Revue d'Evidence-Based Medicine



Aides à la décision dans un processus de décision partagée entre médecin et patient (shared decision making)



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 6 Page 79 - 83

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Stacey D, Légaré F, Lewis K, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD001431.pub5


Question clinique
Quelle est l’influence des aides déterminantes dans le processus de décision concernant les traitements et les examens de dépistage ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées, contrôlées, qui a été menée correctement, montre que les aides à la décision assurent une meilleure information des patients, une meilleure connaissance de leurs valeurs et de leurs préférences (preuve de qualité élevée). Elle montre aussi que les aides à la décision peuvent garantir un rôle plus actif des patients lors de la prise de décision et une meilleure évaluation par les patients des risques réels des différentes options stratégiques (preuve de qualité moyenne). Les résultats de cette synthèse méthodique ne permettent toutefois pas de se prononcer sur le type d’aide à la décision qui est le plus efficace ou dans quel contexte on obtient le meilleur résultat.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Une prise de décision partagée entre médecin et patient est particulièrement pertinente et actuelle, en Flandre également. Les aides à la décision peuvent constituer un dispositif important pour soutenir les patients dans ce processus décisionnel complexe. Il en existe de plusieurs formes et en différents formats. Les sites Internet www.mongeneraliste.be, www.gezondheidenwetenschap.be et www.thuisarts.nl sont des sources d’informations en français et en néerlandais qui peuvent aider lors de la prise de décision, mais on n’y trouve pas d’aides à la décision à proprement parler. Via la Cebam Digital Library for Health (www.cdlh.be), on a accès à la base de données Dynamed Plus. Pour différents sujets, tels que le dépistage du cancer de la prostate, différentes aides à la décision EBSCO Health Option Grids® sont proposées ici en anglais. La présente synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration étaye l’importance de la poursuite du développement des aides à la décision dans le processus décisionnel concernant la santé.



Contexte

Pour formuler des recommandations, les développeurs de guides de pratique clinique s’appuient sur une évaluation approfondie des faits probants scientifiques disponibles, et ils pèsent les avantages et les inconvénients des différentes options stratégiques. Certaines recommandations sont fortes parce que les avantages dépassent nettement les inconvénients. Le rapport entre les avantages et les inconvénients des différentes options stratégiques est rarement aussi évident, et les développeurs de guides de pratique clinique doivent plutôt formuler des recommandations conditionnelles. On attend alors du médecin qu’il présente de manière compréhensible les différents arguments pour et contre au patient en vue d’une prise de décision partagée (shared decision making, SDM). La prise de décision partagée est universellement reconnue comme un principe de base des services médicaux de qualité (1-4). Cette approche nécessite non seulement un changement de culture parmi les prestataires de soins, mais aussi le développement d’aides à la décision qui soutiennent les patients lorsqu’ils doivent choisir entre des options stratégiques concernant leur santé (5). Toutes les aides à la décision donnent des informations factuelles concernant les problèmes de santé, les options stratégiques, les avantages et les inconvénients associés, les chances et les incertitudes scientifiques. Toutes ont également ceci en commun qu’elles mentionnent explicitement la décision à prendre en matière de stratégie et qu’elles aident les patients à peser eux-mêmes les avantages et les inconvénients associés à une décision donnée, sans pour autant leur imposer une option déterminée.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyses

 

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (jusqu’au 24 avril 2015), MEDLINE Ovid (de 1966 au 24 avril 2015), Embase Ovid (de 1980 au 24 avril 2015), PsycINFO Ovid (de 1806 au 24 avril 2015), CINAHL Ovid et Ebsco (de 1982 au 24 avril 2015)
  • WHO trial register, ClinicalTrials.gov, Google Scholar et Google, Decision Aid Library Inventory.

 

Études sélectionnées

  • études randomisées, contrôlées comparant une aide à la décision pour les patients avec la prise en charge habituelle, les informations générales, un placebo ou une absence d’intervention
  • exclusion des études portant sur des modifications du mode de vie, sur des programmes d’éducation qui ne visaient pas une décision spécifique, sur des interventions visant à accroître l’observance du traitement ; ont également été exclues les études dans lesquelles les participants devaient faire un choix hypothétique suivant une étude de cas ainsi que les études qui comparaient deux aides à la décision
  • au total, 105 études ont été incluses.

