Revue d'Evidence-Based Medicine
Le point sur l'efficacité des antihypertenseurs
Minerva 2002 Volume 1 Numéro 7 Page 4 - 6
Professions de santé
Résumé
Méthodologie de recherche
Synthèse méthodique des RCT. Sont incluses les études respectant les critères suivants : randomisation des patients entre traitement actif et placebo, randomisation des patients pour les différents objectifs thérapeutiques ou randomisation entre différents traitements antihypertenseurs. Seules les études avec un suivi de plus de mille années-patients dans chaque groupe et dont les résultats furent publiés après juillet 1995, sont prises en considération.
Population étudiée
Les auteurs identifient 15 études, avec un total de 74 696 patients. L’âge moyen est de 62 ans et 53 % des sujets sont de sexe masculin.
critère de jugement intermédiaire ou de substitution. Les critères de jugement intermédiaires sont des paramètres secondaires souvent liés uniquement indirectement au critère de jugement fort. Dans une recherche relative à l’efficacité d’une thérapie, la mesure des lipides dans le sérum par exemple, peut être considérée comme un critère de jugement intermédiaire alors qu’un décès dû à une maladie cardiovasculaire est un critère de jugement fort. Quand aucune relation directe n’est montrée entre un critère de jugement intermédiaire et un critère de jugement fort pertinent, la validité d’une étude se basant uniquement sur des critères intermédiaires est très limitée.">Critères de jugement
L’efficacité du traitement sur la mortalité (totale et cardiovasculaire) et sur les événements cardiovasculaires (AVC, coronaropathie, décompensation cardiaque et événements cardiovasculaires majeurs) est analysée.
Résultats
Quatre études sur l’effet des IEC, incluant 12 124 patients, sont retenues. Un traitement par IEC montre, versus placebo, une réduction relative significative des AVC (RR 0,70 avec IC à 95 % de 0,57 à 0,85 ; RRR 30 %), de coronaropathie (RRR 20 %), d’événements cardiovasculaires importants (RRR 21 %) et de mortalité cardiovasculaire et totale (voir tableau 1). Le traitement ne réduit pas la décompensation cardiaque de manière significative ! Huit études ont comparé les IEC aux autres antihypertenseurs (n = 37 872). Le traitement par IEC ne présente aucun avantage statistique par rapport aux traitements par diurétiques et/ou bêta-bloquants (trois études).
Tableau 1 : Résultats des études concernant les IEC. Les résultats statistiquement significatifs sont imprimés en gras |
RR |
IC à 95% |
|
IEC vs placebo (4 études) | ||
AVC | 0.70 |
0.57-0.85 |
Coronaropathie | 0.80 |
0.72-0.89 |
Décompensation cardiaque (2 études) | 0.84 |
0.68-1.04 |
Incidents cardiovasculaires | 0.79 |
0.73-0.86 |
Mortalité cardiovasculaire | 0.74 |
0.64-0.85 |
Mortalité totale | 0.84 |
0.76-0.94 |
IEC vs diurétiques ou bêta-bloquants (3 études) | ||
AVC | 1.05 |
0.92-1.19 |
Coronaropathie | 1.00 |
0.88-1.14 |
Décompensation cardiaque | 0.92 |
0.77-1.09 |
Incidents cardiovasculaires | 1.00 |
0.93-1.08 |
Mortalité cardiovasculaire | 1.00 |
0.87-1.15 |
IEC vs antagonistes calciques (2 études) | ||
AVC | 1.02 |
0.85-1.21 |
Coronaropathie | 0.81 |
0.65-0.97 |
Décompensation cardiaque | 0.82 |
0.67-1.00 |
Incidents cardiovasculaires | 0.92 |
0.83-1.01 |
Mortalité cardiovasculaire | 1.04 |
0.87-1.24 |
Mortalité totale | 1.03 |
0.91-1.18 |
Pour juger de l’efficacité des antagonistes calciques versus placebo, seules deux études, incluant 5 520 patients, sont identifiées (voir tableau 2). Il existe une réduction relative significative du nombre d’AVC et du critère de jugement combiné événements cardiovasculaires importants et mortalité cardiovasculaire. Par rapport aux diurétiques et/ou aux bêta-bloquants, le traitement par anticalcique donne une protection significativement meilleure contre les AVC (13%), mais une protection, statistiquement limite, moins bonne contre les coronaropathies. Les résultats sur la mortalité totale sont identiques dans les deux stratégies de traitement (cinq études). En comparaison avec les IEC, les antagonistes calciques ont un score significativement moins bon en ce qui concerne la mortalité coronaire (deux études).
