Revue d'Evidence-Based Medicine



Effet du régime alimentaire traditionnel atlantique sur la santé et sur l’environnement



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 8 Page 191 - 194

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste

Analyse de
Cambeses-Franco C, Gude F, Benitez-Estévez AJ, et al. Traditional Atlantic diet and its effect on health and the environment: a secondary analysis of the GALIAT cluster randomized clinical trial. JAMA Open 2024;7:e2354473. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2023.54473


Question clinique
Quel est l’effet après 6 mois d’un régime alimentaire traditionnel atlantique, par rapport au régime alimentaire habituel, sur la santé et l’environnement, mesuré par l’incidence et la prévalence du syndrome métabolique et par le calcul de l’émission de CO2 ?


Conclusion
L’analyse secondaire de cette étude randomisée pragmatique en grappes montre qu’un mode d’alimentation traditionnel ancré localement (régime alimentaire atlantique), axé sur les aliments végétaux de saison et le poisson, ainsi que sur d’autres facteurs liés au mode de vie (comme le fait de manger tranquillement ensemble, de faire suffisamment d’exercice), entraîne une diminution de l’incidence du syndrome métabolique par rapport à un mode d’alimentation habituel. Cependant, aucun gain statistiquement significatif concernant certaines composantes du syndrome métabolique ou l’empreinte écologique n’a pu être montré, peut-être en raison d’un manque de puissance. En outre, on ne sait pas actuellement dans quelle mesure les résultats peuvent être extrapolés à une autre population et à une autre région.


Contexte

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne l’importance de promouvoir des régimes alimentaires sains, ayant un faible impact sur l’environnement tout en étant socioculturellement acceptables et économiquement accessibles à tous (1). Minerva a déjà traité à plusieurs reprises de l’importance d’une alimentation saine, telle que le régime méditerranéen (2-11). Le projet des Nations unies « Objectifs de développement durable » (ODD) (12) a attiré l’attention sur l’empreinte écologique des modes d’alimentation. Dans ce contexte, une publication scientifique a particulièrement retenu notre attention : elle porte sur les avantages d’un régime régional, en l’occurrence le régime traditionnel atlantique, pour la santé et l’environnement (13).  
 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • 3500 adultes (âgés de 18 à 85 ans) résidant dans une petite ville rurale de Galice ont été invités, avec leur famille, à participer à l’enquête 
  • critères d’inclusion :
    • au moins deux membres de la famille âgés de 3 à 85 ans
    • d’ascendance européenne et d’ethnicité hispanique
  • critères d’exclusion :
    • grossesse, prise de médicaments hypolipémiants, alcoolisme, démence, maladie cardiovasculaire grave, espérance de vie inférieure à 1 an
  • finalement, inclusion de 250 familles totalisant 720 personnes (en moyenne 2,3 personnes par famille (écart-type 0,8)) ; l’âge moyen était de 46,8 ans (écart-type 15,7 ans), et la proportion de femmes était de 59,8%.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée (RCT) pragmatique, en grappes, à deux bras :

  • groupe intervention (126 familles, 287 personnes) : 
    • régime alimentaire traditionnel atlantique (de Galice et du Portugal), composé de produits locaux de saison frais peu préparés, tels que les fruits, les légumes, les céréales complètes, les haricots et l’huile d’olive, ainsi que le poisson et les fruits de mer, les féculents, les fruits secs (en particulier les châtaignes), le lait, le fromage et une quantité modérée de viande et de vin*
    • les familles ont assisté à trois séances d’éducation nutritionnelle (d’une durée de 30 à 40 minutes chacune) au centre de santé primaire local et ont bénéficié d’un soutien supplémentaire sous la forme de cours de cuisine, de recettes écrites et d’un panier d’aliments traditionnels de l’Atlantique
  • groupe témoin (124 familles, 287 personnes) : poursuite des habitudes alimentaires habituelles.