 

Population étudiée

  • adultes âgés d’au moins 18 ans qui devaient prendre une décision concernant une option de dépistage ou de traitement pour eux-mêmes, pour un enfant ou pour une personne incapable
  • au total, 31043 patients ont été inclus.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • basés sur les critères IPDAS (International Patient Decision Aids Standards) :
      • connaissance, bonne évaluation des risques, choix d’une option en harmonie avec les valeurs du patient informé
      • conscience qu’un choix doit être posé, sentiment d’être informé, description des principales caractéristiques des options, discussion des valeurs avec le médecin, implication dans la prise de décision
    • autres critères : conflit de décision, communication entre le médecin et le patient, participation à la prise de décision, part d’indécision, satisfaction avec le choix, le processus décisionnel et la préparation à la prise de décision
  • critères de jugement secondaires :
    • comportement : tant le choix lui-même que le respect de l’option choisie
    • critères de santé : statut de santé et qualité de vie, anxiété, dépression, détresse émotionnelle, regret, confiance
    • système des soins de santé : coûts et rentabilité, durée de la consultation, taux de litiges.

 

Résultats

  • résultats des critères de jugement primaires (voir tableau 1) :
    • versus groupe contrôle, les patients qui disposaient d’une aide à la décision avaient un meilleur score en termes de connaissances, et ce de manière statistiquement significative, et deux fois plus de patients évaluaient correctement les risques et/ou posaient un choix qui correspondait à leurs valeurs
    • versus groupe contrôle, les patients qui disposaient d’une aide à la décision se sentaient mieux informés, et ce de manière statistiquement significative, et ils avaient une vision plus claire de leurs valeurs
    • versus groupe contrôle, il y avait, dans le groupe de patients qui disposaient d’une aide à la décision, environ deux fois moins de décisions prises unilatéralement par le médecin

 

 

Tableau 1. Critères de jugement primaires entre le groupe contrôle et le groupe avec aide à la décision.

 

Critère de jugement

Comparaison entre

Effet relatif (IC à 95%)

Nombre de participants (études ; I²)

Qualité de la preuve (GRADE)

groupe contrôle

groupe avec aide à la décision

Score de connaissances (standardisé de 0 (aucune connaissance) à 100 (connaissance parfaite), peu de temps après l’utilisation de l’aide à la décision)

Score moyen 56,9 (IC à 95% de 27,0 à 85,2)

Score moyen

13,27 plus élevé (IC à 95% de 11,32 à 15,23%)

-

13316 (52 ; I² = 93%)

Elevée

Evaluation correcte des risques (peu de temps après l’utilisation de l’aide à la décision)

269 sur 1000

565 sur 1000 (447 à 716 sur 1000)

RR 2,10 (IC à 95% de 1,66 à 2,66)

5096 (17 ; I² = 89%)

Modérée

Choix en harmonie avec les valeurs (peu de temps après l’utilisation de l’aide à la décision)

289 sur 1000

595 sur 1000 (422 à 841 sur 1000)

RR 2,06 (IC à 95% de 1,46 à -2,91)

4626 (10 ; I² = 95%)

Faible

Conflit de décision : sous-échelle insuffisamment informé (standardisé de 0 (informé) à 100 (non informé), peu de temps après l’utilisation de l’aide à la décision)

Score moyen de 11,1 à 61,1

Score moyen 9,28 plus faible (IC à 95% de 12,20 à 6,36)

-

5707 (27 ; I² = 89%)

Elevée

Conflit de décision : sous-échelle incertitude concernant les valeurs propres (standardisé de 0 (pas d’incertitude) à 100 (incertitude), peu de temps après l’utilisation de l’aide à la décision)

Score moyen de 15,5 à 53,2

Score moyen 8,81 plus faible (IC à 95% de 11,99 à -5,63)

-

5068 (23 ; I² = 92%)

Elevée

Proportion de décisions contrôlées par le médecin

228 sur 1000

155 sur 1000 (125 à 189 sur 1000)