Tableau 2 : Résultats des études concernant les antagonistes calciques. Les résultats statistiquement significatifs sont imprimés en gras. |
RR |
IC à 95% |
|
Antagonistes calciques vs placebo (2 études) | ||
AVC | 0.61 |
0.44-0.85 |
Coronaropathie | 0.79 |
0.59-1.06 |
Décompensation cardiaque | 0.72 |
0.48-1.07 |
Incidents cardiovasculaires | 0.72 |
0.59-0.87 |
Mortalité cardiovasculaire | 0.72 |
0.52-0.98 |
Mortalité totale | 0.87 |
0.70-1.09 |
Antagonistes calciques vs diurétiques ou bêta-bloquants (5 études) | ||
AVC | 0.87 |
0.77-0.98 |
Coronaropathie | 1.12 |
1.00-1.26 |
Décompensation cardiaque | 1.12 |
0.95-1.33 |
Incidents cardiovasculaires | 1.02 |
0.95-1.10 |
Mortalité cardiovasculaire | 1.05 |
0.92-1.20 |
Mortalité totale | 1.01 |
0.92-1.11 |
La comparaison entre un traitement médicamenteux intensif de l’hypertension et un traitement moins intensif a été réalisée dans trois études, sur 20 408 patients (voir tableau 3). Un contrôle plus sévère de la tension artérielle apporte des résultats significativement meilleurs en ce qui concerne la prévention des AVC, des coronaropathies et de l’ensemble des maladies cardiaques. Les auteurs concluent qu’il est prouvé de manière formelle que les IEC et les antagonistes calciques ont un effet favorable. Ceci est moins évident dans le cas d’un traitement d’intensité différente ou par d’autres classes d’antihypertenseurs.
Tableau 3 : Résultats des études comparant un traitement intensif de l’hypertension à un traitement moins intensif. Les résultats statistiquement significatifs sont imprimés en gras |
RR |
IC à 95% |
|
Traitement intensif vs non intensif (3 études) | ||
AVC | 0.80 |
0.65-0.98 |
Coronaropathie | 0.81 |
0.67-0.98 |
Décompensation cardiaque | 0.78 |
0.53-1.15 |
Incidents cardiovasculaires | 0.85 |
0.76-0.96 |
Mortalité cardiovasculaire | 0.90 |
0.75-1.09 |
Mortalité totale | 0.97 |
0.85-1.11 |
Conflits d’intérêt/financement
Ce projet a été soutenu par divers fonds de recherche et par des firmes pharmaceutiques.
Discussion
Cette synthèse méthodique a été réalisée par un groupe de travail reprenant les noms les plus importants des experts de l’hypertension reconnus mondialement, soutenu par l’International Society of Hypertension de l’OMS, par des fonds de quelques universités et d’instituts indépendants, ainsi que par l’industrie pharmaceutique (tous les producteurs les plus importants d’antihypertenseurs). Ce groupe de travail a l’ambition de répéter régulièrement cet exercice. Cette analyse tient compte de toutes les données disponibles en juillet 2000.