 

Mesure des résultats

  • incidence et prévalence du syndrome métabolique (selon les critères des guides du National Cholesterol Education Program Adult Treatment Panel III (ATPIII) (14) où l’on parle de syndrome métabolique lorsqu’au moins 3 des 5 critères suivants sont présents : tour de taille > 102 cm chez les hommes et > 88 cm chez les femmes ; triglycérides dans le sérum ≥ 150 mg/dl (ou prise d’un médicament pour réduire les triglycérides) ; cholestérol HDL < 40 mg/dl chez les hommes et < 50 mg/dl chez les femmes ; tension artérielle ≥ 130/85 mmHg (ou prise d’un médicament antihypertenseur) ; glycémie à jeun ≥ 110 mg/dl (ou prise d’un médicament antidiabétique)
  • apport alimentaire
  • empreinte carbone, quantifiée sur la base de l’analyse du cycle de vie (ACV) (15), estimant les émissions de CO2 provenant de la production, du transport et de la transformation des aliments dans le régime alimentaire sur la base d’une analyse documentaire, et prenant également en compte les éventuels déchets alimentaires 
  • au départ et après 6 mois, des informations sur l’apport alimentaire (journal alimentaire vérifié par un nutritionniste), l’activité physique, la prise de médicaments et les paramètres métaboliques (tour de taille, triglycérides, cholestérol HDL, tension artérielle et glycémie à jeun) ont été recueillies par le médecin généraliste (n = 20) et le personnel infirmier (n = 20) auprès de tous les participants
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • toutes les personnes du groupe intervention ont suivi le programme d’éducation alimentaire
  • réduction statistiquement significative de l’incidence du syndrome métabolique dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin (rapport de taux de 0,32 avec IC à 95% de 0,13 à 0,79 ; p < 0,01) après 6 mois
  • par comparaison avec le groupe témoin, le groupe intervention a vu une réduction statistiquement significative du risque de cholestérol HDL < 40 mg/dl (RR de 0,79 avec IC à 95% de 0,64 à 0,97 ; p = 0,03) ; pour les autres composantes du syndrome métabolique, il n’y avait pas de différence statistiquement significative 
  • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à la diminution de la prévalence du syndrome métabolique après 6 mois
  • pas de diminution statistiquement significative de l’empreinte écologique.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que ces résultats apportent des preuves importantes de la réduction de l’incidence du syndrome métabolique par une intervention diététique axée sur la famille, avec un régime alimentaire traditionnel, par rapport au régime alimentaire habituel. La recherche doit se poursuivre pour comprendre les mécanismes sous-jacents. Compte tenu des différences de culture et de nutrition d’une région à l’autre, la généralisation à d’autres populations devra également être fixée plus précisément.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun.

 

Financement de l’étude

Fonds de développement local pour la Galice dépendant du ministère espagnol de l’économie, de l’industrie et de la compétitivité.

 

 

Discussion

Discussion de la méthodologie

Il s’agit de l’analyse secondaire d’une étude randomisée pragmatique en grappes qui a examiné l’efficacité d’une intervention diététique bien décrite dans une population de la première ligne sur la base de paramètres métaboliques objectifs. Cependant, un certain nombre d’éléments ont pu biaiser les résultats.
Ainsi, les participants potentiels ont été invités, avec leur famille, à une séance d’information, à l’issue de laquelle ils pouvaient demander à participer à l’étude. On peut s’attendre à ce que les familles intéressées et motivées par la santé et l’environnement soient les plus nombreuses à se porter candidates à cette étude. Cela peut avoir entraîné un biais de sélection. En outre, le groupe témoin a participé à la même séance d’information, et l’étude a suscité une large couverture médiatique. Il est donc possible que certaines familles du groupe témoin aient, elles aussi, adapté leur régime alimentaire pour adopter le régime atlantique. Cette contamination a pu entraîner une dilution des résultats. 
De plus, cette analyse secondaire n’a probablement pas suffisamment de puissance, ce qui fait que l’on n’a pas pu mettre en évidence certaines différences, comme la diminution globale de la prévalence du syndrome métabolique dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin, ou le fait qu’aucune diminution statistiquement significative du risque de certaines composantes du syndrome métabolique n’a pu être mise en évidence. Dans le protocole de l’étude primaire, cependant, le calcul de la taille de l’échantillon n’était pas basé sur ces mesures de résultats mais plutôt sur une réduction de 10 mg/dl du taux de cholestérol sérique dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin. Le manque de puissance des résultats de cette analyse secondaire est illustré par le fait que, dans une analyse per protocole, après correction pour tenir compte du sexe et de l’âge (contrairement à l’analyse en intention de traiter), une diminution statistiquement significative du risque d’hypertension artérielle a été observée dans le groupe intervention (RR de 0,86 avec IC à 95% de 0,74 à 0,99 ; p = 0,04). Néanmoins, il convient de mentionner que 231 participants sur 250 (= 92,4%) ont terminé l’étude. Le journal alimentaire de 3 jours a également été rempli au début et à la fin de l’étude par 84% des participants du groupe intervention et par 82,9% du groupe témoin.

