Revue d'Evidence-Based Medicine



Psychothérapie en première ligne de soins pour la dépression ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 1 Page 2 - 3

Professions de santé


Analyse de
Cuijpers P, van Straten A, van Schaik A, Andersson G. Psychological treatment of depression in primary care: a meta-analysis. Br J Gen Pract 2009;59:e51-e60.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la psychothérapie en première ligne de soins dans la dépression ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre une efficacité limitée d’une psychothérapie (pratiquée par un non médecin) pour traiter une dépression en première ligne de soins, particulièrement si le patient est référé par son médecin généraliste. L’efficacité de ce type de traitement en fonction de la sévérité de la dépression reste à évaluer.


 

Contexte

Différentes études ont montré l’efficacité de la psychothérapie pour traiter la dépression (1). La plupart des patients souffrant de dépression sont soignés en première ligne de soins. Etant donné que les troubles dépressifs observés en première ligne de soins sont probablement moins sévères (2), une efficacité des psychothérapies à ce niveau est-elle semblable à celle observée en 2 ou 3ème ligne de soins ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs incluant des patients adultes, en première ligne de soins, souffrant d’un trouble dépressif ou d’une majoration de symptômes dépressifs ; comparant une psychothérapie en première ligne de soins avec un traitement contrôle
  • critères d’exclusion : études incluant des moins de 18 ans, traitements psychologiques non dissociables d’autres composantes d’intervention, patients hospitalisés, prévention des récidives ciblée, trouble anxieux principal, ampleur d’effet non estimable
  • parmi les 800 publications isolées : 15 RCTs se déroulant en première ligne de soins, 20 comparaisons entre psychothérapie et traitement contrôle.

Population étudiée

  • 1 505 patients présentant une dépression modérée à sévère au Beck Depression Inventory (BDI) ou au entretien semi-structuré explorant 17, 21 ou 24 items. Dans la version à 17 items sont repris : humeur dépressive, sentiments de culpabilité, suicide, insomnie de début de nuit, du milieu de nuit, du matin, travail et activités, ralentissement, agitation, anxiété psychique, anxiété somatique, symptômes somatiques gastro-intestinaux et généraux, symptômes sexuels, hypocondrie, perte de poids, prise de conscience. Parmi ces items, il y en a 17 auxquels on peut répondre sur une échelle à 3 points (0 à 2) ou à 5 points (0 à 4). Les seuils utilisés pour la liste à 17 items sont les suivants : score < 8 = pas de dépression ; score ≥ 8 = symptômes résiduels d’une dépression. ">Hamilton Rating Scale for Depression (HAM-D) ; 804 (11 à 93 par étude) traités par psychothérapie et 701 (de 13 à 92 par étude) avec traitement de contrôle
  • recrutement : référence par le médecin généraliste dans 7 études, via un dépistage dans 6 études, non mentionné dans 2 études.

Mesure des résultats

  • moyenne standardisée" data-content="Une différence moyenne standardisée est la différence entre deux moyennes divisée par l’écart type estimé entre les deux groupes. Un effet standardisé est calculé pour chaque étude en divisant la différence observée entre les deux groupes de traitement par la variance des résultats. La valeur trouvée n’a pas de dimension et peut être en général comparée avec celles d’autres études. Les résultats de la méta-analyse peuvent être, dans ce cas, exprimés sous la forme d’une ampleur d’effet standardisée.">Différence Moyenne Standardisée (DMS) entre les 2 groupes pour le score symptomatique de dépression
  • NST
  • analyse en modèle d’effets aléatoires ; analyse de l’hétérogénéité avec le test Q et le test I²
  • analyse en méta-régression pour les différents sites de recherche.

  

Résultats

  • DMS pour le score de dépression pour une psychothérapie versus contrôle : 0,31 avec IC à 95% de 0,17 à 0,45 et test I² de 45,58% ; NST 5,75
  • DMS plus élevée pour les études avec patients référés par le médecin généraliste (0,43 ; IC à 95% de 0,28 à 0,58) que dans les études avec patients recrutés par dépistage (0,13 ; IC à 95% de -0,08 à 0,34, donc résultat non significatif)
  • DMS dans les études dans d’autres contextes (N = 99) : 0,67 avec IC à 95% de 0,58 à 0,75 ; p<0,001 pour la différence versus première ligne de soins ; en éliminant les études avec dépistage en première ligne de soins, cette différence disparaît.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, bien qu’il s’agisse d’un nombre limité d’études de qualité variable, la psychothérapie s’y montre efficace pour traiter la dépression en première ligne de soins, particulièrement quand le patient est référé par son médecin traitant.

 

