Revue d'Evidence-Based Medicine
Stratégie thérapeutique ciblée pour la polyarthrite rhumatoïde
Minerva 2017 Volume 16 Numéro 2 Page 39 - 42
Professions de santé
Médecin généraliste, PharmacienContexte
L’étude BeSt, qui portait sur les stratégies de traitement dans la PR, a montré qu’un traitement initial combiné avec de la prednisone ou avec de l’infliximab apportait, après un an, une meilleure amélioration fonctionnelle et une plus grande diminution des lésions radiographiques articulaires que le traitement séquentiel et que la stratégie de combinaison additive (step up) (1). Les stratégies thérapeutiques évaluées étaient contrôlées et ciblées, c’est-à-dire que le traitement (combiné) initial était ajusté en fonction de l’activité de la maladie, qui était fréquemment évaluée, pour atteindre les objectifs préalablement fixés. Cette publication donne les résultats de cette approche après un suivi de 10 ans.
Résumé
Population étudiée
- 508 patients âgés de plus de 18 ans (âge moyen de 54 ans (ET 13 ans), environ 70% de femmes, ayant à l’inclusion, depuis moins de 2 ans (médiane de 23 semaines), des symptômes de polyarthrite rhumatoïde (PR) active selon les rapport aux chiffres initiaux et qu’une amélioration d’au moins 20% est observée pour trois des cinq critères suivants: vitesse de sédimentation ou CRP, score de maladie évalué par le chercheur, douleur estimée par le patient et score HAQ (Health Assessment Questionnaire) qui est un questionnaire sur les capacités fonctionnelles. La réponse ACR numérale (ACR-N) est la somme des pourcentages les plus bas parmi les critères ACR. Cette valeur varie entre 0 et 100%.">critères de l’American College of Rheumatology ; maladie active avec un score moyen de l’activité de la maladie (Disease Activity Score, DAS) de 4,4 et limitation des capacités fonctionnelles avec un HAQ (Health Assessment Questionnaire)" data-content="Ce score mesure les difficultés dans l’exécution des activités de la vie quotidienne. Le questionnaire est rempli par le patient lui-même. 8 domaines sont évalués, avec, pour chaque question, 4 réponses possibles. La note 0 correspond à « Sans aucune difficulté », et la note 3, à « Incapable de le faire ». Le total est divisé par 8, ce qui donne un score compris entre 0 et 3 et appelé « indice d’handicap fonctionnel ».">score moyen au questionnaire d’évaluation de la santé (Health Assessment Questionnaire, HAQ) de 1,4. Recrutement dans 2 hôpitaux universitaires et dans 18 hôpitaux non universitaires des Pays-Bas
- critères d’exclusion : traitement de fond antérieur, pathologie maligne au cours des 5 dernières années, hypoplasie de la moelle osseuse, grossesse ou désir de grossesse, diabète sucré non contrôlé, insuffisance hépatique ou rénale, consommation abusive d’alcool ou de substances.
Protocole de l’étude
Étude contrôlée, randomisée, en protocole ouvert
- avec 4 bras d’étude
- monothérapie séquentielle, débutant avec du méthotrexate (MTX)
- combinaison de traitements additifs (step up), débutant avec du MTX
- traitements combinés initiaux avec MTX, sulfasalazine et prednisone
- traitements combinés initiaux avec MTX et infliximab
- pour chaque stratégie, le protocole prévoyait des ajustements du traitement basés sur l’activité de la maladie, mesurée au cours de consultations trimestrielles : le médicament était modifié ou la dose était augmentée en cas de DAS > 2,4 ; le médicament était progressivement diminué en cas de DAS ≤ 2,4 pendant ≥ 6 mois, et il était arrêté en cas de DAS ≤ 1,6 pendant ≥ 6 mois
- suivi de 10 ans avec visites trimestrielles pour vérifier le statut fonctionnel, effectuer des analyses de laboratoire et enregistrer les effets indésirables et avec radiographie annuelle des mains et des pieds.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : différence quant aux capacités fonctionnelles physiques mesurées à l’aide du score HAQ pendant un suivi de 10 ans ; différence quant à l’augmentation par rapport aux valeurs initiales des lésions radiographiques articulaires des mains et des pieds mesurées à l’aide du score modifié de Sharp-Van der Heijde (SHS) après 10 ans de suivi
- critères de jugement secondaires : délai de réponse (DAS ≤ 2,4), incidence des effets indésirables et des effets indésirables graves (tels qu’une affection engageant le pronostic vital, le décès, une pathologie maligne, une hospitalisation, une malformation congénitale), taux de mortalité standardisé par rapport à la population générale
- analyse en intention de traiter et analyse par protocole.
