque de saignement (score HAS-BLED). Une relation significative (attendue vu les critères très semblables) entre score CHADS2 (et CHA2DS2-VASc) et HAS-BLED est observée. Les auteurs de cette analyse post-hoc concluent que le bénéfice de l’apixaban versus warfarine est observé quels que soient les scores de CHADS2 et de HAS-BLED. Le forest plot qu’ils présentent pour le critère primaire d’efficacité en fonction du score CHADS2 montre cependant que la différence n’est significative dans aucun sous-groupe selon le score HAS-BLED et uniquement dans le groupe ≥3 selon le score CHADS2. Par contre pour le critère saignement majeur, les résultats sont statistiquement significatifs pour les différents sous-groupes pour les 2 scores, en faveur de l’apixaban.
Soulignons l’absence de plus-value des NAOs versus warfarine dans l’indication thrombo-embolie veineuse au point de vue mortalité globale, mortalité liée à la TE et récidive de TEV.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique montre une supériorité des NAOs versus warfarine pour le critère mortalité globale dans l’indication FA, mais non dans l’indication TEV. Pour les deux indications groupées, moins d’hémorragies fatales (comprises dans le critère précédent !), sans différence (mais résultats fort discordants) pour les hémorragies majeures et les hémorragies gastro-intestinales et avec davantage d’arrêts de traitement pour effet indésirable.
Pour la pratique
Les nouvelles recommandations européennes (14) placent les NAOs en premier choix (y compris l’apixaban non enregistré par l’EMA dans cette indication lors de la publication de ces guidelines !) devant les AVK dans la FA non valvulaire avec risque d’AVC/embolie systémique augmenté. La présente méta-analyse confirme que cette recommandation ne tient pas compte des risques observés dans la pratique avec ces nouveaux médicaments ni d’une analyse bien rigoureuse de l’ensemble des données d’étude. Si ces nouveaux médicaments peuvent, représenter un avantage par rapport à un AVK chez certains patients (facilité d’emploi), chez d’autres, ils augmentent le risque d’effets indésirables (sévères) avec des différences entre eux. L’absence d’antidote, le grand âge du patient, la fonction rénale, les interactions médicamenteuses, nos connaissances plus limitées à leur propos et le coût (beaucoup) plus élevé de ces nouveaux médicaments sont des éléments à prendre en considération lors du choix individuel entre un AVK et un des 3 NAOs actuellement disponibles, tout en rappelant qu’une surveillance stricte de tout traitement anticoagulant reste essentielle.
Références
- Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91.
- Granger CB, Alexander JH, McMurray JJ, et al; ARISTOTLE Committees and Investigators. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92.
- Connolly SJ, Ezekowitz MD, S. Yusuf, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51.
- Miller CS, Grandi SM, Shimony A, et al. Meta-analysis of efficacy and safety of new oral anticoagulants (dabigatran, rivaroxaban, apixaban) versus warfarin in patients with atrial fibrillation. Am J Cardiol 2012;110:453-60.
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- Chevalier P. Dabigatran et risque coronarien accru. Minerva online 28/04/2012.
- Pengo V, Crippa L, Falanga A, et al. Phase III studies on novel oral anticoagulants for stroke prevention in atrial fibrillation: a look beyond the excellent results. J Thromb Haemost 2012;10:1979-87.
- Lopes RD, Al-Khatib SM, Wallentin L, et al. Efficacy and safety of apixaban compared with warfarin according to patient risk of stroke and of bleeding in atrial fibrillation: a secondary analysis of a randomised controlled trial. Lancet 2012;380:1749-58.
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