Revue d'Evidence-Based Medicine



Rhinosinusite chronique avec polypes nasaux : traitement médicamenteux avec ou sans chirurgie endoscopique des sinus ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 230 - 233

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Lourijsen ES, Reitsma S, Vleming M, et al. Endoscopic sinus surgery with medical therapy versus medical therapy for chronic rhinosinusitis with nasal polyps: a multicentre, randomised, controlled trial. Lancet Respir Med 2022;10:337-46. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00457-4


Question clinique
Quel est l’effet de la chirurgie endoscopique des sinus associée à un traitement médicamenteux par rapport à un traitement médicamenteux seul chez des patients adultes atteints de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, pragmatique, menée en ouvert montre que la chirurgie endoscopique des sinus associée à un traitement médicamenteux, après 12 mois, est plus efficace que le traitement médicamenteux seul chez les patients atteints de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux qui ne répondent pas au traitement médicamenteux initial. L’effet n’atteint cependant pas le seuil de pertinence clinique prédéfini.


Contexte
La rhinosinusite chronique avec polypes nasaux est un phénotype particulier de rhinosinusite chronique ; sa prévalence est d’environ 2 à 4% en Europe (1). Le premier choix pour le traitement de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux est un traitement médicamenteux, comme des corticoïdes nasaux, des lavages au sérum physiologique ou de brèves cures de corticoïdes systémiques (2,3). Une synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a fait l’objet d’une discussion dans Minerva, a montré qu’une corticothérapie topique était plus efficace qu’un placebo pour le traitement de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux (4,5). La chirurgie endoscopique des sinus en association avec un traitement médicamenteux est réservée aux patients qui ne répondent pas à un traitement médicamenteux adéquat (2). Des études observationnelles suggèrent que l’ajout de la chirurgie endoscopique des sinus au traitement médicamenteux améliore significativement les symptômes et la qualité de vie liée à la santé (6,7). Cependant, le manque d’études randomisées contrôlées portant sur l’efficacité de la chirurgie endoscopique des sinus dans la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux empêche de tirer des conclusions fiables.


Résumé

Population étudiée

  • éligibilité de 371 patients ayant consulté la clinique ambulatoire d’oto-rhino-laryngologie de 15 hôpitaux (12 centres de deuxième ligne et 3 centres de troisième ligne) dans 11 villes des Pays-Bas entre le 15 février 2015 et le 27 août 2019 
  • critères d’inclusion : adultes de plus de 18 ans ayant une rhinosinusite chronique avec polypes nasaux chez qui une chirurgie endoscopique des sinus, première ou « de révision », était indiquée en raison de l’échec d’un traitement médicamenteux adéquat
  • critères d’exclusion : présence d’une maladie systémique affectant également le nez (telles que granulomatose avec polyangéite, sarcoïdose, dyskinésie ciliaire primitive, mucoviscidose), polype de Killian, papillome inversé, tumeur rhinosinusienne, nécessité absolue d’une intervention chirurgicale en raison de complications d’une maladie (comme un kyste mucoïde), contre-indications, indications de chirurgie, nécessité d’une intervention chirurgicale plus étendue, polypectomie sans ethmoïdectomie, utilisation continue de corticoïdes systémiques pour une pathologie autre que la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, utilisation continue de médicaments pouvant affecter la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux  (par exemple : d’autres médicaments immunosuppresseurs), grossesse, maladie mentale ou maladie systémique ou une autre intervention chirurgicale planifiée empêchant une participation adéquate à l’étude, utilisation de corticoïdes systémiques dans les 4 semaines précédant l’entrée dans l’étude, infection aiguë des voies respiratoires supérieures ou inférieures à l’entrée dans l’étude ou dans les 2 semaines précédant l’entrée dans l’étude
  • finalement, inclusion de 234 patients âgés en moyenne de 50,4 ans (écart-type de 12,7 ans), 61% étant de sexe masculin, avec un score moyen de 51,2 (écart-type de 20,0) à l’outil de mesure de la qualité de vie en cas d’atteinte rhinosinusienne (Sino-Nasal Outcome Test-22, SNOT-22).

 

Protocole d’étude
Étude randomisée contrôlée (RCT) multicentrique, pragmatique, menée en ouvert, à 2 bras (8) :

  • chirurgie endoscopique des sinus associée à un traitement médicamenteux (n = 121)
  • traitement médicamenteux uniquement (n = 117)
  • des visites de suivi étaient programmées à 3 mois, 6 mois, 12 mois, 18 mois et 24 mois après le début du traitement attribué. 