Financement

Vrije Universiteit Amsterdam, Université de Linköping et le Karolinska Institutet.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse est bien élaborée. Les auteurs n’ont localisé que 15 études effectuées en première ligne de soins. Ils ont recherché un biais de publication au moyen d’un funnel plot avec correction par la méthode trim and fill. Si un biais de publication est possible, il ne semble pas avoir influencé les résultats. La qualité méthodologique des études est évaluée selon trois critères : le secret de l’attribution (mentionné dans 8 études), l’insu des évaluateurs (mentionné dans 13 études), des données de suivi complètes (dans 14 études). L’insu des patients pour un traitement psychologique est pratiquement impossible et ce critère n’a donc pas été retenu pour l’évaluation de la qualité. L’ampleur de l’effet est moindre pour les études uniquement avec analyse en intention de traiter. Une autre publication du même groupe d’auteurs (3) montre que l’ampleur d’effet d’une psychothérapie de la dépression est moindre lors de l’exclusion des études de moins bonne qualité. Le traitement dans le groupe contrôle n’est pas décrit aussi précisément dans toutes les études et diffère aussi selon les études. Cette hétérogénéité clinique complique l’interprétation des résultats.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs considèrent que la différence d’’ampleur d’effet des résultats sommés, de 0,31 entre psychothérapie et traitement contrôle, est faible. Ils se basent sur un seuil de 0,50 arbitrairement choisi par NICE (4) alors que ce seuil, à l’origine, a été créé pour comparer les tailles d’effet et que la valeur 0,50 est le seuil d’un effet modéré (0,80 pour un effet important) (5). Une différence d’ampleur d’effet de 0,67 dans d’autres contextes confirme que l’efficacité de la psychothérapie en première ligne de soins ne peut être extrapolée à partir d’études réalisées en deuxième ou troisième ligne de soins. Les troubles dépressifs présentés en première ligne de soins ont sans doute un meilleur pronostic que les dépressions prises en charge par les spécialistes (2). Les patients dépistés en médecine générale obtiennent de moins bons résultats que ceux qui sont référés par le médecin généraliste, résultat contradictoire par rapport à de précédentes études (6). Cette contradiction peut provenir de différences entre les populations d’étude (dépression moins sévère, moindre motivation pour un traitement en cas de dépistage) mais aussi du rôle spécifique du médecin généraliste qui connaît le patient et son contexte de vie et peut mieux apprécier l’indication d’une psychothérapie. D’autres analyses en sous-groupes livrent des résultats à confirmer : l’efficacité n’est pas significative en cas de dépression majeure mais bien en cas d’autres diagnostics ; la différence d’ampleur d’effet n’est significative que pour les études réalisées au Royaume-Uni et non pour celles effectuées aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. Est-ce lié à un seuil d’accès plus bas à une psychothérapie en pratique de médecine générale au Royaume-Uni, faisant souvent appel à des volontaires plutôt qu’à des thérapeutes fort qualifiés ? (7)

Autres études

Cette publication est un volet d’une série de méta-analyses effectuées par le même groupe de recherche concernant le traitement psychologique des troubles dépressifs chez les adultes (aperçu sur http://www.psychotherapyrcts.org). Différentes questions de recherche sont abordées : comparaison entre différentes psychothérapies (1), entre psychothérapie et pharmacothérapie (8), entre psychothérapie seule et son association avec une pharmacothérapie (9), mais aussi concernant la corrélation entre l’efficacité observée et les caractéristiques des patients, des soignants, de la thérapie. L’influence de la qualité d’étude et des biais de publication sur l’ampleur d’effet est également évaluée (3).

Pour la pratique

Le guide de pratique belge concernant la dépression chez les adultes en première ligne de soins (10) recommande de n’utiliser les antidépresseurs que pour la dépression majeure sévère. Cette recommandation est étayée par une méta-analyse récente, analysée dans Minerva (5). Pour des formes moins sévères de dépression, une prise en charge non médicamenteuse est recommandée, réalisée ou non par le médecin généraliste (10). La publication analysée ici appuie le recours à une psychothérapie en cas de dépression en première ligne de soins ; elle y ajoute que les résultats de la psychothérapie sont meilleurs quand les patients sont référés par leur médecin traitant. Elle n’apporte pas de renseignement à propos des psychothérapies effectuées par le médecin généraliste ; une seule étude a réalisé une telle évaluation. Il reste à mieux étudier l’efficacité d’une psychothérapie en fonction de la sévérité de la dépression.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre une efficacité limitée d’une psychothérapie (pratiquée par un non médecin) pour traiter une dépression en première ligne de soins, particulièrement si le patient est référé par son médecin généraliste. L’efficacité de ce type de traitement en fonction de la sévérité de la dépression reste à évaluer.

 

Références 

  1. Cuijpers P, van Straten A, Andersson G, van Oppen P. Psychotherapy for depression in adults: a meta-analysis of comparative outcome studies. J Consult Clin Psychol 2008;76:909-22.
  2. van Weel-Baumgarten EM, van Rijswijk E. The practice guideline 'Anxiety disorders' (first revision) from the Dutch College of General Practitioners; a response from the perspective of general practice. Ned Tijdschr Geneeskd 2005;149:1197-9.
  3. Cuijpers P, van Straten A, Bohlmeijer E, et al. The effects of psychotherapy for adult depression are overestimated: a meta-analysis of study quality and effect size. Psychol Med published online 03 Jun 2009.
  4. National Institute for Clinical Excellence. Depression: management of depression in primary and secondary care. Clinical practice guideline 23. NICE 2004.
  5. De Meyere M. Un lien entre l’efficacité des nouveaux antidépresseurs et la sévérité de la dépression ? MinervaF 2008;7(9):134-5.
  6. Pignone MP, Gaynes BN, Rushton JL, et al. Screening for depression in adults: a summary of the evidence for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2002;136:765-76.
  7. Goedhuys J. Counseling in de eerste lijn: huisartsen versus niet medisch geschoolde medewerkers. Minerva 1999;28(1):33-5.
  8. Cuijpers P, van Straten A, van Oppen P, Andersson G. Are psychological and pharmacologic interventions equally effective in the treatment of adult depressive disorders? A meta-analysis of comparative studies. J Clin Psychiatry 2008;69:1675-85.
  9. Cuijpers P, van Straten A, Warmerdam L, Andersson G. Psychotherapy versus the combination of psychotherapy and pharmacotherapy in the treatment of depression: a meta-analysis. Depress Anxiety 2009;26:279-88.
  10. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
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