Commentaires
Comme les auteurs eux-mêmes le déclarent, cette étude n’atteint pas le niveau de preuve d’une métaanalyse (la méthode de calcul statistique est conforme mais les différentes études sont protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. Dans les méta-analyses, il est important que les études rassemblées soient aussi homogènes que possible. Nous pouvons évaluer la présence d’hétérogénéité statistique entre différentes études par une analyse critique des méthodologies de recherche employées dans les études, par une mise en graphique (plot) de comparaison des différentes études ou par des tests statistiques (Q-test ou test I² de Higgins).">inhomogènes) ; il s’agit d’une synthèse méthodique.
L’étude confirme qu’un contrôle plus intensif de la pression artérielle améliore le résultat du traitement, mais il reste à déterminer les valeurs cibles idéales de pression artérielle. La dispersion des résultats des différentes recherches est trop importante pour permettre de les déterminer. En attendant cette précision, les valeurs cibles du traitement de l’hypertension non compliquée restent, comme le proposent l’OMS/ISH et la Recommandation de Bonne Pratique de la WVVH, de 140/90 mmHg si la tension est mesurée de manière conventionnelle, et 135/85 mmHg si le médecin se base sur la tension artérielle mesurée par le patient lui-même.
Dans cette synthèse méthodique, il est surprenant que les IEC ne donnent pas des résultats significativement meilleurs que le placebo en ce qui concerne la décompensation cardiaque. Ceci est en contradiction avec d’autres études et une revue systématique valable, récente, de la littérature sur ce sujet 1. Les résultats sont probablement biaisés par le nombre peu important de critères de jugement dans les quatre études versus placebo, par l’inclusion de patients qui présentent essentiellement une coronaropathie ou une autre maladie cardiaque et moins une hypertension et par l’utilisation importante des IEC dans ces études.
Il est à noter que seules deux études sont connues dans la littérature concernant l’effet des antagonistes calciques versus placebo. Parmi elles, l’étude Syst- Eur 2, qui ne traite que de l’hypertension systolique isolée chez les plus de 60 ans et qui inclut six fois plus de patients que l’autre étude. De ce fait, cette étude influence majoritairement les résultats de l’analyse. Nous ne pouvons pas compter sur d’autres études sur ce sujet, pour des raisons éthiques évidentes.
l convient de remarquer également que les données sont insuffisantes pour démontrer que les IEC sont plus efficaces que les diurétiques et les bêta-bloquants. Le cumul des résultats de toutes les études suggère uniquement que les IEC sont plus efficaces dans la prévention de la décompensation cardiaque. Le traitement par inhibiteurs calciques peut diminuer le risque d’AVC, comparativement aux diurétiques et aux bêtabloquants, mais pas par rapport aux IEC. Par contre, le risque de maladie coronaire, de décompensation cardiaque et d’événements cardiovasculaires en général (AVC, infarctus du myocarde, décompensation cardiaque ou mortalité cardiovasculaire) est majoré par les anticalciques par rapport aux diurétiques, bêta-bloquants et IEC. Mais il faut parallèlement préciser qu’il existe probablement encore trop d’incertitude statistique (données insuffisantes) pour pouvoir considérer ces données comme définitives.
Recommandations pour la pratique
Le premier choix d’un traitement médicamenteux de l’hypertension compliquée ou non, en première ligne, est incontestablement un diurétique et/ou un bêta-bloquant. S’il est nécessaire d’ajouter un troisième médicament, on choisira un IEC ou un antagoniste calcique, en sachant que les inhibiteurs calciques protégeraient éventuellement moins bien contre la maladie coronaire et la décompensation cardiaque. Le médecin obtiendra les meilleurs résultats en se rapprochant le plus possible, grâce au traitement, des valeurs cibles de pression artérielle.
La rédaction
Références
- Flather M., Yusuf S., Kober L., et al. Long-term ACE inhibitor therapy in patients with heart failure or left-ventricular dysfunction : a systematic overview of data from individual patients. Lancet 2000;355:1575-81.
- Staessen J., Fagard R., Thijs L., et al. Randomised double-blind comparison of placebo and active treatment for older patients with isolated systolic hypertension. Lancet 1997;351:1755-62.
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