Résultats
- sorties d’étude : 38%
- critères de jugement primaires
- pendant le suivi de 10 ans, aucune différence quant au score HAQ entre les 4 stratégies de traitement (p < 0,12) ; après une diminution au cours de la première année (1), le score HAQ est resté stable durant la suite du suivi
- après 10 ans de suivi, aucune différence quant aux lésions radiographiques entre les 4 stratégies de traitement (p = 0,085 ; p = 0,061 ; p > 0,10 pour les différentes comparaisons) ; le score SHS a augmenté avec une médiane de 1,5 (écart interquartile 0,0 à 6,0) à 3 (écart interquartile 0,3 à 11,13)
- critères de jugement secondaires
- uniquement au cours de la première année, réponse plus importante dans les groupes recevant un traitement combiné initial (DAS < 2,4) (1). Après 10 ans, DAS ≤ 2,4 (p = 0,72 pour la différence) chez respectivement 84%, 77%, 83% et 84% et un DAS ≤ 1,6 (p = 0,94 pour la différence) chez respectivement 51%, 49%, 53% et 53%
- au cours d’un suivi de 10 ans, aucune différence constatée quant aux effets indésirables (p = 0,159), ni quant aux effets indésirables graves (p = 0,47) entre les 4 stratégies de traitement
- aucune différence (p = 0,81) entre les stratégies de traitement quant au taux de mortalité versus la population générale (1,16 avec IC à 95% de 0,92 à 1,46).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, chez les patients atteints d’une polyarthrite rhumatoïde récente, un traitement combiné initial (provisoire) résulte en une amélioration clinique plus rapide et qu’un traitement ciblé est déterminant pour des résultats à long terme. Une rémission sans médicaments avec prévention de la détérioration des capacités fonctionnelles et des lésions radiographiques cliniquement pertinentes et une survie normale sont des critères de jugement réalistes.
Financement de l’étude
Nederlands College van Zorgverzekeraars, Schering-Plough et Janssen.
Conflits d’intérêts des auteurs
Les promoteurs n’étaient impliqués ni dans la conception de l’étude, ni dans le suivi, ni dans la collecte et l’analyse des données ni dans la publication.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude contrôlée, randomisée, en protocole ouvert, a pour objectif d’arriver à bien contrôler la maladie inflammatoire chez un maximum de patients. On a comparé différentes stratégies de traitement, qui pouvaient être ajustées pendant le suivi. Pour la pratique de tous les jours, cette conception est beaucoup plus pertinente qu’une étude contrôlée, randomisée, menée en double aveugle où l’on compare 2 traitements sans que des ajustements des traitements ne soient autorisés lors du suivi.
Les capacités fonctionnelles et les lésions radiographiques articulaires ont été mesurées avec des instruments de mesure validés. Les infirmières de l’étude, formées spécifiquement, qui ont assuré le suivi l’ont fait en aveugle en ce qui concerne le bras d’étude. Les radiographies ont également été évaluées en aveugle par 2 radiologues travaillant indépendamment l’un de l’autre. Le valeur kappa est un indicateur qui exprime la correspondance entre deux ou plusieurs observateurs ou entre différentes observations d’un seul observateur, appelées respectivement la variation inter-observateurs et la variation intra-observateur. Pour obtenir la valeur kappa, on calcule d’abord la correspondance observée (O) entre les chercheurs et ensuite la correspondance attendue sur base du hasard (A) entre les chercheurs. La valeur kappa est égale au rapport entre la correspondance réelle moins la correspondance attendue sur le complément à un de la correspondance attendue : (O-A) / (1-A). Une valeur kappa égale à 1 représente une correspondance parfaite. Une valeur kappa égale à 0 indique que la correspondance n’est pas meilleure que celle que l’on pourrait avoir sur base du seul hasard. Une valeur < 0,5 est mauvaise ; une valeur de 0,5 à 0,8 représente une bonne correspondance et une valeur > 0,8 une excellente correspondance.">coefficient inter-observateur entre les 2 radiologues indépendants était de 0,96 (avec IC à 95% de 0,95 à 0,97). Pour l’analyse du score HAQ, un modèle linéaire d’effets mixtes a été utilisé à juste titre (2). La proportion de sorties d’étude était de 38%. Les patients qui ont quitté l’étude étaient plus âgés, et leur score HAQ était plus élevé, ce qui peut avoir entraîné une surestimation de l’effet thérapeutique. La proportion de sorties d’étude était en outre plus faible pour les traitements combinés initiaux avec MTX et infliximab (p < 0,031), et ce déséquilibre peut aussi avoir faussé les résultats.
