Revue d'Evidence-Based Medicine



Pas d’apport démontré pour une approche restrictive dans la lithiase biliaire symptomatique non compliquée.



Minerva 2025 Volume 24 Numéro 5 Page 116 - 119

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste

Analyse de
Comes DJ, Wennmacker SZ, Latenstein CS, et al. Restrictive strategy vs usual care for cholecystectomy in patients with abdominal pain and gallstones: 5-year follow-up of the SECURE randomized clinical trial. JAMA Surg 2024;159:1235-43. DOI : 10.1001/jamasurg.2024.3080


Question clinique
Quel est l'impact à long terme d'une sélection restrictive par rapport aux soins habituels pour la cholécystectomie chez les patients atteints de lithiase biliaire symptomatique en termes de douleur persistante et de complications biliaires et chirurgicales ?


Conclusion
Les auteurs concluent qu’ à long terme, un traitement conservateur entraîne, par rapport aux soins habituels, une réduction significative mais minime du nombre d'interventions sans augmentation des complications biliaires et chirurgicales. Indépendamment du choix de la stratégie thérapeutique, seuls deux tiers des patients étaient indolores. Afin d'améliorer les résultats rapportés par les patients, il est nécessaire d'établir des critères de sélection des patients atteints de calculs biliaires non compliqués pour la cholécystectomie et de réexaminer la cholécystectomie laparoscopique en tant que traitement.


Contexte

En 2015, Minerva (1) a analysé une méta-analyse (2) bien conduite mais incluant un nombre limité d’études et de patients, concluant que le traitement conservateur de la lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite non compliquée pourrait être une option thérapeutique acceptable et économiquement favorable. La chirurgie a été plus efficace mais plus coûteuse. Minerva rappelait que des patients porteurs d’une lithiase biliaire peuvent développer des complications majeures menaçant la vie, telles qu’obstruction du cholédoque, pancréatite aiguë ou nécrotico-hémorragique et angiocholite. En 2023, une étude britannique randomisée pragmatique ouverte a montré qu’à court terme (< 18 mois), une prise en charge conservatrice, comme alternative à la chirurgie, peut s'avérer efficace et rentable chez les patients présentant une lithiase biliaire symptomatique non compliquée  (3,4). L’essai était cependant associé à des problèmes, notamment en raison des listes d’attente au Royaume-Uni rendant la cholécystectomie difficilement réalisable systématiquement dans des délais courts. En 2024, une étude randomisée néerlandaise (5) a été publiée avec des résultats à long terme pour déterminer l’impact d’une stratégie restrictive pour la cholécystectomie par rapport aux soins courants pour la lithiase biliaire symptomatique.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion
    • âge de 18 à 95 ans 
    • douleurs abdominales et calculs biliaires ou boue biliaire (sludge) confirmés par échographie, orientés vers une consultation
    • externe chirurgicale
    • consentement informé écrit
  • critères d’exclusion : 
    • antécédents ou indication (physique ou échographique) de lithiase biliaire compliquée (p. ex., pancréatite biliaire, cholangite, calculs de la voie biliaire principale et cholécystite) 
    • indication d'une cholécystectomie ouverte primaire 
    • histoire actuelle de tumeur maligne 
    • espérance de vie courte de moins de 12 mois 
    • classification de l'état physique de l'American Society of Anesthesiologists de niveau III et IV 
    • cirrhose du foie connue 
    • troubles cognitifs prédisposant à des réponses au questionnaire peu fiables 
    • connaissance insuffisante de la langue néerlandaise 
    • grossesse 
  • au total, 1067 patients ont été randomisés ; âge médian (IQR) : 49,0 ans (38,0-59,0 ans) ; 786 de sexe féminin (73,7%).

 

Protocole d’étude

  • étude multicentrique, randomisée, à bras parallèles et de non-infériorité réalisée dans 24 centres universitaires et non universitaires aux Pays-Bas (5)
  • randomisation 1/1 entre :
    • soins usuels : selon les soins standard prodigués dans les centres participants, le choix de la cholécystectomie étant laissé à la discrétion du chirurgien, en concertation avec le patient
    • stratégie restrictive : cholécystectomie laparoscopique recommandée aux patients répondant aux critères de cholécystectomie prédéfinis : (1) crises de douleur intenses, (2) douleur durant 15 à 30 minutes ou plus, (3) localisée à l’épigastre ou au quadrant supérieur droit, (4) douleur irradiant vers le dos et (5) réponse positive à la douleur aux analgésiques simples ; les patients du groupe de stratégie restrictive qui ne répondaient pas aux critères prédéfinis ont été sélectionnés pour un traitement conservateur et un examen plus approfondi afin de rechercher un diagnostic alternatif pour les symptômes abdominaux. 