 

Discussion des résultats

Les bienfaits reconnus du régime méditerranéen pour la santé, ainsi que la réflexion et l’action générales en faveur du développement durable (2-12), motivent la recherche scientifique sur les régimes alimentaires traditionnels régionaux. En outre, l’intervention actuelle ne portait pas seulement sur la nutrition, mais aussi, par exemple, sur le fait de manger ensemble, de rester assis à table, d’encourager une promenade quotidienne, d’utiliser autant que possible des produits locaux de saison et de consommer le moins possible d’aliments préparés industriellement, qui sont plutôt nocifs pour la santé (16,17). Les résultats donnent donc des indications non seulement sur un régime alimentaire spécifique, mais aussi sur un changement du mode de vie. Toutefois, les habitudes alimentaires et le mode de vie du groupe témoin ne sont pas mentionnés, de sorte que l’on ne sait pas exactement quelle composante de l’intervention a le plus d’influence sur les résultats. En outre, on ne sait pas dans quelle mesure les habitudes du groupe témoin correspondent à celles de la population belge ou dans quelle mesure elles en diffèrent. 
L’incidence du syndrome métabolique semble diminuer grâce à cette intervention sur le mode de vie. Toutefois, il s’agit de paramètres intermédiaires, et, à plus long terme, on ne sait pas exactement dans quelle mesure ils sont en corrélation avec l’apparition du diabète et la survenue des événements cardiovasculaires. En d’autres termes, on ne connaît pas encore la pertinence clinique du syndrome métabolique (18,19). En outre, le suivi était trop bref pour montrer une différence dans les critères d’évaluation cliniquement pertinents.
L’empreinte écologique du groupe intervention est inférieure à celle du groupe témoin, mais le résultat n’atteint pas le seuil de signification statistique. Cela peut également s’expliquer par un manque de puissance (voir ci-dessus). Les auteurs ont estimé que l’étude aurait dû compter 2 000 participants pour atteindre un niveau de signification de p < 0,05. Il convient également de noter que la méthode utilisée pour calculer l’empreinte écologique présente des lacunes, comme la non-prise en compte de l’énergie utilisée par les ménages pour préparer les plats et l’absence de statistiques concernant les déchets alimentaires. En outre, l’extrapolation de l’impact environnemental est difficile. De nombreux aliments du régime atlantique ne sont pas disponibles localement chez nous. D’autre part, au niveau local et en circuit court, nous disposons également de nombreux produits alimentaires similaires. Notre mer et nos rivières contiennent également des poissons, nous avons également des cultures de fruits, de légumes et de céréales ainsi que des élevages porcins et des élevages de bétail... ce qui nous permet d’éviter une grande partie de l’alimentation industrielle. Peut-être devrions-nous également nous efforcer d’adopter un régime alimentaire belge sain, en remplissant le triangle nutritionnel avec nos produits, des « aliments de tous les jours », mais sains et savoureux, et avec une empreinte écologique aussi faible que possible.
Enfin, d’autres arguments compliquent l’extrapolation des résultats : le groupe intervention a été supervisé de manière très intensive, et les participants ont même reçu gratuitement des aliments traditionnels locaux toutes les trois semaines ; les investigateurs se sont concentrés sur les changements possibles dans les habitudes alimentaires des familles ethniquement hispaniques, ce qui implique que nous ne pouvons pas simplement extrapoler les résultats aux ménages composés d’une seule personne et à d’autres groupes de population. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet renvoie le prestataire de soins de santé qui pose une question sur une « alimentation saine » au guide de pratique sur la prise en charge globale du risque cardiovasculaire ; elle indique que le triangle de la nutrition peut être utilisé comme modèle d’éducation nutritionnelle (niveau de preuve 3) (20). Notez qu’en plus des conseils nutritionnels, cet outil encourage également à éviter le gaspillage alimentaire, un objectif de développement durable (ODD) des Nations unies (12) !
La conclusion finale des recommandations nutritionnelles du Conseil supérieur de la santé est la suivante : « Une alimentation riche en céréales complètes, fruits, légumes, légumineuses et fruits à coque et pauvre en sucres ajoutés, en viande rouge et en sodas sucrés tout en rejoignant les goûts et préférences de l’individu aura le plus de chances de déboucher sur un effet de santé à long terme et de devenir une composante intégrale du mode de vie de la population. » (21)