Interprétation des résultats
Cette publication de l’étude BeSt montre que l’application d’une stratégie thérapeutique ciblée avec ajustements trimestriels des traitements, pour maintenir l’activité de la maladie sous un niveau prédéfini résulte, après 10 ans, en une inhibition continue de l’activité de la maladie (environ 50% de rémission et 80% de diminution de l’activité de la maladie), ainsi qu’en une diminution de la progression radiologique et de la perte fonctionnelle. La réussite d’une telle approche avait déjà été montrée dans l’étude TICORA (TIght Control for Rheumatoid Arthritis) (3). Dans cette étude, le traitement ciblant un DAS ≤ 2,4 s’est avéré supérieur au traitement de routine qui ne tenait pas compte de l’activité de la maladie. Cette approche permettrait donc, en cas de polyarthrite rhumatoïde, d’éviter l’évolution vers la destruction des articulations, la limitation et le handicap, évolution qui, jusqu’à ce jour, paraissait inéluctable. Ceci est de surcroît possible sans augmentation des effets indésirables (même graves). La survie des patients pourrait en outre se normaliser grâce à cette stratégie. Par analogie, l’étude NEO-RACo (4) et l’étude CAMERA (5) ont également montré qu’arriver à une faible activité de la maladie est un critère de jugement réaliste.
La comparaison entre les groupes montre également qu’au stade initial de la maladie, les biothérapies, telles que les anti-TNF, n’offrent que peu d’avantages. Cette observation a été confirmée par une récente méta-analyse (6). Pour maintenir l’activité initiale de la maladie sous contrôle, il s’est avéré qu’une combinaison thérapeutique de méthotrexate et d’un traitement de fond « classique » ne différait pas de manière statistiquement significative d’une combinaison thérapeutique de méthotrexate et d’un traitement de fond « biologique ». Une recherche plus approfondie est cependant encore nécessaire pour déterminer à quel moment et chez quels patients il serait quand même utile de recourir à une biothérapie à un stade précoce. En pratique courante, les marqueurs pronostiques classiques, tels que le facteur rhumatoïde, les anticorps anti-CCP, les marqueurs génétiques… ne sont actuellement pas utiles pour cela (7). L’étude flamande CareRA (8) a montré qu’un traitement initial combiné avec du méthotrexate et, temporairement, des glucocorticoïdes oraux (à action rapide) (30 mg de prednisone par jour, à réduire sur 5 semaines pour atteindre 5 mg par jour, et à arrêter après 28 semaines) apportait 70% de rémission clinique après un an avec peu de perte fonctionnelle et peu de lésions radiographiques. Ce résultat valait autant pour les patients ayant des bons marqueurs pronostiques « classiques » que chez ceux ayant des marqueurs pronostiques mauvais.
Conclusion de Minerva
Cette étude contrôlée, randomisée, en protocole ouvert, montre que, chez les patients récemment atteints d’une polyarthrite rhumatoïde, un traitement ciblé entraîne, après 10 ans, une diminution de l’activité de la maladie tout en évitant la perte des capacités fonctionnelles et les lésions radiographiques articulaires. Ce résultat est indépendant du traitement (combiné) instauré initialement.
Pour la pratique
Le diagnostic et l’instauration du traitement de la polyarthrite rhumatoïde sont conjointement posés par le médecin généraliste et le rhumatologue (9,10). La concertation avec le patient doit également être un élément central (10). Le but du traitement est de réduire l’activité de la maladie et, éventuellement, d’obtenir une rémission (9,10). Le récent guide de pratique clinique européen recommande, dans la phase initiale de la maladie, de prescrire du méthotrexate associé aux glucocorticoïdes (pendant moins de 6 mois) (10). Plusieurs études avaient déjà montré l’importance des glucocorticoïdes (11-13). En cas de résultat insuffisant, d’autres traitements de fond classiques ou biologiques peuvent être ajoutés au traitement (10). Si le patient reste asymptomatique, il est possible de diminuer la dose d’un médicament donné ou de réduire le nombre de médicaments de l’association thérapeutique, tandis que l’on surveille l’activité de la maladie. La présente étude étaye l’importance de cette stratégie thérapeutique ciblée. A cet effet, un diagnostic rapide et l’instauration du traitement constituent toujours un défi important (14). L’application de cette stratégie n’est certainement pas encore uniforme, mais les obstacles à franchir ont été identifiés pour améliorer la situation (15). Pour une réussite optimale de cette stratégie, il est en outre essentiel de mieux comprendre le patient au stade initial de la maladie (16).
Dénomination du médicament
- Infliximab = Inflectra®, Remicade®, Remsima®
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