 

Mesures des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de patients sans douleur au suivi à 5 ans, l'absence de douleur étant définie par un score de douleur d'Izbicki (IPS) inférieur ou égal à 10, associé à un score de douleur sur l'échelle visuelle analogique (EVA) inférieur ou égal à 4 ; l'IPS est un score qui comprend quatre questions concernant la fréquence et l'intensité de la douleur, la prise d'antalgiques et l'incapacité de travail liée à la maladie
  • critères de jugement secondaires : 
    • nombre de cholécystectomies, de complications dues à des calculs biliaires ou de complications chirurgicales classées selon la classification de Clavien-Dindo
    • satisfaction des patients vis-à-vis du traitement, mesurée à l'aide d'une échelle numérique allant de 1 à 10, les valeurs les plus élevées indiquant une plus grande satisfaction
    • recours supplémentaire aux soins de santé résultant de douleurs abdominales persistantes, y compris les consultations externes, les examens d'imagerie supplémentaires, les endoscopies et l'identification concomitante d'un trouble gastro-intestinal fonctionnel. 

 

Résultats 

  • critère de jugement primaire : 
    • au suivi à 5 ans : 228 patients sur 363 (62,8%) indolores dans le groupe de soins habituels, contre 216 patients sur 353 (61,2%) dans le groupe de stratégie restrictive (différence : 1,6% ; limite inférieure de confiance unilatérale à 95% : -7,6% ; non-infériorité : p = 0,18)
    • après cholécystectomie : 187 patients sur 294 (63,6%) dans le groupe de soins habituels et 160 patients sur 254 (63,0%) dans le groupe de stratégie restrictive étaient indolores, respectivement (p = 0,88)
  • critères de jugement secondaires :
    • nombre de cholécystectomies : 8,3% de cholécystectomies en moins par rapport aux soins habituels (387/529 [73,2%] contre 437/536 [81,5%], respectivement ; p = 0,001)
    • complications dues à des calculs biliaires ou de complications chirurgicales : pas de différence significative
    • satisfaction des patients :  pas de différence significative
    • recours supplémentaire aux soins de santé résultant de douleurs abdominales persistantes : pas de différence significative.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’ à long terme, un traitement conservateur entraîne, par rapport aux soins habituels, une réduction significative mais minime du nombre d'interventions sans augmentation des complications biliaires et chirurgicales. Indépendamment du choix de la stratégie thérapeutique, seuls deux tiers des patients étaient indolores. Afin d'améliorer les résultats rapportés par les patients, il est nécessaire d'établir des critères de sélection des patients atteints de calculs biliaires non compliqués pour la cholécystectomie et de réexaminer la cholécystectomie laparoscopique en tant que traitement.

 

Financement de l’étude

Netherlands Organization for Health Research and Development et le CZ Healthcare Insurance.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Aucun lien d’intérêt rapporté.  

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit d’une étude randomisée de non-infériorité. Les auteurs ont suivi les recommandations CONSORT (Consolidated Standards of Reporting Trials) pour l’analyse. La randomisation centralisée a été stratifiée pour le centre (académique vs non académique et volume élevé vs faible), le sexe et l'indice de masse corporelle. Il y a un problème avec l’exclusion de patients initialement randomisés : sur 1326, il n’en reste plus que 1067 dans l’analyse, beaucoup ayant été rendus inéligibles par manque de données ou retrait du consentement. Ces patients auraient dû rester dans l’analyse en intention de traitement que les auteurs prétendent avoir réalisée en plus de l’analyse selon le protocole. Pour l’analyse à 5 ans basée sur des questionnaires envoyés aux patients, il n’en reste que 970 qui ont atteint 5 ans de suivi en ayant répondu à l’enquête.
Les auteurs ont choisi un design de non-infériorité sans le justifier dans le protocole ou les deux articles de résultats publiés. Ce type d’étude où l’on accepte un certain degré d’infériorité du bras expérimental doit être justifié par un bénéfice secondaire. Celui-ci est souvent omis et le choix est souvent dû au désir de ne pas devoir inclure trop de patients, les études de non-infériorité requérant moins de sujets que celles de supériorité ou d’équivalence.
L’étude actuellement analysée porte sur l’analyse à 5 ans de l’objectif primaire, à savoir l’absence de douleurs. En fait, il s’agit formellement d’un objectif secondaire, d’ailleurs secondairement planifié comme le montre le protocole. L’objectif primaire sur lequel se sont construites les considérations statistiques est l’absence de douleurs à un an de suivi, qui a fait l’objet d’une première publication en 2019 (6) sans différence entre les deux bras.

 