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : modification du SNOT-22 à 12 mois ; une différence de 9 points au SNOT-22 était considérée comme cliniquement pertinente
  • critères de jugement secondaires : EQ-5D-5L, score des polypes nasaux, statut endoscopique (score de Lund-Kennedy ajusté), symptômes nasaux de rhinosinusite chronique (mesurés sur une échelle visuelle analogique EVA de 0 à 100), contrôle de la rhinosinusite chronique, contrôle de l’asthme, odorat, perméabilité des voies respiratoires nasales, exacerbations de la rhinosinusite chronique ou de l’asthme (augmentation des symptômes nécessitant un traitement supplémentaire avec des antibiotiques ou des corticoïdes systémiques), effets indésirables ; mesuré à 3 mois, 6 mois et 12 mois
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • après 12 mois, le score SNOT-22 moyen avait diminué à 27,9 (ET 20,2) dans le groupe chirurgie endoscopique des sinus plus traitement médicamenteux et à 31,1 (ET 20,4) dans le groupe traitement médicamenteux uniquement ; différence moyenne ajustée (pour tenir compte du score à l’entrée dans l’étude et du centre de deuxième ou troisième ligne) de -4,9 (avec IC à 95% de -9,4 à -0,4) en faveur du groupe combinaison des traitements ; la différence minimale cliniquement importante de 9 points n’a pas été atteinte
  • après 12 mois, aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre les deux groupes quant à l’EQ-5D-5L
  • après 12 mois, un score de polypes nasaux de 0-4 a été observé chez 84% des patients du groupe combinaison des traitements contre 52% des patients du groupe traitement médicamenteux uniquement ; différence de risque non corrigée de 32,3% (avec IC à 95% de 19,9 à 44,7)
  • après 12 mois, un score endoscopique de Lund-Kennedy ajusté de 0-4 a été observé chez 54% des patients du groupe combinaison des traitements contre 39% des patients du groupe traitement médicamenteux uniquement ; différence de risque non corrigée de 14,6% (avec IC à 95% de 0,7 à 28,5)
  • à 12 mois, le groupe traitement combiné a obtenu de meilleurs résultats au score EVA pour les symptômes nasaux généraux (différence moyenne ajustée de -15,9 (avec IC à 95% de -24,0 à -7,8)) et obstruction nasale (-11,1 (avec IC à 95% de -19,2 à -3,1)), et il y avait 17,6% (avec IC à 95% de -31,2 à -4,0) de rhinosinusite chronique non contrôlée en moins
  • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant au nombre d’effets indésirables mineurs ; les plus fréquents étaient des épistaxis légères et des problèmes gastro-intestinaux.

 

Conclusion des auteurs 
La chirurgie endoscopique des sinus associée à un traitement médicamenteux est plus efficace que le traitement médicamenteux seul chez les patients atteints de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, bien que la différence minimale cliniquement relevante n’ait pas été atteinte. Des données de suivi à long terme sont nécessaires pour déterminer si cet effet se maintient. Les résultats de cette étude peuvent constituer une base pour l’élaboration ultérieure de guides de pratique clinique basés sur des preuves.

 

Financement de l’étude
L’étude a été financée par l’organisation des Pays-Bas pour la recherche et le développement en matière de santé (ZonMw).

 

Conflits d’intérêt des auteurs  
Des conflits d’intérêt potentiels ont été mentionnés pour deux auteurs, mais aucun conflit d’intérêt important n’a été identifié. Aucun des autres auteurs ne mentionne de conflits d’intérêt.


Discussion

Évaluation de la méthodologie
Les critères d’exclusion de cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique sont clairement définis. Les critères d’inclusion utilisent comme indication pour la chirurgie endoscopique des sinus « l’échec d’un traitement médicamenteux adéquat », mais aucune description spécifique n’en est donnée. La randomisation a été effectuée par ordinateur en blocs de 6 patients, et la stratification, en fonction du centre d’étude ; les groupes formés sont comparables. En raison de la nature de l’intervention, ni l’équipe de l’étude, ni les ORL, ni les patients ne pouvaient être mis en aveugle. Le calcul de la puissance tenait compte d’un taux d’abandon de l’étude de 10%, mais pas des croisements allant jusqu’à 20% dans le groupe traitement médicamenteux uniquement. Ce pourcentage élevé de croisements s’explique par le fait qu’il s’agit d’une étude pragmatique. Cependant, il n’y avait pas de différences statistiquement significatives quant au SNOT-22 à l’entrée dans l’étude ou à 12 mois de suivi entre les patients du groupe traitement médicamenteux qui ont été traités selon le protocole et ceux qui ont effectué un croisement. 

 