RR 0,68 (IC à 95% de 0,55 à 0,83)

3810 (16 études ;  I² = 36%)

Modérée

 

  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • le nombre de décisions pour une intervention chirurgicale majeure non urgente a diminué avec les aides à la décision, versus prise en charge habituelle (RR 0,84 avec IC à 95% de 0,73 à 0,97 ; n = 3 108 ; N = 17 études ; I² = 66%), après exclusion d’une étude portant sur la mastectomie prophylactique
    • le nombre de décisions pour le dépistage du cancer de la prostate a diminué avec les aides à la décision, versus prise en charge habituelle (RR 0,88 avec IC à 95% de 0,80 à 0,98 ; n = 3 996 ; N = 10 études ; I² = 58%), mais pas le nombre de décisions pour le dépistage du cancer du côlon (n = 4 529 ; N = 10 études)
    • le nombre de diabétiques choisissant de débuter un nouveau traitement a augmenté avec les aides à la décision, versus la prise en charge habituelle (RR 1,65 avec IC à 95% de 1,06 à 2,56 ; n = 447 ; N = 4 études ; I² = 0%)
    • les consultations duraient plus longtemps avec l’utilisation des aides à la décision pendant la consultation : médiane 2,6 minutes (IQR -0,4 à +23)
    • aucune étude n’a rapporté d’effets indésirables associés à l’utilisation des aides à la décision.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que versus prise en charge normale, les patients qui peuvent disposer d’aides à la décision pour différentes décisions stratégiques disposent de plus de connaissances, se sentent mieux informés et ont une meilleure idée de leurs valeurs et de leurs préférences. Il est probable que les aides à la décision assurent aux patients un rôle plus actif dans la prise de décision et leur permet de mieux évaluer les risques. En outre, il existe de plus en plus de preuves que les aides à la décision permettent d’opérer un choix plus en harmonie avec les valeurs. Il n’y a aucun effet indésirable en termes de santé et de satisfaction. Une recherche plus poussée est nécessaire pour connaître l’influence des aides à la décision sur l’observance de l’option choisie, la rentabilité et l’utilisation des aides à la décision chez les personnes moins éduquées.

 

Financement de l’étude

L’Université d’Ottawa, Canada, et l’Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa ; pas d’autres sources (externes) de financement.

 

Conflits dintérêts des auteurs

La plupart des auteurs étaient impliqués dans les études randomisées contrôlées incluses dans cette synthèse méthodique. Il n’était pourtant pas permis que les auteurs effectuent une évaluation méthodologique de leurs propres études. Plusieurs auteurs ont également été impliqués dans la rédaction des critères IPDAS et ont reçu une rémunération à ce titre.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration, qui a été conçue de manière rigoureuse, a examiné l’effet des aides à la décision pour le dépistage et le traitement. Elle a été menée suivant un protocole préalablement déterminé, et les résultats ont été rapportés suivant les lignes directrices PRISMA. Par comparaison avec d’autres synthèses méthodiques portant sur des interventions complexes, il y avait très peu d’études avec un risque élevé de biais. C’est un peu étonnant car l’intervention examinée n’était en aveugle ni pour le prestataire de soins ni pour le patient, et il s’agissait le plus souvent de critères de jugement subjectifs. Pour la plupart des 40 critères de jugement différents, la qualité de la preuve était faible à très faible. Cinq des six critères de jugement primaires avaient une qualité de preuve de niveau modéré à élevé selon GRADE. Les auteurs ont décidé de ne pas tenir compte de l’hétérogénéité statistique des résultats parce qu’elle se limitait à l’ampleur de l’effet et ne concernait pas la direction de l’effet (les résultats étaient les mêmes). Or l’importante hétérogénéité statistique est probablement bien le reflet d’une importante hétérogénéité clinique comme conséquence d’une grande diversité quant aux aides à la décision et aux situations dans lesquelles elles sont utilisées. Il est donc difficile d’interpréter correctement les effets sommés. Les critères de jugement examinés étaient presque tous des critères d’évaluation du processus. Il n’y avait aucune étude rapportant des critères de jugement cliniques.

