Revue d'Evidence-Based Medicine



Les exercices physiques durant la grossesse protègent contre l’hypertension artérielle gravidique



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 4 Page 100 - 103

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Sage-femme

Analyse de
Barakat R, Pelaez M, Cordero Y, et al. Exercise during pregnancy protects against hypertension and macrosomia: randomized clinical trial. Am J Obstet Gynecol 2016;214:649.e1-8. DOI: 10.1016/j.ajog.2015.11.039


Question clinique
Quel est l’effet d’un programme d’exercices sous supervision, versus un accompagnement standard, sur le développement de l’hypertension artérielle gravidique chez les femmes enceintes ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée de qualité moyenne montre que la pratique d’exercices physiques ou d’un sport durant une grossesse non compliquée peut contribuer, sans risque d’accouchement prématuré, à la prévention de l’hypertension artérielle gravidique. En outre, il y aurait aussi une incidence plus faible de prise de poids excessive chez la mère ainsi que de diabète gravidique et de prééclampsie. L’intervention a également apporté une protection contre la macrosomie. La faisabilité d’un tel programme intensif d’exercices peut cependant être mise en doute.


Contexte

La prévalence de l’hypertension artérielle gravidique peut atteindre 10% (1). Ce chiffre est variable en fonction de la population étudiée et des critères utilisés pour poser le diagnostic (2). Une étude d’observation a montré que le risque d’hypertension artérielle est accru en cas d’obésité préexistante ou de prise de poids excessive durant la grossesse (3). L’hypertension artérielle gravidique est elle-même associée à la prééclampsie (4), à la macrosomie (> 4000 g) et au faible poids de naissance (< 2500 g) (5). Une étude de cohorte à grande échelle suggère que la participation à une activité physique régulière diminue le risque de développement d’une hypertension artérielle gravidique (6).

 

Résumé

Population étudiée

  • 840 femmes, de phénotype caucasien, enceintes, parlant espagnol, âgées en moyenne de 32 ans, ayant un IMC moyen de 23,5 kg/m² et une pression artérielle moyenne de 114/68 mmHg ; il s’agissait d’une grossesse unique non compliquée, sans antécédents ni risque d’accouchement prématuré ; primipare pour 60% des femmes, et deuxième grossesse pour 30%; recrutement dans un centre de soins de première ligne
  • critères d’exclusion : diabète de type 1, diabète de type 2 ou diabète gravidique, femme prévoyant de ne pas accoucher dans le même hôpital, absence de suivi pendant la grossesse, affection médicale grave ne permettant pas de faire de la gymnastique médicale sans danger.

 

Protocole de l’étude

  • étude randomisée contrôlée avec deux groupes en parallèle :
    • gymnastique médicale (n = 420) : séances d’exercices de 50 à 55 minutes, 3 fois par semaine, depuis la semaine 9-11 jusqu’à la semaine 38-39 de la grossesse (85 séances d’exercices prévues en moyenne) ; comportant des exercices de type aérobie, de l’aérobic, des exercices de force et des exercices de souplesse ; effectués à une fréquence cardiaque auto-contrôlée < 70% du maximum calculé pour l’âge ; toujours précédés d’une période d’échauffement (promenade et exercices légers d’étirement des groupes musculaires les plus importants) et clôturés par une période de récupération (relaxation et musculation du périnée) de chaque fois 10 à 12 minutes ; supervisés par un spécialiste en fitness qualifié et un gynécologue
    • prise en charge habituelle (n = 420) : conseils généraux concernant les effets favorables de l’activité physique pendant les consultations prévues chez les prestataires de soins ; questionnaire sur l’activité physique administré par téléphone à raison d’une fois par trimestre, suivi par l’exclusion si des exercices étaient effectuées ≥ 3 jours par semaine pendant ≥ 20 minutes par jour
  •  suivi : relevé du poids et de la pression artérielle lors de chaque visite chez le gynécologue.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de femmes ayant développé une hypertension artérielle (TA ≥ 140/90 mmHg) durant la grossesse
  • critères de jugement secondaires : prise de poids excessive pendant la grossesse (> 18 kg en cas de poids inférieur à la normale, > 16 kg en cas de poids normal, > 11,5 kg en cas de surcharge pondérale, > 9 kg en cas d’obésité avant la grossesse), diabète gravidique, poids de naissance du bébé (macrosomie si > 4000 g ; faible poids si < 2500 g)
  • test du Chi² et test-t pour déterminer les différences entre les deux groupes.