Évaluation des résultats de l’étude
Malgré un important pourcentage de croisements, l’analyse en intention de traiter a montré que le groupe traitement médicamenteux plus chirurgie des sinus avait un moins bon score au SNOT-22 à 12 mois. Le résultat était indépendant du score SNOT-22 et de la taille des polypes nasaux à l’inclusion. La différence n’a pas atteint le seuil de pertinence clinique. Pour le score EQ-5D-5L, qui était un autre critère de jugement pour la qualité de vie liée à la santé, aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes n’a pu être montrée. Cependant, une valeur ajoutée constante du traitement combiné a été observée pour d’autres mesures de résultats secondaires, y compris des paramètres objectifs, tels que la taille des polypes nasaux. Il faut toutefois noter que les patients des deux groupes déclaraient toujours une rhinosinusite chronique non contrôlée après 12 mois (46 % après une chirurgie des sinus et 63 % après un traitement médicamenteux). En outre, plus de la moitié (54 % contre 52 %) ont signalé une anosmie après 12 mois. Une analyse post-hoc a également montré que les patients opérés des sinus utilisaient significativement moins de corticoïdes systémiques. 
Les patients affectés au groupe traitement médicamenteux se sont vu prescrire un traitement recommandé. Il pouvait s’agir de corticoïdes nasaux, de lavages nasaux au sérum physiologique, de corticoïdes systémiques (à court et à long terme) ou d’antibiotiques systémiques. De plus, la chirurgie a été effectuée selon la pratique habituelle du chirurgien, la seule obligation étant de réaliser une ethmoïdectomie antérieure, sans autre instruction concernant l’étendue de l’intervention. Cela peut avoir entraîné une grande variation dans la technique chirurgicale utilisée. Cette conception pragmatique de l’étude permet une extrapolation à la pratique quotidienne, même si la population étudiée est fortement limitée en raison du grand nombre de critères d’exclusion. Pour terminer, il faut aussi faire remarquer que la période de suivi était limitée à 12 mois. Le maintien de l’effet obtenu après 18 et 24 mois fera l’objet d’un suivi plus poussé et sera rapporté dans une publication ultérieure.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?
Un guide de pratique clinique néerlandais recommande les corticoïdes topiques comme traitement de première intention en cas de rhinosinusite chronique avec ou sans polypes nasaux. En absence d’effet après quatre semaines de traitement en première ligne, le patient peut être adressé à un ORL pour un diagnostic plus précis et un traitement (3). Les guides européens les plus récents soulignent l’importance des corticoïdes topiques et du sérum physiologique dans le traitement de la rhinosinusite chronique diffuse, bilatérale (2). Si cela ne suffit pas, un examen complémentaire avec scanner et endotypage est utile. Selon l’endotype, le traitement peut être adapté à un profil inflammatoire plutôt de type 2 ou non-type 2. Un profil inflammatoire de type 2 est associé aux polypes nasaux. La chirurgie des sinus est envisagée chez les patients réfractaires au traitement médicamenteux de première intention. Cependant, il existe une incertitude quant à la définition du traitement médicamenteux adéquat (à la fois en termes de type de traitement, ainsi que de voies d’administration et de durée), de l’observance et de l’échec du traitement. La littérature comporte peu d’exemples de tentative d’harmonisation des indications de la chirurgie des sinus. Il existe cependant un consensus suffisant sur le fait que la chirurgie des sinus vise principalement à créer de meilleures conditions pour un traitement local. En postopératoire, un traitement médicamenteux continu et approprié est nécessaire.


Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, pragmatique, menée en ouvert montre que la chirurgie endoscopique des sinus associée à un traitement médicamenteux, après 12 mois, est plus efficace que le traitement médicamenteux seul chez les patients atteints de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux qui ne répondent pas au traitement médicamenteux initial. L’effet n’atteint cependant pas le seuil de pertinence clinique prédéfini. 

 

 

 

Références 

  1. Johansson L, Akerlund A, Holmberg K, et al. Prevalence of nasal polyps in adults: the Skövde population-based study. Ann Otol Rhinol Laryngol. 2003:112:625-9. DOI: 10.1177/000348940311200709
  2. Orlandi RR, Kingdom TT, Smith TL, et al. International consensus statement on allergy and rhinology: rhinosinusitis 2021. Int Forum Allergy Rhinol 2021;11: 213-739. DOI: 10.1002/alr.22741
  3. Chronische rhinosinusitis (CRS) en neuspoliep. Richtlijnendatabase. Federatie Medisch Specialisten 2009. URL: https://richtlijnendatabase.nl/richtlijn/chronische_rhinosinusitis_en_neuspoliepen/chronische_rhinosinusitis_-_korte_beschrijving.html
  4. Duyver C. Rhinosinusite chronique + polypes nasaux : corticostéroïdes nasaux ? MinervaF 2014;13(3):30-1.
  5. Kalish L, Snidvongs K, Sivasubramaniam R, et al. Topical steroids for nasal polyps. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD006549.pub2
  6. Smith KA, Smith TL, Mace JC, Rudmik L. Endoscopic sinus surgery compared to continued medical therapy for patients with refractory chronic rhinosinusitis. Int Forum Allergy Rhinol 2014;4:823-27. DOI: 10.1002/alr.21366
  7. Smith TL, Kern R, Palmer JN, et al. Medical therapy vs surgery for chronic rhinosinusitis: a prospective, multi-institutional study with 1-year follow-up. Int Forum Allergy Rhinol 2013;3:4-9.  DOI: 10.1002/alr.21065
  8. Lourijsen ES, Reitsma S, Vleming M, et al. Endoscopic sinus surgery with medical therapy versus medical therapy for chronic rhinosinusitis with nasal polyps: a multicentre, randomised, controlled trial. Lancet Respir Med 2022;10:337-46. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00457-4




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