Évaluation des résultats

Outre les problèmes de données manquantes dans la collection des questionnaires qui constituent un risque de biais, il y a une difficulté pour la généralisation des résultats de l’étude à la pratique quotidienne. Les auteurs rapportent que la stratégie de soins restrictifs a été associée à 387 cholécystectomies sur 529 (73,2%), contre 437 sur 536 dans le groupe de soins habituels (81,5%). Ils y voient un argument en faveur de l’approche soins restrictifs. La lecture des tableaux montre un autre biais : il y a au départ significativement plus de patients avec des symptômes biliaires dans le bras soins restrictifs avec 37,9% de malades remplissant au départ les 5 critères contre 28,3%. La randomisation n’a pas été stratifiée selon la présence des critères et donc ce résultat est sujet à grande caution.
Un autre point important est le diagnostic alternatif qui devait être recherché dans le bras soins restrictifs. La recherche effectuée manque de rigueur. Les auteurs n’ont pas contacté le médecin traitant, se limitant à une fouille électronique des examens effectués par le patient dans les années qui ont suivi la randomisation. La principale affection identifiée est le reflux gastro-œsophagien, dans les deux bras d’ailleurs.  
Notons enfin que « l’absence totale de douleurs » n’en est pas une : elle est définie par un score de douleur d'Izbicki (IPS) inférieur ou égal à 10, associé à un score de douleur sur l'échelle visuelle analogique (EVA) inférieur ou égal à 4. Le praticien ne peut donc pas promettre la disparition complète des douleurs dans deux tiers des cas.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Une revue systématique des recommandations de pratique clinique publiées jusqu’en 2015  (7) en a retenu 15 dont 5 de bonne qualité. Ces directives recommandent la cholécystectomie laparoscopique en cas de douleur biliaire ou de cholécystite aiguë et de signes radiologiques de calculs biliaires. L’European Association for the Study of the Liver recommande en 2016 (8) la cholécystectomie comme option privilégiée pour le traitement des calculs vésiculaires symptomatiques. La British Society of Gastroenterology en 2017 a mis à jour son guide de pratique clinique  (9). Elle recommande que les patients diagnostiqués avec des calculs du canal biliaire principal se voient proposer une extraction des calculs si possible. Les preuves de bénéfice sont plus importantes chez les patients symptomatiques. Elle n’aborde pas le problème de la cholécystectomie. 

 

 

Conclusion de Minerva

Les auteurs concluent que la stratégie restrictive à long terme entraîne une réduction significative, mais faible, du taux d'intervention par rapport aux soins habituels et n'est pas associée à une augmentation des complications biliaires et chirurgicales. Cependant, quelle que soit la stratégie, seuls les deux tiers des patients n'ont plus eu de douleur…selon le protocole. D'autres critères de sélection des patients atteints de lithiase biliaire non compliquée pour une cholécystectomie et une refonte de la cholécystectomie laparoscopique sont nécessaires afin d'améliorer les résultats rapportés par les patients. 
Cet essai randomisé de non-infériorité est cependant associé à divers problèmes méthodologiques avec d’importants biais potentiels. L’étude ne change donc pas les conclusions précédentes de Minerva sur le sujet, à savoir que le traitement conservateur de la lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite non compliquée peut être une option thérapeutique acceptable et économiquement favorable.

 

 


Références 

  1. Lerut J. Cholécystectomie versus attitude conservatrice : évaluation clinique et économique. MinervaF 2015;14(5):59-60.
  2. Brazzelli M, Cruickshank M, Kilonzo M, et al. Clinical effectiveness and cost-effectiveness of cholecystectomy compared with observation/conservative management for preventing recurrent symptoms and complications in adults presenting with uncomplicated symptomatic gallstones or cholecystitis: a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2014;18:1-101. Minerva. 2015;14(5):59‑60. DOI: 10.3310/hta18550
  3. Sculier JP. Le traitement conservateur reste une option en cas de calculs biliaires symptomatiques non compliqués. MinervaF 2024;23(5):106‑8
  4. Ahmed, I, Hudson J, Innes K, et al; C-GALL Study Group. Effectiveness of conservative management versus laparoscopic cholecystectomy in the prevention of recurrent symptoms and complications in adults with uncomplicated symptomatic gallstone disease (C-GALL trial): pragmatic, multicentre randomised controlled trial. BMJ 2023;383:e075383. DOI: 10.1136/bmj-2023-075383 
  5. Comes DJ, Wennmacker SZ, Latenstein CS, et al. Restrictive strategy vs usual care for cholecystectomy in patients with abdominal pain and gallstones: 5-year follow-up of the SECURE randomized clinical trial. JAMA Surg 2024;159:1235-43. DOI: 10.1001/jamasurg.2024.3080
  6. van Dijk AH, Wennmacker SZ, de Reuver PR, et al. Restrictive strategy versus usual care for cholecystectomy in patients with gallstones and abdominal pain (SECURE): a multicentre, randomised, parallel-arm, non-inferiority trial. Lancet 2019;393:2322‑30. DOI: 10.1016/S0140-6736(19)30941-9
  7. van Dijk AH, de Reuver PR, Besselink MG, et al. Assessment of available evidence in the management of gallbladder and bile duct stones: a systematic review of international guidelines. HPB (Oxford) 2017;19:297‑309. DOI: 10.1016/j.hpb.2016.12.011
  8. European Association for the Study of the Liver (EASL). EASL clinical practice guidelines on the prevention, diagnosis and treatment of gallstones. J Hepatol 2016;65:146‑81. DOI: 10.1016/j.jhep.2016.03.005
  9. Williams E, Beckingham I, El Sayed G, et al. Updated guideline on the management of common bile duct stones (CBDS). Gut 2017;66:765‑82. DOI: 10.1136/gutjnl-2016-312317




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