 

Résultats

  • sorties de l’étude : 38 participantes du groupe gymnastique médicale et 37 du groupe contrôle
  • versus le groupe contrôle, l’incidence de l’hypertension artérielle était plus faible dans le groupe gymnastique médicale, et ce de manière statistiquement significative (5,7% vs 2,1% ; p = 0,009), de même que l’incidence de la prise de poids excessive (34,2% vs 26,4% ; p = 0,03), celle du diabète gravidique (5,5% vs 2,4% p = 0,03) et celle de la prééclampsie (2,3% vs 0,5% p = 0,03) , tout comme l’incidence de la macrosomie (4,7% vs 1,8% p = 0,03)
  • il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le groupe contrôle et le groupe gymnastique médicale pour ce qui concerne la durée de la grossesse, le type d’accouchement, le poids de naissance du bébé, les nouveau-nés de faible poids, les bébés petits pour l’âge gestationnel, le périmètre crânien, le score d’Apgar et le pH du sang du cordon ombilical.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la gymnastique médicale pendant la grossesse pourrait prévenir l’hypertension artérielle et la prise de poids excessive durant la grossesse, ainsi que maîtriser le poids de naissance du bébé, ce qui fait que la comorbidité liée au risque de maladie chronique pourrait être réduite.

 

Financement de l’étude

Le travail a été partiellement financé par le programme AL14-PID-39 et AL15-PID-06 de l’Université polytechnique de Madrid, Espagne.

 

Conflits dintérêts des auteurs

Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêts.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est une étude contrôlée randomisée, dont l’évaluation de l’effet a été réalisée en aveugle. La randomisation a été effectuée correctement, avec préservation du secret d'attribution (concealment of allocation). L’intervention est décrite de manière très claire. En moyenne, 85 séances d’exercices par participante enceinte ont été prévues. Le degré de participation n’est pas mentionné dans les résultats. Le nombre de sorties d’étude était cependant très faible, sans différence entre le groupe gymnastique médicale et le groupe contrôle. Pour éviter les sorties d’étude, toutes les séances d’exercices se déroulaient en musique dans une pièce bien éclairée et bien aérée de l’hôpital. Les auteurs restent très vagues sur les conseils généraux qui étaient donnés à propos des effets positifs de l’activité physique pendant la grossesse. En outre, ils parlent de « prestataires de soins » et non pas spécifiquement d’un médecin ou d’un gynécologue pour le groupe contrôle. De plus, le nombre de consultations prévues durant le suivi n’est pas mentionné. La possibilité d’exclure des femmes du groupe contrôle après la randomisation pour « excès d’activité » est méthodologiquement incorrecte. Heureusement, aucune femme n’a été exclue de l’étude pour ce motif et ce critère d’exclusion post randomisation n’a ainsi eu aucune incidence sur les résultats.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude montrent qu’une intervention de gymnastique médicale entamée précocement et bien suivie réduit l’incidence de l’hypertension artérielle gravidique (critère de jugement primaire). Il est intéressant de noter que l’on a aussi observé une diminution d’autres critères de jugement intermédiaires, tels que la prise de poids excessive, ainsi que des critères de jugement péjoratifs, tels que l’incidence de la prééclampsie et du diabète gravidique même si aucune conclusion définitive ne peut être tirée puisqu’il s’agit de critères de jugement secondaires.

Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2015 (49 RCTs, 11444 femmes) a examiné, chez des femmes enceintes, l’effet du régime alimentaire et/ou des exercices physiques sur la prévention de la prise de poids excessive (7). Outre une diminution statistiquement significative de 20% du risque de prise de poids excessive (niveau de preuves élevé), on a également observé une diminution statistiquement significative de 30% de l’hypertension gravidique (faible niveau de preuves), mais on n’a pas observé de diminution du risque de prééclampsie. Une synthèse méthodique de 6 études cas-témoins, de 10 études de cohorte et d’une RCT (réalisée en 2012) a toutefois suggéré un effet protecteur de l’activité physique dans la prévention de la prééclampsie (8) avec pour la RCT, une diminution statistiquement significative du programme d’exercices physiques versus la promenade (9).

Tout comme dans d’autres études (7,8,10,11), il n’y a pas d’effet négatif des exercices physiques sur la durée de la grossesse ou sur le poids de naissance du bébé. Au contraire, on a observé une diminution du nombre de nouveau-nés ayant un poids trop important (macrosomie) et une augmentation du nombre de bébés de poids de naissance normal. Tant les effets sur la mère que ceux sur le nouveau-né sont l’objet de 2 études en cours (12,13).

Les auteurs eux-mêmes reconnaissent qu’un des points faibles de leur étude est la difficulté d’une extrapolation à la pratique générale. Chaque séance d’exercices a en effet été supervisée par un expert en fitness et un gynécologue. En Belgique, il est impossible de mettre en œuvre cette intervention avec la kinésithérapie pratiquée en première ligne ou dans un centre de fitness local. L’INAMI prévoit un remboursement pour seulement 9 séances de kinésithérapie prénatales. La faisabilité d’un tel encadrement en milieu hospitalier n’est pas certaine non plus.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée de qualité moyenne montre que la pratique d’exercices physiques ou d’un sport durant une grossesse non compliquée peut contribuer, sans risque d’accouchement prématuré, à la prévention de l’hypertension artérielle gravidique. En outre, il y aurait aussi une incidence plus faible de prise de poids excessive chez la mère ainsi que de diabète gravidique et de prééclampsie. L’intervention a également apporté une protection contre la macrosomie. La faisabilité d’un tel programme intensif d’exercices peut cependant être mise en doute.