 

 

Conclusion de Minerva

L’analyse secondaire de cette étude randomisée pragmatique en grappes montre qu’un mode d’alimentation traditionnel ancré localement (régime alimentaire atlantique), axé sur les aliments végétaux de saison et le poisson, ainsi que sur d’autres facteurs liés au mode de vie (comme le fait de manger tranquillement ensemble, de faire suffisamment d’exercice), entraîne une diminution de l’incidence du syndrome métabolique par rapport à un mode d’alimentation habituel. Cependant, aucun gain statistiquement significatif concernant certaines composantes du syndrome métabolique ou l’empreinte écologique n’a pu être montré, peut-être en raison d’un manque de puissance. En outre, on ne sait pas actuellement dans quelle mesure les résultats peuvent être extrapolés à une autre population et à une autre région.

 

 

 

* Les différences avec le régime méditerranéen sont les suivantes : consommation modérée de viande rouge et de porc, de pommes de terre (non utilisées dans le régime méditerranéen) et consommation de davantage de fruits de mer ; l’accent est également mis sur les produits locaux ayant une empreinte écologique moindre, préparés selon des techniques culinaires traditionnelles (cuits à la vapeur, bouillis, rôtis, à l’étouffée, grillés ou frits et aussi peu frits que possible) ; l’accent est également mis sur une expérience culinaire plus intense dans un cadre familial.

 

 


Références 

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  2. Poelman T. Bénéfice d’un régime méditerranéen en prévention primaire ? MinervaF 2009;8(5):60-1.
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  4. Michiels B. Prévention secondaire des maladies cardiovasculaires au moyen d’un régime méditerranéen par comparaison avec un régime pauvre en lipides. MinervaF 2023;22(2):32-5.
  5. Delgado-Lista J, Alcala-Diaz JF, Torres-Peña JD, et al; CORDIOPREV Investigators. Long-term secondary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet and a low-fat diet (CORDIOPREV): a randomised controlled trial. Lancet 2022;399:1876-85. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)00122-2
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  11. Shan Z, Wang F, Li Y, et al. Healthy eating patterns and risk of total and cause-specific mortality. JAMA Intern Med 2023;183:142-53. DOI: 10.1001/jamainternmed.2022.6117
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  13. Cambeses-Franco C, Gude F, Benitez-Estévez AJ, et al. Traditional Atlantic diet and its effect on health and the environment: a secondary analysis of the GALIAT cluster randomized clinical trial. JAMA Open 2024;7:e2354473. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2023.54473
  14. National Cholesterol Education Program; National Heart Lung and Blood Institute; National Institutes of Health. Third report of the national cholesterol education program (NCEP) expert panel on detection, evaluation and treatment of high blood cholesterol in adults (adult treatment panel III) (final report, Circulation 2002;106:31453-421. DOI: 10.1161/circ.106.25.3143
  15. International organization for standardization. Environmental management-life cycle assessment. International organization for standardization 2006.
  16. Joossens S. Y a-t-il un rapport entre la consommation d’aliments ultratransformés et la mortalité chez les patients atteints de diabète de type 2 ? MinervaF 2024;23(6):114-7.
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  21. Conseil Supérieur de la Santé. Recommandations alimentaires pour la population belge adulte - 2019. CSS 2019. Avis nr. 9284. URL: www.hgr-css.be.




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