Analyse
Quel est l’intérêt d’une revue médicamenteuse des antipsychotiques associée à des interventions non pharmacologiques chez des patients souffrant de démence ?
Nous avons précédemment conclu dans Minerva (1) sur base d’une étude parue en 2011 (2) que pour des indications non enregistrées, comme les troubles du comportement liés à la démence, un bénéfice faible mais statistiquement significatif pour certains antipsychotiques dits atypiques, versus placebo, était observé, mais que la pertinence clinique demeurait incertaine. De plus, il n’existait pas de faits probants montrant que ces médicaments étaient plus efficaces que d’autres traitements pharmacologiques ou des approches thérapeutiques non pharmacologiques. En 2015, une vaste étude d’observation rétrospective (3) nous a permis de conclure que, chez les personnes âgées atteintes de démence, le risque absolu de mortalité était plus élevé sous antipsychotiques, tant typiques qu’atypiques, versus absence de traitement ou antidépresseurs (4). Une synthèse méthodique publiée en 2013 (6) également discutée dans Minerva (5) avait montré que, chez les personnes âgées atteintes de démence, les antipsychotiques prescrits pour troubles du comportement pouvaient être arrêtés dans la plupart des cas sans grand inconvénient, mais que le maintien du traitement pouvait être avantageux dans certains cas. Une autre recherche publiée en 2006 (8) avait également montré que la formation du personnel des MRS et le soutien qui leur était apporté pouvaient contribuer à l’arrêt progressif des antipsychotiques chez les patients atteints de démence (7).
Une étude contrôlée avec randomisation par grappe menée dans 16 centres d’hébergement et de soins au Royaume-Uni dans le but de réduire l’usage des antipsychotiques chez les patients atteints de démence a été publiée en 2016 (9). Le personnel soignant a suivi une formation en soins personnalisés. Un plan factoriel 2x2x2 a ensuite été utilisé pour répartir les centres entre 3 interventions : a/ effectuer une revue médicamenteuse des antipsychotiques en vue d’une utilisation responsable des antipsychotiques (commencer par chercher des alternatives non pharmacologiques, limiter autant que possible l’utilisation des antipsychotiques à 12 semaines maximum) ; b/ encourager les interactions sociales des résidents avec les membres du personnel, leur famille et les bénévoles + augmenter la participation à des activités porteuses de sens ; c/ proposer de l’exercice physique, comme la marche, la danse...
Après 9 mois, l’utilisation des antipsychotiques avait diminué de manière statistiquement significative dans les centres où une revue médicamenteuse avait été effectuée comparativement aux centres sans revue médicamenteuse : RC de 0,17 (avec IC à 95% de 0,05 à 0,60). Les résultats ont aussi montré que l’association de la revue médicamenteuse des antipsychotiques à une proposition d’un accroissement des interactions sociales en plus d’activités porteuses de sens réduisait la mortalité de manière significative : RC de 0,26 (avec IC à 95% de 0,13 à 0,51). Il convient également de noter qu’avec la revue médicamenteuse des antipsychotiques, le score NPI (inventaire neuropsychiatrique) s’est aggravé de manière statistiquement significative (+7,37 avec IC à 95% de 1,53 à 13,22), mais que l’ajout de meilleures interactions sociales et d’activités porteuses de sens a fait disparaître cet inconvénient (-0,44 avec IC à 95% de -4,39 à 3,52). L’offre d’exercices physiques a eu par contre un effet positif sur le score NPI (-3,59 avec IC à 95% de -7,08 à -0,09).
Il s’agit de la première étude associant une revue médicamenteuse des antipsychotiques et une approche non pharmacologique. Les résultats renforcent les initiatives déjà prises en Belgique (10) consistant à proposer de manière structurelle dans les maisons de repos et de soins des programmes associant, d’une part une revue médicamenteuse, à d’autre part une approche non pharmacologique sous la forme, par exemple, d’activités porteuses de sens.
Conclusion
Cette étude clinique randomisée par grappe menée dans des MRS chez des patients atteints de démence et de problèmes comportementaux montre que l’association d’une revue médicamenteuse des antipsychotiques à une offre d’approches non pharmacologiques, telle que l’amélioration des interactions sociales, des activités porteuses de sens et des exercices physiques, non seulement réduit l’utilisation des antipsychotiques mais diminue aussi la mortalité et les troubles du comportement.
- Azermai M, Bourgeois J, Petrovic M. Efficacité et utilité comparées des antipsychotiques utilisés off label chez des adultes. MinervaF 2012;11(6):75-6.
- Maher AR, Maglione M, Bagley S, et al. Efficacy and comparative effectiveness of atypical antipsychotic medications for off-label uses in adults: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2011;306:1359-69. DOI: 10.1001/jama.2011.1360
- Petrovic M, Declercq T. Antipsychotiques ou autres médicaments psychotropes chez les patients atteints de démence : risque de décès augmenté ? Minerva bref 17/12/2015.
- Maust DT, Kim HM, Seyfried LS, et al. Antipsychotics, other psychotropics and the risk of death in patients with dementia: number needed to harm. JAMA Psychiatry 2015;72:438-45. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2014.3018
- Michiels B. Arrêt des antipsychotiques chez les personnes âgées atteintes de démence. Minerva bref 15/05/2014.
- Declercq T, Petrovic M, Azermai M, et al. Withdrawal versus continuation of chronic antipsychotic drugs for behavioural and psychological symptoms in older people with dementia. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 3. doi: 10.1002/14651858.CD007726.pub2
- Petrovic M, De Meyere M. Sevrage de neuroleptiques chez des résidents de home déments. MinervaF 2007;6(7):110-1.
- Fossey J, Ballard C, Juszczak E, et al. Effect of enhanced psychosocial care on antipsychotic use in nursing home residents with severe dementia: cluster randomised trial. BMJ 2006;332:756-61. DOI:10.1136/bmj.38782.575868.7C
- Ballard C, Orrell M, YongZhong S, et al. Impact of antipsychotic review and nonpharmacological intervention on antipsychotic use, neuropsychiatric symptoms, and mortality in people with dementia living in nursing homes: a factorial cluster-randomized controlled trial by the Well-Being and Health for People With Dementia (WHELD) Program. Am J Psychiatry 2016;173:252-62. DOI: 10.1176/appi.ajp.2015.15010130
- Azermai M, De Meester D, Renson L, et al. Towards a more efficient and effective use of psychotropic drugs in nursing homes: a quality improvement project in Belgium. Clin Therapeutics 2015;37:e112-e113. DOI: 10.1016/j.clinthera.2015.05.321
Auteurs
Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Petrovic M.
sectie Geriatrie, vakgroep Inwendige Ziekten en Pedatrie, Universiteit Gent
COI :
Code
Ajoutez un commentaire
Commentaires