 

Pour la pratique

A côté d’une politique claire dès lors qu’une hypertension artérielle gravidique est constatée, les recommandations actuelles d’EBMPracticeNet ne donnent pas de conseils pour la prévention de l’hypertension artérielle gravidique (14). Peu de femmes font des exercices physiques pendant la grossesse, et, lorsqu’elles savent qu’elles sont enceintes, la grande majorité des femmes diminuent voire stoppent leur activité physique. Les résultats de cette étude peuvent soutenir le médecin généraliste dans ses conseils prénataux indiquant que l’activité physique est utile et sans danger durant une grossesse non compliquée, notamment sans risque d’accouchement prématuré. La préférence va aux exercices physiques modérés ou au sport en séances de 50 à 55 minutes trois fois par semaine (15).

 

 

Références 

  1. Mustafa R, Ahmed S, Gupta A, Venuto RC. A comprehensive review of hypertension in pregnancy. J Pregnancy 2012;2012:105918. DOI: 10.1155/2012/105918
  2. Hypertension in pregnancy. Report of the American College of Obstetricians and Gynecologists’ Task Force on Hypertension in Pregnancy. Obstet Gynecol 2013;122:1122-31. DOI: 10.1097/01.AOG.0000437382.03963.88
  3. O’Brien TE, Ray J, Chan WS. Maternal body mass index and the risk of preeclampsia: a systematic overview. Epidemiology 2003;14:368-74. DOI: 10.1097/01.EDE.0000059921.71494.D1
  4. Roberts JM, Lain KY. Recent insights into the pathogenesis of pre-eclampsia. Placenta 2002;23:359-72. DOI: 10.1053/plac.2002.0819
  5. He Y, Wen S, Tan H, et al. [Study on the influence of pregnancy-induced hypertension on neonatal birth weight and its interaction with other factors.] [Article in Chinese] Zhonghua Liu Xing Bing Xue Za Zhi 2014;35:397-400. DOI: 10.3760/cma.j.issn.0254-6450.2014.04.012
  6. Martin CL, Brunner Huber LR. Physical activity and hypertensive complications during pregnancy: findings from 2004 to 2006 North Carolina Pregnancy Risk Assessment Monitoring System. Birth 2010;37:202-10. DOI: 10.1111/j.1523-536X.2010.00407.x
  7. Muktabhant B, Lawrie TA, Lumbiganon P, Laopaiboon M. Diet or exercise, or both, for preventing excessive weight gain in pregnancy. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD007145.pub3
  8. Kasawara KT, do Nascimento SL, Costa ML, et al. Exercise and physical activity in the prevention of pre-eclampsia: systematic review. Acta Obstet Gynecol Scand 2012;91:1147-57. DOI: 10.1111/j.1600-0412.2012.01483.x
  9. Yeo S, Davidge ST, Ronis DL, et al. A comparison of walking versus stretching exercise to reduce the incidence of preeclampsia: a randomized clinical trial. Hypertens Pregnancy 2008;27:113-30. DOI: 10.1080/10641950701826778
  10. Tinloy J, Chuang C, Zhu J, et al. Exercise during pregnancy and risk of late preterm birth, cesarean delivery, and hospitalizations. Womens Health Issues 2014;24:e99-e104. DOI: 10.1016/j.whi.2013.11.003
  11. Nascimento S, Surita F, Cecatti J. Physical exercise during pregnancy: a systematic review. Curr Opin Obstet Gynecol 2012;24:387-94. DOI: 10.1097/GCO.0b013e328359f131
  12. Moyer C, Livingston J, Fang X, May LE. Influence of exercise mode on pregnancy outcomes: ENHANCED by Mom project. BMC Pregnancy Childbirth 2015;15:133. DOI: 10.1186/s12884-015-0556-6
  13. Domingues MR, Bassani DG, da Silva SG, et al. Physical activity during pregnancy and maternal-child health (PAMELA): study protocol for a randomized controlled trial. Trials 2015;16:227. DOI: 10.1186/s13063-015-0749-3
  14. Grossesse et pression artérielle. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 02/04/2014. Dernière revue contextuelle: 02/04/2014.
  15. Lewis E. Exercise in pregnancy. Aust Fam Physician 2014;43:541-2.

 

 


Auteurs

Ailliet L.
chiropractor, Dutch Belgium Research Instituut Chiropractie
COI :

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