 

Interprétation des résultats

Les résultats montrent que les aides à la décision ont une influence favorable sur la prise de décision partagée et qu’elles permettent aux patients non seulement de prendre des décisions en étant mieux informés et en disposant de plus de connaissances, mais aussi de poser des choix plus en harmonie avec leurs valeurs et leurs préférences. Pour la plupart des critères de jugement primaires, l’ampleur absolue de l’effetest modérée à élevée. Ainsi, les aides à la décision ont doublé le nombre de patients avec une évaluation correcte des risques associés aux différents choix possibles (de 25% à plus de 50%). De plus, le nombre de patients qui ont fait un choix correspondant à leurs valeurs et à leurs préférences a augmenté d’environ 30% à plus de 50%. En outre, avec les aides à la décision, les patients renoncent aux interventions chirurgicales majeures non urgentes. Les patients ont également moins choisi le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA, mais il n’y a pas eu d’influence sur le choix du dépistage du cancer du côlon, du dépistage du cancer du sein d’origine génétique et du dépistage prénatal. L’utilisation des aides à la décision était toutefois associée à une augmentation de la durée des consultations de près de 3 minutes.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées, contrôlées, qui a été menée correctement, montre que les aides à la décision assurent une meilleure information des patients, une meilleure connaissance de leurs valeurs et de leurs préférences (preuve de qualité élevée). Elle montre aussi que les aides à la décision peuvent garantir un rôle plus actif des patients lors de la prise de décision et une meilleure évaluation par les patients des risques réels des différentes options stratégiques (preuve de qualité moyenne). Les résultats de cette synthèse méthodique ne permettent toutefois pas de se prononcer sur le type d’aide à la décision qui est le plus efficace ou dans quel contexte on obtient le meilleur résultat.

 

Pour la pratique

Une prise de décision partagée entre médecin et patient est particulièrement pertinente et actuelle, en Flandre également (6,7). Les aides à la décision peuvent constituer un dispositif important pour soutenir les patients dans ce processus décisionnel complexe. Il en existe de plusieurs formes et en différents formats. Les sites Internet www.mongeneraliste.be, www.gezondheidenwetenschap.be et www.thuisarts.nl sont des sources d’informations en français et en néerlandais qui peuvent aider lors de la prise de décision, mais on n’y trouve pas d’aides à la décision à proprement parler. Via la Cebam Digital Library for Health (www.cdlh.be), on a accès à la base de données Dynamed Plus. Pour différents sujets, tels que le dépistage du cancer de la prostate, différentes aides à la décision EBSCO Health Option Grids® sont proposées ici en anglais. La présente synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration étaye l’importance de la poursuite du développement des aides à la décision dans le processus décisionnel concernant la santé.

 

 

Références 

  1. Barry MJ, Edgman-Levitan S. Shared decision making - the pinnacle of patient-centered care. N Engl J Med 2012;366:780-1. DOI: 10.1056/NEJMp1109283
  2. Elwyn G, Frosch D, Thomson R, et al. Shared decision making: a model for clinical practice. J Gen Intern Med 2012;27:1361-7. DOI: 10.1007/s11606-012-2077-6
  3. Leng G, Clark CI, Brian K, Partridge G. National commitment to shared decision making. BMJ 2017;359:j4746. DOI: 10.1136/bmj.j4746
  4. Treweek S, Oxman AD, Alderson P, et al; DECIDE Consortium. Developing and evaluating communication strategies to support informed decisions and practice based on evidence (DECIDE): protocol and preliminary results. Implement Sci 2013;8:6. DOI: 10.1186/1748-5908-8-6
  5. O’Connor AM, Rostom A, Fiset V, et al. Decision aids for patients facing health treatment or screening decisions: systematic review. BMJ 1999;319:731-4. DOI: 10.1136/bmj.319.7212.731
  6. De patiënt/burger centraal. Tussentijds rapport. Agentschap Zorg & Gezondheid, 2016.
  7. Reorganisatie van de eerstelijnszorg in Vlaanderen: situering en veranderingstraject 2015-2019. Agentschap Zorg & Gezondheid, 2015.

 




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